Chapitre 10 : Un lien secret

7 minutes de lecture

 Je tremblais de la tête aux pieds. Mes compagnons de route ne s’en étonnaient pas puisqu’ils me savaient en état de choc. Et cela m’arrangeait bien. Je ne voulais pas les alerter.

 Une vague d’émotions contradictoires me noua le ventre.

 Je lui envoyai ce message télépathique :

 « Tu… tu as survécu ? »

 Grand silence… Pas de réponse. Je comptais les secondes…

 Puis, je l’entendis de nouveau dans ma tête :

 « Il est hors de question que je meure maintenant, alors que tu es enfin revenue sur Orfianne… », me souffla-t-il d’un timbre suave.

 Plus rien.

 Je sentis que le lien venait de se rompre. Je ne révélai rien aux autres, baissant la tête et joignant mes mains pour prier l’âme du défunt. C’était mon secret. Le seul que je pouvais avoir… Cette affection presque interdite pour Sèvenoir, notre sauveur.

 Celui qui m’avait ramenée sur Orfianne.

 Nous allâmes nous asseoir à l’orée de la forêt pour nous désaltérer. Nous profitions enfin de nos retrouvailles. La présence bienveillante d’Arianna nous manquait déjà. Celle d’Asuna, douce et juvénile, compensait son absence.

 Je n’arrêtais pas de penser à Sèvenoir, et me résolus à expliquer aux autres qu’il m’avait contactée par télépathie, annonçant qu’il était vivant. Tout le monde fut soulagé de cette belle nouvelle. Je m’en voulus de la leur avoir cachée, alors que nous étions tous impliqués dans ce même combat.

 Je racontai mes mésaventures aux autres, et révélai à Avorian que l’Ombre était responsable des attaques que nous avions subies dans le désert de Gothémia.

– Dans la forêt, après mon enlèvement, des Métharciens ont capturé Orialis, mais que vous est-il arrivé ? questionnai-je.

– Nous savions que l’apparition de l’Ombre dans la forêt était un avertissement, et que vous y étiez retenues prisonnières, mais nous étions cernés par les Métharciens. Je ne pouvais même pas m’envoler au-dessus de la forêt ! affirma Swèèn en se levant pour mimer son histoire, tout heureux d’avoir retrouvé l’usage de sa patte avant. On s’est défendus de notre mieux, avec l’aide d’Arianna et de cet homme masqué.

– Sèvenoir nous a guidé jusqu’au royaume de l’Ombre, compléta Avorian. Lorsqu’il a senti une faille dans le système, il a pu de suite se volatiliser pour vous rejoindre. Mais nous avons dû attendre que le générateur soit complètement détruit.

– Et surtout, un autre bataillon de Métharciens nous a pris au piège, avec des êtres des ombres ! poursuivit le Limosien. Asuna est intervenue.

– J’étais partie à votre recherches. Je savais déjà par où vous alliez passer puisque vous veniez comme moi de notre cité ; nous étions proches. Lorsque j’ai vu Avorian et le Limosien assiégés par les sbires de l’Ombre, je me suis rendue invisible, puis j’ai utilisé mes spores pour immobiliser les Métharciens, et nous avons pu nous volatiliser.

– On a tout de suite compris que ce pouvoir provenait de la Gardienne, étant donné son ampleur. Paralyser autant d’adversaires d’un seul coup relève de la prouesse ! complimenta le lion ailé en s’adressant à Asuna.

 Elle lui répondit par un sourire timide, se tortillant les mains. Je la trouvais vraiment adorable. Ses jolies lianes feuillues sur son cuir « chevelu » lui couvraient une partie du visage. Son air candide ne laissait en rien présager ses incroyables pouvoirs.

– J’ai vraiment eu peur de rester dans son antre pour toujours. C’était tellement dur, sans vous ! sanglotai-je.

 Comme s’il percevait mon vide affectif, Swèèn enroula ses pattes autour de moi, puis Avorian Orialis et Asuna se joignirent à nous, formant ainsi une sorte de boule vivante composée de bras et de pattes.

