Chapitre 13 : Escalade

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 Cela faisait maintenant plusieurs jours que nous avions affronté l'Ombre. Nous commencions l'ascension du premier sommet, un peu plus proches de notre destination : le Royaume de Cristal. Sur ces terres arides, hormis quelques arbustes, peu de plantes parvenaient à pousser. La rare verdure qui persistait par endroits ne nous aidait pas à regarnir nos provisions.

 La montée se fit de plus en plus rude ; il fallait jouer des pieds et des mains, escalader les rochers nous barrant le chemin. Comme j’avais été avisée de prendre un pantalon confortable au tissu très épais ! La température baissait considérablement. Le sol devint humide. Orialis commençait à grelotter derrière moi. Elle supportait moins bien le froid que nous. Ses jolies antennes dorées risquaient à tout moment de se verglacer. Elle s’emmitoufla dans sa couverture. La voyant faire, Avorian lui prêta une cape supplémentaire afin que sa tête soit totalement recouverte. Je me demandais si cela pouvait endommager ses fines antennes. Apparemment, non : elles se pliaient naturellement sous cette capuche improvisée, s’enroulant comme des coquilles d’escargot.

 Asuna, par contre, ne craignait nullement les temps glaciaux, sans doute grâce à son anthropomorphisme végétal. Je notai que sa peau, habituellement couleur jade, pâlissait légèrement. Je m’en inquiétais. Elle avait troqué son vêtement léger, composé de feuilles, pour un pantalon épais, couleur jaune – teinte rappelant celle de ses yeux –, avec un pull en une sorte de laine beige. Elle nous relata que ces habits de tissus avaient été conçus par les Ewaliens. Ces derniers étaient réputés pour leurs étoffes de grande qualité, et échangeaient leurs textiles contre des denrées alimentaires ou des matériaux. La notion d’argent n’existant pas, les Orfiannais commerçaient bien souvent par le troc, ou par l’échange de services. En tout cas, rien ne se payait sur leur planète.

 Asuna savait qu’elle devrait passer par les monts enneigés pour atteindre le Royaume de Cristal, et avait emporté des vêtements chauds dans sa sacoche.

 « Ton sac n’est pas trop lourd » ? lui demandai-je. Elle était tellement mignonne avec ses longues lianes, constellées de feuilles d’un vert tendre, lui arrivant dans le dos. « Nêryah, je te l’ai déjà dit, notre pouvoir de lévitation ne se cantonne pas à nous mettre en apesanteur. Il peut aussi alléger mon sac. Tout va bien ! », me répondait la petite Asuna, si sage, bienveillante.

 Le vent soufflait de plus belle, nous contraignant parfois à nous agripper aux rares arbres environnants. Mon métabolisme de Guéliade me permettait de résister au froid.

 Swèèn avançait avec aisance, si délicat grâce à ses quatre pattes. Lorsqu’il trébuchait, chose rare, il se rattrapait d’un battement d’aile. Il aurait très bien pu emprunter la voie des airs et voler jusqu’au sommet de la montagne en un rien de temps, mais notre précieux guide préférait nous accompagner, nous montrer la voie la plus sûre pour nous rendre au Royaume. Il ne pouvait malheureusement pas nous porter tous les quatre en même temps, ni faire plusieurs allers-retours : cela aurait été trop épuisant pour lui, et surtout, il fallait progressivement nous accoutumer au manque d’oxygène afin de ne pas perdre connaissance.

 Nous ne pouvions pas non plus nous téléporter directement au Royaume de Cristal. Avorian et Swèèn avaient examiné Orialis : son corps était incapable de supporter une dématérialisation supplémentaire. J’avais moi-même fait trop de voyages interdimensionnels ces dernières phases. Même constat pour Avorian. Nous avions beau être nés Guéliades, notre organisme exceptionnellement résistant atteignait ses limites. Nous nous remettions tout juste de nos blessures et de ces innombrables combats.

 En résumé, hormis Asuna, la plus vaillante de nous cinq, aucun de nous ne pouvait encaisser une nouvelle téléportation. Et, comme me l’avait rappelé Orialis, impossible d’être emmenés par les Noyrociens à bords de leurs vaisseaux : la voie des airs était constamment surveillée de près par les Métharciens. Depuis notre ascension, nous avions aperçu deux de leurs vaisseaux dans les cieux. Ils ressemblaient à de grands triangles pyramidaux, légèrement aplatis, comme affaissés, de couleur grise. Avorian m’apprit qu’ils pouvaient s’adapter à tout type de gravité, mais aussi à l’apesanteur propre à l’espace.

 Les Métharciens venaient d’une autre planète. Ils avaient envahi Orfianne pour une raison obscure. Leur maîtrise du milieu spatial dépassait de loin celle des Noyrociens, qui n’avaient jamais quitté leur planète.

 Nos ennemis nous recherchaient sans relâche, nous obligeant à nous cacher dans les montagnes.

