Chapitre 12 : Le pouvoir des Guéliades

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 Je redescendis lentement vers le sol, comme portée par un souffle magique. Mon corps scintillait, réhaussé de paillettes dorées. J’avais l’impression de m’être transformée en fée.

 Mes pieds regagnèrent enfin la terre ferme. L’aura qui m’entourait commençait à se dissiper. Mes compagnons de route me dévisageaient, admiratifs et stupéfaits. Je lisais dans leurs yeux de la fierté.

 Cette lumière sur ma peau semblait bien belle de l’extérieur… pourtant, je n’étais que chaos. J’avais l’impression de ne plus rien contrôler. L’Ombre avait semé le trouble dans mon esprit.

 Je portai mon regard vers les cieux. La lueur des étoiles filtrait à travers la canopée. Je voyais à peine mes compagnons baignant dans l'obscurité, illuminés par le faible éclat qui émanait encore de moi.

 Après quelques minutes de silence, Orialis prit la parole :

– Comment as-tu fait ? Et puis… tu… tu voles !

– Oui, pour la deuxième fois ! précisa Swèèn.

– Les Moroshiwas peuvent léviter, continua la Noyrocienne en se tournant vers Asuna, la désignant d’une main. Pas les Guéliades !

– Je n’en sais rien, leur dis-je, dépitée, comme s’il s’agissait d’une véritable malédiction. J’ignore ce qui m’a pris.

 Je baissai la tête, abattue.

– C’est incroyable ! s’exclama Asuna.

– Tu as réussi à vaincre l’Ombre ! se réjouit Orialis.

– Cela ne signifie pas qu’elle soit morte pour autant, lui révéla Avorian, la tête sur les épaules.

 La jeune Moroshiwa prit ma main dans les siennes, la serrant avec intensité. Je lui adressai un regard accablé.

– Tu as utilisé ta magie à bon escient, pour nous protéger, souffla Swèèn.

– Mais je ne maîtrise pas encore mes émotions, ni tout ce qui sort de mon corps. C’est effrayant !

– Tu t’en es servi lorsque tu n’avais pas le choix, non pour attaquer de ton plein gré, me réconforta Orialis.

 Je resserrai mes doigts autour des paumes d’Asuna. Elle m’étudia intensément, ses magnifiques pupilles jaunes exprimaient sa compassion.

– Prends le temps d’apprivoiser qui tu es, me dit-elle en berçant mes bras, comme pour ancrer ses paroles dans mon corps. C’est loin d’être facile d’avoir autant de puissance en soi. Je comprends bien cela…

– Tu n’as rien à te reprocher, me rassura Avorian. Je comprends très bien ce que tu redoutes, Nêryah. La colère est une émotion tout à fait saine qui permet de nous défendre et de poser nos limites lorsque quelqu’un tente de les transgresser. Si tu avais réellement basculé dans l’ombre, ces rayons lumineux ne jailliraient pas de toi. L’Ombre et Sèvenoir sont incapables d’utiliser la puissance de la lumière. Tu l’as bien remarqué. Cesse de te tracasser.

– Ma chère Nêryah, un Limosien ne pourrait pas être ton protecteur si tu étais le mal incarné, renchérit Swèèn pour détendre l’atmosphère.

 Il vint frotter son museau contre mon bras.

 Je lançai un regard à l’horizon. Nous percevions le contour des montagnes, signe que le jour allait poindre.

– Je suis désolée de me lamenter ainsi. Merci pour vos mots doux et bienveillants.

– Nêryah, la façon dont tu as agi envers l’Ombre est très belle, affirma Orialis. Avant d’attaquer, tu as essayé de lui parler, en t’exprimant avec ton cœur, ta sagesse. Tu as écouté son point de vue, tenté de la comprendre et même de négocier. Tu étais si éloquente que nous n’osions parler. Je suis très émue par ta bonté.

 Je ne savais pas quoi répondre. Ses paroles, si touchantes, me donnèrent les larmes aux yeux.

– Il faut nous reposer un peu. Nous aurons besoin de toute notre énergie pour gravir les montagnes, annonça Avorian en regardant leurs sommets lointains sortir de la pénombre.

