Chapitre 11 : Nêryah

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 Je me réveillai en sursaut, en ayant la désagréable impression de n’avoir que très peu dormi.

 Lorsque j’ouvris mes paupières, il faisait toujours nuit. Le feu presque éteint m’indiqua qu’à peine une ou deux heures s’étaient écoulées. Je vis à la faible lueur des braises les visages paisibles de mes amis assoupis. Sauf Asuna. Elle était debout, aux aguets.

– Que se passe-t-il ? lui demandai-je, une pointe d’inquiétude dans ma voix.

– L’Ombre arrive, prévint-elle.

 Avorian remua puis tout le monde s’éveilla, avec une expression d’incompréhension sur le visage.

– Encore des ennuis…, murmura Orialis d’une petite voix ensommeillée.

– Préparons-nous ! Placez-vous en cercle, ordonna Avorian.

 Nous nous mîmes dos à dos pour éviter d’être surpris par l’ennemi. Le mage fit apparaître une boule de lumière dans sa main. Je l’imitai : dans cette pénombre, on distinguait à peine le contour des arbres.

 Pendant quelques longues et interminables minutes, rien ne se produisit. Une violente bourrasque surgit de la forêt et balaya le paysage, souleva nos cheveux. Les branches des arbres s’entrechoquaient, leur rythme saccadé se mêlait aux bruissements des feuilles.

 Au milieu de ce tourbillon apparut un être sombre. Son corps abritait un monde de ténèbres aride, sans vie, et donnait l’impression d’inviter les voyageurs vers l’obscurité, comme une porte vers l’au-delà.

 L’Ombre avança jusqu’à nous, flottant dans les airs. Son aura violette tournoyait autour de son corps immatériel. Ses yeux de lumière rubis reflétaient la colère. J’eus l’impression que c’était la mort elle-même qui venait nous chercher, à l’image de la faucheuse, impitoyable.

 Mes entrailles se glaçaient.

 Personne n’osait bouger. Orialis respirait bruyamment. Mon bras frôlant le sien, je sentis qu’elle tremblait.

 Swèèn bondit face à la terrible créature, prêt à nous défendre. Il battit de ses longues ailes d’argent, comme pour chasser notre adversaire.

– Va-t’en. Tu n’as rien à faire ici, ce n’est pas ton territoire, lança le Limosien d’un ton impérieux.

– Ne t’interpose pas, répliqua l’Ombre d’une voix grave qui semblait directement jaillir du ciel.

 Loin de se laisser déstabiliser, le Limosien se mit brusquement sur ses pattes arrière pour se tenir debout. Il ouvrit sa gueule de lion, montrant ses crocs. Un large rayon argenté en sortit pour frapper la ténébreuse créature. Elle dévia le faisceau en un simple mouvement de son corps impalpable. Mais au lieu de disparaître, le pouvoir du lion ailé revint à la charge et la percuta. L’Ombre comprima sa masse informe puis se redressa, indemne.

 Nos pouvoirs semblaient la traverser et ne jamais l’atteindre.

 La créature se tourna vers moi.

– Nêryah, ton pouvoir est bien trop dangereux pour rester en de si petites mains.

 Sa voix me fit frissonner d’effroi. Sa masse informe paraissait instable : elle s’agrandissait, puis se comprimait l’instant d’après, comme si elle ne pouvait plus contenir sa colère.

 Une nuée noire en jaillit, se dirigea droit sur Avorian. Il la contra en créant un bouclier translucide aux reflets nacrés. Lorsque le nuage sombre l’atteignit, il se mit à produire une multitude de cercles lumineux, à l’image d’une onde de gravité dans l’eau. Le jet obscur se dispersa puis disparu, dissout par les nimbes flamboyants.

 Swèèn battit de ses longues ailes d’ange. Son mouvement engendra de multiples faisceaux argentés, dardant notre ennemi. L’Ombre généra de puissantes bourrasques pour se défendre, qui avalèrent le pouvoir du Limosien. Son terrible regard pourpre exprimait tout son courroux. Elle riposta par une nuée. Je décochai immédiatement quatre sphères pour la contrer

– Non, Nêryah ! me cria Avorian. N’utilise surtout pas les sphères !

 Mes globes passèrent au travers de cette magie ténébreuse, et la créature les ingéra toutes. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter.

 Alors que le Limosien nous protégeait en repoussant le nuage d’un battement d’ailes, le même nombre de sphères sortit de l’Ombre, cette fois colorées en noir. Elle me les renvoyait, à l’image d’un miroir maléfique. Je fis apparaître en un clin d’œil un bouclier translucide autour de moi. Mes quatre boules perverties le percutèrent puis explosèrent contre sa paroi. Je mis instinctivement mon bras devant moi, effrayée par le choc de la détonation. Geste inutile : mon champ de force tenait bon.

 L’Ombre enchaîna avec un autre jet obscur. Il allait inévitablement atteindre Orialis. Asuna parvint à bousculer cette dernière sur le côté avec une telle vitesse qu’il ne put la toucher. La jeune Moroshiwa fut entraînée dans son mouvement. Elle s’écroula sur son amie.

 Par chance, elles étaient indemnes et se relevèrent aussitôt.

