Chapitre 9 : Le cœur de la Reine des Fées

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 Je me sentais abattue. La jeune Moroshiwa s’approcha de moi pour prendre mes mains dans les siennes. Ses yeux jaunes or exprimaient tant de compassion. J’esquissai un sourire, hochant la tête pour lui signifier que j’allais me reprendre.

– Tu sais, intervint Orialis d’une petite voix, il a passé sa vie sous les ordres de l’Ombre, exécutant ses plans contre son gré. C’était un honneur pour lui de nous aider, et cela lui a permis de mourir libre, au lieu de vivre emprisonné.

 Elle posa une main sur mon épaule. Je séchai mes larmes. Asuna relâcha mes doigts en reculant lentement. Je lui soufflai un remerciement.

 Je me jetai dans les bras d’Avorian, étouffant mes sanglots dans son kimono.

 Je me sentais salie par ma propre colère. Je ne parvenais pas à accepter la mort du Métharcien qui s’était allié à nous. Comment Avorian pouvait-il se remettre de celle des siens, et continuer à vivre sans eux ? J’admirais son courage.

 Une autre idée, sombre, me hantait. Je m’inquiétais tellement pour Sèvenoir, toujours au combat. Allait-il s’en sortir indemne ? Je n’y croyais guère.

 Je me redressai, chancelante.

– J’ai l’impression d’avoir basculé vers le côté sombre… L’Ombre m’a obligée à tuer un Métharcien lors d’un combat, et ensuite, notre guide nous a sauvés au péril de sa vie… Puis Sèvenoir qui risque la sienne ! Je vois la mort partout autour de moi.

 Swèèn m’examina de son beau regard cendré, posa son museau contre mon épaule, puis me lécha gentiment la joue. Je lui adressai un demi-sourire, touchée par sa délicatesse. Je le serrai fort dans mes bras en ravalant mes larmes.

– Nêryah, que les choses soient claires une bonne fois pour toutes : l’Ombre t’a enlevée et forcée à combattre dans l’arène. Tu n’avais pas le choix, me rappela Orialis. Tu n’y es pour rien !

– Tu ne comprends pas la mort ? C’est normal… Qui le pourrait ? Tant que nous sommes en vie, nous ne le pouvons pas, fit Avorian d’une voix douce en me prenant tendrement par les épaules. Même s’il est difficile de l’accepter, nous ne devons pas pour autant nous sentir coupable de vivre parce que d’autres se sont éteints… ce serait gâcher un temps précieux. Au contraire, nous devons honorer nos amis défunts, tout en célébrant la vie.

– Il est normal de pleurer un ami, assura Asuna. L’homme masqué fait de son mieux pour nous. Comme l’a dit Avorian, croyons en lui ! Son pouvoir est grand, je le sens.

– Tu viens de vivre des expériences éprouvantes, très choquantes. Il faudra du temps pour digérer tout ce qui t’es arrivé. Tu es courageuse, Nêryah, déclara Arianna. Tu as combattu vaillamment, malgré ton chagrin. Notre allié ne pourra se reposer en paix si tu renonces à continuer ton chemin. Ne rends pas son sacrifice vain ! Son acte est empreint de noblesse, tout comme celui de Sèvenoir. Sois digne de leur choix, et avance !

– Comment puis-je supporter toutes ces épreuves ? me lamentai-je. Je ne veux plus tuer ! Plus jamais ! J’ai un affreux pressentiment. Comme si tout ceci était une sorte d’avertissement, un mauvais présage.

– Tu dis cela parce que ton âme est en détresse, me dit doucement Asuna.

 Orialis m’adressa un sourire maternel. Je voulais me montrer forte, pour eux, mais je me sentais complètement brisée.

 Arianna voletait autour de moi. Nous nous étreignîmes tous les six. J’éprouvai un élan de tendresse en voyant la fée nous entourer de ses petits bras comme elle le pouvait.