 Orialis retourna au campement. Elle s’allongea sur les couvertures épaisses. Asuna partit dormir dans l’arbre le plus proche.

 Je me blottis contre le Limosien qui m’entoura de ses grosses pattes duveteuses. Je caressai un moment ses plumes argentées avant de m’endormir, épuisée.

 Je me réveillai sous un ciel de feu.

 Avorian se tenait assis, en train d’observer les montagnes à travers la brume matinale. Un beau soleil orange se levait, peignant autour de lui des tons rose, violet, orangé, turquoise. Orialis et Swèèn dormaient encore. Je ne voyais pas Asuna, sans doute encore perchée dans son arbre.

 Je sentis l’air frais et humide qui annonçait la rosée du matin. À mon tour, je scrutai l’horizon. Les montagnes auréolées d’une parure blanche se dressaient dans toute leur splendeur.

 Je m’assis près du mage, sondai la profondeur de son regard.

– Comment te sens-tu, Nêryah ? me demanda-t-il d’une voix douce, sans détourner pour autant ses yeux du paysage qu’il admirait.

– Mieux.

 J’inspirai une bouffée d’air pur.

– J’ai été très touché cette nuit par tes mots… par le fait que tu me considères véritablement comme un guide, m’avoua le Guéliade.

– Vous m’avez tout appris, Avorian, confirmai-je.

 J’eus à peine le temps d’esquisser un sourire qu’il me prit dans ses bras.

 Au campement, je vis Swèèn étirer son corps de félin, battre ses ailes d’ange.

– Prenons un bon petit repas, suggéra-t-il en baillant. Enfin… « bon », c’est un bien grand mot, tout est relatif.

 En effet, nos réserves de nourriture s’épuisaient. Je changeai de vêtements pour mettre un pantalon marron avec un chandail beige en vue de cette longue marche, puis réveillai Orialis en douceur pendant qu’Avorian et Swèèn ravivaient le feu. Mon amie ne semblait pas vouloir ouvrir les yeux. Je m’assis devant les flammes, la laissant s’éveiller à son rythme.

 J’entendis un léger bruit de chute. Asuna venait de descendre de son arbre. Elle arrivait pour le petit-déjeuner.

– Tu as bien dormi ? lui demandai-je.

– Plus ou moins. Je guettais l’arrivée de l’Ombre ou de ses sbires.

– Oh, Asuna ! Tu n’as pas à constamment veiller sur nous, au détriment de ton repos ! lui répondis-je, attristée.

 Elle était la plus jeune d’entre nous et pourtant, la petite Moroshiwa se comportait comme une mère bienveillante. Elle prenait très au sérieux son rôle de Gardienne.

– Il y a quelque chose qui me chiffonne depuis un moment, confiai-je aux autres. Pourquoi les peuples d’Orfianne ne se défendent-ils pas avec leurs Pierres de Vie contre les Métharciens ou les monstres créés par les humains ?

– Rappelle-toi, comment avons-nous utilisé notre Pierre de Vie sur nos terres ? Quelle a été sa fonction ?

– Nous avons sauvé l’arbre sacré, et grâce au pouvoir des deux Pierres réunies, la nature a repoussé.

– Et chez les Komacs, à quoi sert leur Pierre de Vie ? continua Avorian.

– À acheminer l’eau jusqu’aux galeries, rendre leurs terres prospères, pour qu’ils puissent cultiver plus facilement dans le désert. De même que chez l’Ombre, Orialis l’a utilisée pour transférer de la lumière dans le système de défense, qui s’est finalement auto-détruit. Celle d’Asuna n’a fait qu’amplifier son propre pouvoir – guérison, spores –, à chaque fois.

– Vois-tu où je veux en venir ?

– Orialis me le répète sans arrêt : les Pierres de Vie ne peuvent pas détruire, mais uniquement guérir, offrir l’abondance, accroître nos dons… d’où leur nom ! réalisai-je.

– Exactement. Ce sont des Pierres de Vie, pas de destruction, précisa Swèèn.

– Je comprends, mais j’ai du mal à bien saisir le concept, parce que si elles protègent la vie, elles devraient pouvoir repousser ceux qui la détruisent.