 Je me postai aux côtés d’Avorian et de Swèèn. Nous combinâmes nos attaques simultanées, en un accord tacite. Nos rayons blancs, argentés devinrent une seule et même lumière, se mêlant dans un déferlement de puissance. Notre adversaire reçut notre sort de plein fouet et poussa un cri strident. Son corps immatériel réagit en produisant un brouillard sombre. Entourés par les ténèbres, les nuées de la créature obscurcirent la faible lueur de nos pouvoirs.

– Vous ne pouvez pas me vaincre, affirma-t-elle. Seuls les habitants de la planète Terre le peuvent. Est-ce si difficile à accepter ? Nêryah, rejoins-moi, je t’apprendrai à maîtriser ta magie, à l’utiliser pour une noble cause.

– Je vous remercie de votre proposition, dis-je d’un ton irrévérencieux, mais j’ai la chance d’avoir un maître exceptionnel… Avorian !

 Je hurlai son nom, tel un cri d’encouragement, et lançai mon rayon lumineux. L’Ombre changea de forme pour éviter l’attaque, s’aplatissant au sol. Une fois mon pouvoir disparu, elle s’agrandit et s’amusa à mimer un corps humanoïde. Le mien, manifestement.

 Une colère sans nom m’envahit. L’image du corps inerte de notre allié Métharcien me revint en mémoire. J’en ressentis un haut-le-cœur.

 Je me redressai, imposante, le regard glacial… face à moi-même !

 L’Ombre se détourna des autres pour s’opposer à moi, mais je ne lui laissai pas le temps d’agir. Je la frappai de mon rayon lumineux. Je ne me contrôlais plus, en rage, et ne voyais plus rien autour de moi. La forêt tout entière venait de disparaître. Il n’y avait plus que notre ennemi, et moi, entre deux mondes, dans le néant. Rien ne pouvait me troubler

 Je me sentis terriblement puissante, invincible. Cette sensation grisante me fit perdre toute notion de morale. Je ne me rendais même pas compte que j’utilisais les forces obscures naissantes en moi.

La Magie des émotions.

 Ma tristesse me détournait de la raison.

 Détruire. C’était la seule chose que je devais faire, à présent. Je me surpris à léviter, environ un mètre au-dessus du sol. Une lumière turquoise irradia de tout mon corps, illuminant cet espace obscur. Elle se dirigea d’elle-même sur l’Ombre. Celle-ci tentait vainement de la repousser à l’aide de ses rafales ténébreuses, mais rien à faire : la lueur se fit de plus en plus dense, jusqu’à entourer mon adversaire qui hurlait, comme si mon rayon le brûlait.

 Son cri infernal me ramena à la réalité. Je distinguais les contours des arbres et mes amis autour de moi. Mon rayon s’interrompit en même temps que je chutai, m’écroulant de tout mon long. Je constatai que l’Ombre avait du mal à conserver une forme stable.

 Asuna invoquait son pouvoir. Au son de sa voix chantée, elle s’éleva dans les airs, et les petites spores commencèrent à émerger de son aura dorée.

 Les billes lumineuses de la jeune Moroshiwa progressaient vers l’Ombre jusqu’à l’encercler. Elle avait réussi à l’immobiliser.

– Curieux… cette magie Moroshiwa, susurra la créature, presque amusée de la situation. Pourquoi ne voulez-vous pas que je sauve Orfianne ? ajouta-t-elle d’un ton larmoyant.

– Vous n’avez donc pas foi en l’humanité ? accusai-je. Vous êtes persuadée qu’en détruisant les Terriens, et leurs pensées négatives avec eux, Orfianne ira mieux. Mais ce n’est pas de cette façon que les choses s’arrangeront. Bien au contraire ! Nous avons besoin des êtres humains, tout comme ils ont besoin de nous. Les deux planètes sont jumelles. Elles interagissent constamment l’une avec l’autre. En exterminant les humains, quelque chose de terrible se passera également sur Orfianne !

– Tu te trompes ! Vous, les êtres vivants, rejetez systématiquement votre ombre. Voilà pourquoi les énergies destructrices circulent librement d’une planète à l’autre, sans être canalisées. Vous reniez vos émotions et vos pensées les plus sombres, vous ne voulez pas les accepter…

 L’Ombre ne parvenait plus à avancer, ni à changer de forme ; les spores d’Asuna l’emprisonnaient complètement.

– Les épreuves que nous subissons, les émotions qu’elles génèrent peuvent se transformer en une grande force et devenir bénéfiques, grâce à notre capacité de résilience. Laissons une chance aux Terriens, permettons-leur d’évoluer à leur propre rythme ! plaidai-je.

 Alors que je prononçais ces mots, mes mains se mirent à scintiller d’une lumière ambrée. Puis, mon corps tout entier s’illumina, entouré d’un halo lumineux. Tout le monde retint son souffle, s’écartant pour m’observer. Un large rayon sortit de ma poitrine, perfora l’Ombre de part en part. Celle-ci n’eut le temps de le faire disparaître, paralysée par la magie de la Gardienne des Moroshiwas. Grâce à elle, je pouvais enfin déployer toute ma puissance.

 La sombre créature se mit à rugir, d’un cri démentiel. Le son résonna jusqu’aux confins de la nuit.

 Elle se volatilisa.

 En regardant mes jambes, je découvris que je lévitais à nouveau. Mes pieds avaient quitté le sol sans que je m’en aperçoive.

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