 Après une longue embrassade, j’expliquai plus précisément à mes compagnons les plans machiavéliques de l’Ombre, la façon dont elle projetait d’envahir la Terre. Je leur parlai aussi de ses révélations à propos de la véritable origine des êtres humains actuels : des êtres hybrides, une race issue d’un mélange entre Ênkelis et Terriens. Avorian et Swèèn ne semblaient pas surpris. En revanche, Orialis et d’Asuna paraissaient, quant à elles, profondément choquées par cette affirmation.

– Tant que nous resterons loin d’elle, l’Ombre ne pourra pas mettre ses plans à exécution, puisqu’elle a besoin du pouvoir des Gardiens pour passer d’un monde à l’autre, nous réconforta Orialis, qui avait remarquablement bien écouté mon récit.

 Je ne me sentais pas pour autant rassurée.

– Si l’Ombre parvient malgré tout à venir sur Terre ? insistai-je.

– Alors nous utiliserons le pouvoir des Pierres de Vie pour sauver les Terriens, dit sagement Asuna.

– Mais nous avons besoin de ce pouvoir pour nous, pour notre planète ! intervint Orialis. C’est bien pour cette raison que le Sage Orion demande aux différentes dynasties de se rassembler au Royaume de Cristal : pour prendre une décision et tenter une énième union.

– C’est vrai, admit Avorian. Les Pierres de Vie sont le trésor d’Orfianne. Mais je reste persuadé, tout comme Asuna, qu’elles peuvent sauver nos deux planètes.

– Avorian, même les Guéliades n’y sont pas parvenus.... La tentative de fusion a échoué… et c’est d’ailleurs ce qui a causé leur perte, souligna une nouvelle fois Orialis.

 Cette remarque affecta Avorian. Il fronça les sourcils, l’air triste. La Noyrocienne, si spontanée, ne se rendait pas compte de la portée de ses paroles. Elle ne voulait pas offenser Avorian, mais ses craintes étaient fondées.

 Je pris affectueusement la main de mon ami.

– C’est tellement extraordinaire que vous ayez survécu, intervint Asuna en nous observant moi et Avorian. J’ignorais jusqu’il y a peu qu’il existait encore de Guéliades. Bénie soit Héliaka !

– Allons, nous sommes tous épuisés, plaida notre sage Limosien. Chère Orialis, nous trouverons une solution pour jumeler les Pierres. Nêryah est la dernière Gardienne de son peuple, et aussi la seule Orfiannaise capable de séjourner sur Terre. Elle a déjà accompli tant de miracles ! Avec des Gardiennes telles que vous, mes chères demoiselles, aussi brillantes que charmantes, je ne doute pas de notre réussite.

 Il nous offrit son beau sourire enjôleur.

– Exactement. Je nous ai d’ailleurs surnommées « l’équipe des supers Gardiennes » ! renchéris-je.

 Je réalisai mon aveu. Orialis ne nous avait jamais révélé officiellement qu’elle était une Gardienne. Mes joues s’empourprèrent.

– Ah, tu leur as enfin dit ! s’exclama le Limosien à l’adresse de la Noyrocienne.

– Pas vraiment, en fait…, confessa cette dernière. Nêryah l’a appris par l’Ombre… Pardon de vous avoir caché que je suis la Gardienne des Noyrociens. Lorsque vous m’avez rencontrée, je devais à tout prix préserver mon identité. J’ai survécu dans mon cachot grâce à la Pierre de Vie, et, comme vous l’avez deviné, je l’ai utilisée pour vous aider à sauver les terres des Guéliades.

– Orialis a détruit le système de protection du royaume de l’Ombre en cumulant le pouvoir de ses antennes avec celui de sa Pierre de Vie, complétai-je. Asuna l’a grandement aidée, et nous a maintes fois guéries. À elles tous les honneurs !

– Je n’en attendais pas moins de vous, répondit Avorian, se tournant vers la Noyrocienne. Je comprends ton secret, mais il en faut plus pour duper un vieux Guéliade comme moi. Et puis, cette troublante ressemblance avec ta mère et ta grand-mère… je connais bien ta famille, Orialis.