– Et tu n’es pas la seule, affirma le Limosien. Bien des Orfiannais persistent à le croire. C’est malheureusement faux. Même l’Ombre l’a compris : elle se servira des Pierres uniquement pour passer d’un monde à l’autre, car elles en ont le pouvoir. Mais ce sont bien les Métharciens qui feront la guerre aux Terriens.

– Mais alors à quoi sert-il de réunir nos Pierres de Vie au Royaume de Cristal ? Le Sage Orion imagine qu’elles nous sauveront. Cela n’a pas de sens !

– L’Union des Pierre n’a jamais été réalisée, m’informa Orialis, qui venait d’émerger et de prendre part à notre conversation. Personne n’a encore réussi. Nous ne savons pas exactement ce que cela produira, mais pensons que ce pouvoir ultime déploiera tant de lumière qu’il apportera la paix, et non la destruction. Voilà pourquoi il faut essayer.

– Tiens, tu es réveillée, toi ! lui lançai-je.

– Oui. Je vous écoutais les yeux fermés. Je n’avais pas envie de me lever, il fait trop froid ! se plaignit-elle.

 Asuna lui lança une couverture.

 Une autre question essentielle me taraudait depuis un moment :

– Si la fusion des Pierres avait opéré après la bataille, est-ce que vous pensez que cette magie, si puissante, aurait pu ressusciter les Guéliades en réanimant leur corps ?

– Probablement pas, affirma Avorian. Aucune forme de magie pure, naturelle, ne le peut. Ce serait contraire aux Lois de l’Univers : un corps sans vie ne peut plus abriter l’âme qu’il portait. Seule la magie noire est capable de défier ces Lois. Mais tout a un prix, il deviendrait simplement une coquille vide, privée de sa conscience.

– Un peu comme une marionnette ? voulus-je vérifier.

– Oui, c’est une bonne image, car lorsque l’esprit a déserté son enveloppe charnelle, si la magie noire est employée pour le ranimer, devine qui le remplace ?

 Je réfléchis un instant.

– Oh… mon Dieu ! Un être des ombres prendrait alors sa place ! réalisai-je.

– Exactement, confirma le Guéliade. J’ai pu découvrir que sur Terre, en Afrique, certains chamanes utilisent malheureusement cette forme de magie. Les personnes qu’ils « réveillent » ne sont plus elles-mêmes, ce sort n’est qu’un leurre, une malédiction, puisqu’un démon habite le corps du défunt. Les cas de possessions, ou de lieux hantés relèvent du même phénomène : il s’agit d’êtres des ombres engendrés par les émotions humaines.

– Justement, la magie des émotions est-elle une forme de magie noire ? m’inquiétai-je.

– Non, la magie des émotions est purement instinctive, c’est une réaction – émotionnelle – qui se manifeste par un sort. Il n’y a aucune intention derrière, à l’image d’une pulsion, brute et sans dessein. Alors que la magie noire est préméditée, à des fins toujours néfastes. Elle est invoquée à mauvais escient et emploie les forces destructrices. Il faut la voir comme une agression.

 Je méditai quelques instants sur ces révélations.

 Après avoir grignoté, Avorian sonna le départ.

 Nous marchâmes jusqu’aux pieds des montagnes. Orialis avançait lentement, le visage miné.

– Pensez au merveilleux Royaume de Cristal qui nous attend ! fit Swèèn pour encourager notre petite troupe.

 Mais la Noyrocienne ne leva pas le menton. De toute évidence, elle n’était pas du tout enchantée à l’idée d’escalader ces hauts sommets.

– Oui, mais la montagne implique la neige, et la neige, le gel sur mes antennes, ce qui signifie : danger de mort pour un Noyrocien !

– Pourquoi ne pas avoir utilisés vos incroyables vaisseaux pour vous rendre au Royaume ? questionnai-je. Et même emmener les Ewaliens avec vous ?

– La voie des airs est surveillée. Les Métharciens nous surpassent dans ce domaine. Nous serions visibles : nous nous ferions abattre avant d’y arriver.

 Sur ce, elle accéléra le pas en compagnie d’Asuna, défiant les montagnes.

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