 Enfin arrivés au sommet, nous découvrîmes un paysage splendide. Autour de nous, une chaîne de montagnes aux cimes enneigées avec, à leurs pieds, d’innombrables lacs bordés d’arbres ressemblant à des conifères. Les rayons du soleil se reflétaient sur l’eau bleu marine, créant des étincelles dorées comparables à des milliers de diamants. Cette vue à couper le souffle nous donna plus d’entrain pour entamer notre descente.

 Nous marchions depuis quelques jours dans ce magnifique panorama. Heureusement, nous ne manquions pas d’eau car, en plus des lacs, de nombreux ruisseaux bordaient les chemins sinueux. Nous pouvions facilement nous laver malgré la température glaciale de l’eau et de l’air. Nos muscles endoloris appréciaient sa fraîcheur saisissante.

 Orialis se changea ; nous lui fabriquâmes une sorte de pull avec la robe noire que j’avais prise chez l’Ombre. Ces derniers jours, le soleil brillait aux éclats, elle avait donc pu refaire son stock d’astinas.

 Nos provisions s’amenuisaient. Swèèn sortait du sentier chaque jour en quête de nourriture, s’envolant parfois longuement et très loin. Il se démenait pour nous ramener racines, baies, fruits et plantes comestibles. Notre vœu de végétarisme nous empêchait de manger du poisson À défaut, nous les observions nager tranquillement. Peut-être notre Limosien les dévorait-il en cachette, lors de ses escapades ?

 Lorsque je parlais aux autres des Terriens carnivores et de la production alimentaire sur leur planète, Asuna s’était exclamée, surprise : « Comment peut-on manger un être vivant ? » Je lui avais alors expliqué que les humains élevaient des animaux dans d’horribles conditions puis les tuaient dans le but de les manger, ce à quoi Orialis avait rétorqué : « Pourquoi manger quelque chose de mort ? Cela ne risque pas de leur donner des forces ! Au contraire, consommer de la chair morte altèrerait notre énergie et notre magie intérieure. » Mais bon, elle prêchait une convaincue, puisque sur Terre, ma famille et moi étions végétariens.

 Un jour, je ris aux éclats en apercevant Swèèn revenir vers nous la gueule pleine de feuilles comestibles. Il avait troqué son air digne, sa démarche si gracieuse contre un peu de sauvagerie pour répondre à nos besoins primaires.

 Parfois, lorsqu’il était impossible d’escalader les rochers, Swèèn nous portait tour à tour sur son dos. Il se montrait incroyablement vaillant. Son épaisse fourrure argentée lui permettait de mieux supporter les conditions pénibles du voyage.

 Le vent me glaçait les joues. La température baissait encore. Il devait faire environ un ou deux degrés, guère plus. Heureusement que nous avions récupéré quelques tissus supplémentaires chez les Komacs ! Emmitouflés dans nos capes, nous progressions laborieusement. L’air raréfié me brûlait les narines et la gorge. Orialis claquait des dents à chaque pas.

 Nous quittâmes à contre-cœur les lacs et les conifères pour gravir la haute montagne. Nous avions rempli nos gourdes, fait sécher ou griller racines et plantes afin d’étoffer nos provisions. J’aurais donné n’importe quoi pour un bon bain chaud, et un vrai dentifrice. Le froid avait pour seul avantage d’amoindrir l’odeur de nos haleines défraîchies.

 La neige arriva. Au début, j’aimais le son de nos pas, et cette sensation de s’enfoncer dans son duvet moelleux, puis d’en ressortir délicatement. De petits cristaux brillaient sur le chemin comme des diamants.

 Mais je déchantai vite : au bout de quatre heures, l’épaisse couche blanche nous montait déjà jusqu’aux mollets en se densifiant, tandis que la flore se raréfiait. Nous nous enfoncions dans ce sol immaculé, grelottant de plus belle. Il fallait même parfois enjamber des monticules verglacés. Malgré sa taille d’enfant, Asuna progressait avec facilité. Je me doutais qu’elle utilisait son pouvoir de lévitation pour survoler les butes enneigées. Elle ne craignait pas les basses températures, contrairement à Orialis.

 Le froid nous engourdissait peu à peu, les flocons redoublaient d’intensité, et la fatigue des longues journées de randonnée s’accumulait.

 J’observais Orialis, anxieuse. De la neige et du verglas se déposaient sur ses cheveux verts et ses antennes. Elle remit sa capuche en frissonnant. Sa peau pâlissait, et ses lèvres devenaient violacées par le froid. Elle ne s’en plaignait même pas.

 Avorian portait de lourds cernes sous ses yeux. Swèèn voletait juste au-dessus du sol pour ne pas s’enfoncer dans l’étendue blanche. Asuna se débrouillait mieux que nous, toujours vive, les sens en alerte. Sa présence juvénile réchauffait nos cœurs.

 J’avais tellement envie de retourner dans le désert de Gothémia ! Pourtant loin d’être accueillant lui non plus. Mais sa chaleur ardente, étouffante, me manquait cruellement.

 Soudain, Orialis se mit à tituber. Elle s’écroula dans la neige. Nous accourûmes autour de son corps inanimé.