– J’étais donc la seule à ne me douter de rien ! rouspétai-je, me sentant soudainement mise à l’écart.

– Par respect pour notre chère Noyrocienne, j’attendais qu’elle se dévoile d’elle-même, me confia doucement Avorian.

 Un soleil rouge déclinait à l’horizon. Son disque prenait de l’ampleur au fur et à mesure qu’il descendait dans le ciel orangé, tandis que la lune beige stagnait un peu plus haut dans la voûte céleste. Les nuages se coloraient d’une belle parure carmine. Tout doucement, le firmament enluminé par ces teintes féériques s’enveloppa d’un manteau bleu sombre. Le nimbe flamboyant du soleil disparut derrière les montagnes, laissant sur son sillage apparaître quelques étoiles. La nature tout entière semblait retenir son souffle en cet instant de grâce. Les astres foisonnèrent dans l’espace, brillants de mille feux, comme pour nous rappeler la douceur de la lumière, promesse d’un crépuscule splendide et enivrant, à l’instar du paysage qu’il surplombait. J’adressai une prière pour notre allié, espérant que son âme soit apaisée, et qu’elle puisse, elle aussi, contempler ce paysage merveilleux.

 Avorian partit en compagnie de Swèèn et d’Asuna chercher des plantes comestibles ainsi que quelques baies dans les environs – les connaissances de la jeune Moroshiwa en matière de végétaux surpassaient de loin les nôtres.

 Orialis proposa de faire un feu, j’allai donc ramasser du bois avec elle dans la forêt.

 Les flammes commençaient à crépiter. Nous nous assîmes en cercle autour de l’âtre, mangeâmes et conversâmes avec entrain. Cela me rappela les bons moments passés avec les Komacs. Ils me manquaient tant.

 Pour la première fois depuis longtemps, une atmosphère chaleureuse régnait, mêlée à une pointe d’amertume. Je ne pouvais me départir de ma peine pour notre ami.

 L’Ombre n’allait sûrement pas abandonner si proche du but. Elle prévoyait d’envahir le monde des humains, de les anéantir.

Elle se vengera, songeai-je, pessimiste.

 Comment Sèvenoir s’en était-il sorti ? Ce contact télépathique indiquait-il qu’il se trouvait en ce moment même tout proche de nous, indemne ?

 Il agissait de façon si imprévisible !

 Nous le considérions tous désormais comme un allié.

 Son masque dissimulait son cœur, sa sensibilité. Je l’avais perçu dès notre première rencontre. Mais quel rôle jouait-il dans cette histoire ?

 Une brise fraîche me fit frissonner. Je me levai pour chercher une couverture et m’emmitouflai dedans.

C’est curieux, habituellement je ressens peu le froid. Je dois vraiment être fatiguée. J’aimerais tellement pouvoir me laver ! Je ne vois pas de cours d’eau ici, me plaignis-je.

 Orialis, visiblement absorbée dans la contemplation des flammes, releva la tête et se leva à son tour pour prendre de quoi se couvrir. Elle me tendit au passage l’une de nos dernières galettes de céréales. Je la croquai à pleines dents, puis attrapai quelques baies. Leur goût acidulé, juteux, me réhydrata quelque peu.

 Asuna mâchouillait des plantes, silencieuses. Vêtue seulement de longues feuilles cousues ensemble, elle ne semblait pas du tout craindre le froid.

 Je me pelotonnai contre Swèèn, caressant doucement son pelage argenté. Je le surpris à ronronner de plaisir. Cette réaction me fit sourire jusqu’aux oreilles. La lueur des flammes ondulait dans ses grands yeux gris perle. Une fois couverte, Orialis vint se coller contre son flanc droit.

 Je m’allongeai sous un ciel presque noir. Seules quelques étoiles et Héliaka procuraient un peu de lumière. Je ne distinguais même plus les montagnes ; il devait y avoir un peu de brume.

 Je m’endormis près du feu, bien au chaud, blottie contre Swèèn.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0