Chapitre 17 : En quête de nourriture

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 Nous trouvâmes un endroit à l’abri du vent pour camper, entre deux-trois sapins. Nous répétâmes le même manège pour construire un nouvel antre de glace. Avorian créa un feu magique. Nous nous assîmes sur de larges bouts de bois récupérés aux alentours, nous réchauffant autour des flammes. Leur chaleur bienfaisante me remontait un peu le moral.

 Je repartis dans mes songes pendant que les autres discutaient du chemin à suivre pour rejoindre le Royaume de Cristal. Une profonde nostalgie s’empara de moi ; peut-être à cause de cette disette, du manque de soleil et de repos, ou des courbatures qui s’étaient installées dans tout mon corps ? Le temps ici passait tellement vite. Depuis combien de temps cheminais-je ainsi sur Orfianne ?

 J’observais l’igloo, cela me faisait penser aux soirées d’hiver passées sur Terre avec ma famille. Nous nous asseyions près d’un bon feu, puis ma mère prenait sa guitare et nous entonnions des chants joyeux. Je me mettais alors à jouer du piano. Ma chienne Mina m’écoutait, assise auprès de moi, me fixant de son beau regard sombre. Mon petit chat roux, Haku, grimpait sur mes genoux tandis que je pianotais, ronronnant au son des notes.

 Mes fidèles compagnons se souvenaient-ils encore de moi ?

 Je songeai ensuite aux doux moments passés avec les Komacs dans le désert. Que devenaient Kaya, Merian et Ishaam ? Ils me manquaient tellement ! Et… oh… les délicieux pains tous chauds de Shirin ! Non… ne pas penser à la nourriture… Surtout pas ! Quelle torture ! Mon ventre gargouillait, rien qu’à cette idée, et cela me rendit encore plus affamée, comme si c’était possible.

 Une autre pensée prit le dessus. Plus forte. Depuis quelques temps, cette question me taraudait : qu’était devenu Sèvenoir ? Depuis notre conversation télépathique, lors de la prière pour notre allié Métharcien, je me sentais étrangement liée à lui. Il avait survécu aux assauts de l’Ombre, son ancien maître, et combattu pour que nous puissions sortir indemne de son royaume au péril de sa vie.   

 J’avais tellement envie de revoir l’homme masqué, comme attirée par son aura magnétique, le cœur plein d’empathie pour lui.

 Le ronronnement de Swèèn me ramena à la réalité. J’avais presque cru pendant un instant qu’il s’agissait de mon chat Haku.

 Asuna était en train de le choyer. Je la trouvais vraiment adorable. Son tempérament m’impressionnait. Elle se comportait comme une puissante Gardienne, si sage pour son jeune âge, mais pouvait l’instant d’après redevenir et agir comme une enfant. Asuna ne se laissait pas déstabiliser par les évènements, contrairement à moi. Elle incarnait cette partie joyeuse, enfantine, cette ingénuité que j’avais perdue suite à tous les violents combats vécus sur Orfianne. La jeune Moroshiwa était capable de léviter, de soigner avec la plus grande précision, mais aussi de jouer innocemment, comme elle le faisait souvent avec notre Limosien : elle aimait lui lancer des boules de neige, se rouler par terre avec lui, elle qui ignorait le froid.

 Orialis avait les yeux dans le vague. Peut-être pensait-elle à des moments tendres et heureux, à son peuple, les Noyrociens, qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps. Mon ancienne vie sur Terre me manquait. Ces temps où je n’étais qu’une simple adolescente, sans histoire.

 Une jeune fille qui n’avait pas encore de sang bleu sur les mains.

– Orialis ? dis-je enfin après un long moment de silence. J’aimerais en savoir plus sur ton peuple, sur vos coutumes.

 Elle me regarda d’un air épuisé.

– Pardonne-moi, je t’impose de parler alors que tu essaies de préserver tes forces, me ravisai-je.

La Noyrocienne me sourit tendrement, malgré l’abattement que je lisais sur son visage.

– Non, tu n’as rien à te reprocher.

 Elle garda un moment le silence, puis ajouta :

– Tu as raison, évoquer mon royaume me donnera certainement un regain d’énergie.

 Asuna joignit ses mains, l’air enthousiaste, pour la pousser à raconter l’histoire de sa culture.

 Les prunelles d’Avorian reflétaient la lueur des flammes. Comme chaque soir, il demeurait concentré pour maintenir le feu magique, le nourrir avec son fluide afin que les flammes ne perdent pas de leur vivacité. Ce travail harassant le fatiguait beaucoup. Toute son attention et son énergie se canalisaient sur ce dur labeur. J’admirais sa persévérance. Il se comportait en véritable père. Silencieux et distant de par sa nature taciturne, réservée, mais réellement présent dans ses actes.