 Avorian s’assit auprès d’elle et plaça ses mains au niveau de sa tête. Je vis une lueur verte émerger de ses paumes. Notre amie ouvrit ses paupières en frémissant.

– Les Noyrociens ne sont pas faits pour vivre dans le froid. Elle pourrait ne pas survivre à ce voyage si ses antennes se gèlent, affirma-t-il en nous considérant d’un air triste.

– Nous ne pouvons pas continuer ! protestai-je. Téléportons-nous !

– Impossible dans son état, me contra le mage.

– Ne t’inquiète pas, me rassura Swèèn. Nous sommes proches du Royaume.

 Mais rien ne pouvait me réconforter. Pourquoi courir autant de risque ? Il s’agissait de la vie de notre amie ! Nous devions absolument arriver au Royaume de Cristal vivants et en bonne santé pour pouvoir unir nos Pierres et défendre notre planète. Je ne comprenais pas du tout leur apathie.

– Et toi, Asuna, comment tu te sens ? Tu supportes ce froid glacial ? m’enquis-je, inquiète.

– Oh, moi, tant qu’il y a de l’humidité, ça me convient. La neige et le froid ne sont pas un problème.

 Les Moroshiwas ne craignaient pas les basses températures, à l’instar des Ewaliens, habitués aux eaux glaciales des océans.

 Avorian m’avait déjà expliqué plusieurs fois que Kaya n’aurait jamais pu entreprendre ce voyage dans les montagnes. Elle pouvait supporter les fortes chaleurs, mais pas ce temps glacial.

 Il fit un signe de la tête à Swèèn, puis souleva Orialis pour la déposer sur son dos, couvrant ses antennes d’une énième cape. La Noyrocienne parvint à s’accrocher à la crinière argentée du Limosien. Combien de temps pouvait-elle encore tenir ainsi, dans cet environnement hostile, sans soleil ? Assise sur le doux pelage du Limosien, elle semblait enfin se reposer.

 Nous marchâmes trois heures de plus, gravissant les hautes montagnes. Mon corps se transformait en glaçon avec mes jambes trempées, engourdies. Même Asuna montrait des signes de fatigue. Je la voyais essoufflée, la tête basse.

– Avorian, arrêtons-nous ! Nous sommes tous épuisés, me plaignis-je, à bout de souffle, complètement découragée.

– Si l’on reste inactifs, on se transformera en statues de glaces ! répliqua-t-il.

– Alors construisons-nous un igloo, proposai-je.

 Je leur expliquai ce que c’était, décrivant les blocs de glaces posés les uns sur les autres ainsi que sa structure.

– Oui, c’est une bonne idée, approuva Swèèn, conciliant.

 Le Limosien regarda fixement Avorian, l’air de dire : « Tu exagères ! Elles ont vraiment besoin d’une pause ! ». Le mage obtempéra, levant les yeux au ciel. Il usa de sa magie pour en bâtir un, lançant quelques rayons bleus vers la neige, qui se souleva puis se façonna toute seule sous forme de briques. Avorian lança un regard à Asuna. La petite Gardienne comprit immédiatement. Elle usa de son pouvoir de lévitation pour les empiler les unes sur les autres.

 Avorian et Swèèn s’assurèrent de la solidité de notre abri. Nous entrâmes enfin à l’intérieur et nous installâmes sur des couvertures. Je m’assis auprès d’Asuna et du lion ailé. Orialis se tenait au creux des pattes de ce dernier pour se réchauffer. Je me sentais transie de froid, ivre de fatigue. Je n’osais imaginer ce que pouvait ressentir la pauvre Orialis. Elle ne prononçait pas un mot. Avorian fit apparaître un grand feu dans ses mains et le déposa dans la neige. Oh ! Joie ! J’avais tellement envie de m’immerger dans les flammes.

 Ce feu éternel ne produisait pas de fumée. L’igloo ne pouvait pas fondre, grâce à la magie qui le maintenait en place. Nous profitions de cette chaleur surnaturelle, silencieux. Nous sortîmes quelques provisions de nos sacs, les dévorâmes avidement, affamés. Il ne restait plus grand-chose. Le pouvoir de guérison ne pouvait-il pas nous protéger de la faim ou de la morsure de la glace ? J’imaginais les délicieux pains encore tièdes de Shirin, ma mère de lait Komac, et les savoureuses tartes légèrement caramélisées aux mirinès, un fruit juteux très répandu sur Orfianne. Les gargouillis insistants de mon ventre me ramenèrent à la dure réalité.

– Essayons de dormir un peu, suggéra le magicien.

 Nous nous pelotonnâmes les uns contre les autres. En parfait protecteur, Swèèn entoura Orialis de son aile. Malgré la température glaciale, l’épuisement eut raison de moi. L’igloo nous protégeait du vent et des intempéries. Le feu magique ne pouvait pas baisser d’intensité, ainsi, nos corps ne s’engourdiraient pas.

 Je rêvai toute la nuit de hammams et de chocolats chauds.

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