 Orialis hocha lentement la tête puis commença son récit :

– Nous vivons dans des plaines ensoleillées. Nos maisons n’arborent pas de toiture. Elles ont, à la place, une coupole faite d’une matière translucide, afin que nous puissions toujours voir le ciel, et capter les astinas. Cette substance, non rigide, protège nos demeures de la pluie et du vent, tout en laissant pénétrer la chaleur du soleil. Nous disposons d’un système de haute technologie permettant d’emmagasiner les particules solaires dans des conteneurs conçus pour cela. Ainsi, lorsque la pluie perdure plusieurs jours, ou lorsqu’un Noyrocien se sent mal, on peut en absorber les astinas.

– C’est fascinant ! commentai-je.

– Comme tous les peuples de cette planète, poursuivit-elle, nous fêtons les jours où Héliaka se montre ronde et pleine, et aussi les rares fois où elle rencontre notre soleil. Nous préparons régulièrement des offrandes en l’honneur de la nature, la remercions pour tous les mets qu’elle nous donne. J’espère que tu viendras visiter notre royaume, Nêryah. Tu verras comme nos cérémonies sont majestueuses. Mon peuple construit de fantastiques vaisseaux pour parcourir Orfianne. J’aimerais que vous puissiez voyager à bord de l’un d’entre eux avec moi, ajouta-t-elle en lançant un regard aux autres. Nos paysages vus d’en haut sont splendides !

 Au fur et à mesure qu’elle parlait, Orialis reprenait des couleurs, et son visage s’illuminait. Ce constat me rassura.

– Parle-nous des humains, de la Terre, me demanda-t-elle au nom des autres.

 Je leur racontai que chez moi, dans mon pays, les principales fêtes comme Noël, ou Pâques, n’étaient pas en l’honneur de la nature, mais plutôt du commerce, pour gagner plus d’argent… En occident, tout n’était que business. On utilisait les gens comme des esclaves, sans qu’ils s’en rendent compte. On inventait là-bas des histoires invraisemblables pour mieux les contrôler, les rendre dociles. Résultat : une part de la population restait endormie, inactive, ancrée dans ses habitudes. Une autre partie du monde était néanmoins en train de se réveiller avec la volonté de faire bouger les choses. Je décrivis ensuite nos moyens de transports, malheureusement très polluants. Je leur expliquai combien le monde était perturbé par les guerres, la misère, mais aussi les enfants mourant de faim, les animaux tués par simple plaisir ou parqués dans de minuscules espaces pour être ensuite mangés, gaspillés.

 En sommes, je souhaitais leur montrer l’irrespect, le non-sens, et la souffrance qui régnaient sur Terre, dans le but de leur faire comprendre l’origine des êtres des ombres.

 Le monde des humains paraissait gouverné par l’orgueil et par l’ignorance. Je me rendais compte de ce que nos planètes enduraient en raison de toute cette déchéance.

 Puis, je leur parlai de l’évolution de l’humanité vers un monde plus uni, solidaire. J’évoquai aussi nos traditions pleines de beauté, en l’honneur de la nature, et toutes les bonnes actions dont les Terriens étaient capables. Je ne voulais pas me montrer si radicale, il existait également de merveilleuses choses sur Terre.

 « Les humains sont vraiment compliqués : ils cherchent toujours la solution la plus tordue, la plus impensable qu’il soit, en oubliant l’essentiel et la simplicité. Et dire qu’au départ, je voulais absolument retourner sur Terre, alors que maintenant, je préfère de loin découvrir Orfianne ! » terminai-je, réalisant soudain que je me sentais désormais complètement Orfiannaise.

 La Terre m’avait accueillie, protégée des Modracks. Mais mon sang demeurait Guéliade.

 Orialis s’était assoupie en m’écoutant, Asuna également. Je ne pus m’empêcher de sourire : la bêtise humaine endormait même les Orfiannais.

 Avorian, quant à lui, restait focalisé sur son feu.

– Vous ne dormez pas ? lui chuchotai-je, inquiète pour sa santé.

– Très peu. Orialis a besoin de cette chaleur si nous voulons qu’elle tienne bon. Elle souffre déjà bien assez du froid en journée.

– Mais… et vous ? m’angoissai-je.

– Oh, moi, je suis un vieux Guéliade. Quelle importance ? me répondit-il dans un sourire presque sarcastique.

 Il me répondait souvent ainsi.

– Vous devriez faire plus attention à vous. Je pourrais essayer de maintenir le feu en place. On peut se relayer, murmurai-je pour ne pas éveiller les filles.

– Non. Repose-toi. Cette forme de magie demande adresse et concentration.

 Devant mon regard insistant, troublé, il ajouta :

– Je te promets de prendre soin de moi. Je suis un sage aguerri, n’est-ce pas ?

 Je savais qu’il était inutile de discuter, soupirai, bien embêtée pour lui.

 Swèèn m’adressa un regard plein d’amour. J’observai mes compagnons de route, attendrie.

 Ma nouvelle famille.

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