– Nêryah, nous allons prier et rendre grâce à ce brave Métharcien, accompagner son âme vers son prochain voyage, m’assura Swèèn. Excusez-moi de changer si promptement de sujet, mais… belle Asuna, vous m’avez brillamment guéri, et je vous en remercie, vous avez cependant omis de réparer ma pauvre patte défectueuse !

– Oh ! s’exclama la jeune Moroshiwa, la main plaquée sur sa bouche.

 Elle rougit, intimidée.

 Asuna et Arianna soignèrent de suite notre Limosien négligé.

 Je révélai aux autres les desseins de l’Ombre.

– C’est donc dans ce but que l’Ombre recherche les Gardiens et leurs Pierres de Vie ! s’exclama la reine des fées. Nous l’ignorions… il faut prévenir Orion.

– « Je veux simplement protéger Orfianne » nous a dit l’Ombre, se rappela Avorian. Je comprends mieux ce qu’elle entendait par là.

 Les trois maîtres de magie échangèrent un regard, l’air grave.

 De son côté, Arianna nous apprit qu’avec l’aide des fées, les peuples d’Orfianne repoussaient petit à petit leurs assaillants. Orialis lâcha un soupir de soulagement : les Noyrociens prenaient le dessus sur les Métharciens. Grâce à la reine des fées, les Ewaliens, qui devaient initialement voyager avec Orialis, savaient que cette dernière était désormais saine et sauve, et que leur Gardien, nommé Nayan, pouvait poursuivre sa route jusqu’au Royaume de Cristal, avec son escorte. Ils emprunteraient la voie des eaux, pour un voyage plus sûr – pratique quand on est sirène et ondin…

– Je dois partir, annonça Arianna après s’être assurée que Swèèn marchait correctement. Je reviendrai dès que vous serez à nouveau dans le pétrin, promis !

– Merci mille fois, Arianna, la gratifiai-je. Sans toi, je n’imagine même pas ce que nous serions devenus.

 Il était difficile de la prendre dans ses bras sans avoir peur de lui casser quelque chose, mais malgré sa petite taille – de la hauteur d’une très grande main – la reine des fées était certainement la plus robuste de nous six. Son regard s’assombrit. Elle baissa la tête. Sa prestance habituelle, digne, majestueuse, semblait avoir disparu.

 Je sentis qu’elle hésitait à ajouter quelque chose.

– J’aimerais rester à vos côtés, mais on m’attend au front. Ces derniers cycles… j’ai l’impression de ne plus remplir mon rôle de fée. Nous sommes censées embellir le monde par notre magie… et voilà que nous le transformons en champ de bataille, devenant de véritables guerrières !

 Nous nous sentions désolés pour elle. En la sollicitant de la sorte, nous contribuions à son déclin. Nous lui devions notre succès. Elle risquait d’en payer le prix. J’admirais sa force, sa sagesse, mais craignais néanmoins pour sa santé.

 Face à notre silence, elle ajouta :

– Je préviendrai Orion des projets de l’Ombre, et vous rejoindrai au Royaume de Cristal, dès que possible. Ma chère Nêryah, devine à qui j’ai confié la garde du village en mon absence ? C’est une fée qui te connait bien.

– Liana ! m’écriai-je en repensant à la merveilleuse petite fée qui nous avait guidés jusqu’à la grotte des feux sacrés.

– Oui ! Exactement.

 Je la regardai droit dans les yeux en lui demandant :

– Comment parviens-tu à surmonter toutes les épreuves ? Tous ces morts, ces combats que tu vis au quotidien ?

– Nêryah, je vois presque tous les jours des Métharciens attaquer, tuer des Orfiannais[1] ! Mais aussi mon peuple. Pour protéger les miens, je n’ai d’autre choix que de les combattre. Aujourd’hui, c’est un des leurs qui a péri, pour nous sauver. Nous ne faisons que nous défendre. Devrions-nous laisser les armées de l’Ombre nous tuer ? Cette créature a décidé de capturer tous les Gardiens ainsi que leurs Pierres pour asseoir son pouvoir. La violence des Métharciens dépasse ce que nous aurions pu imaginer. Même l’Ombre ne les contrôle pas aussi bien qu’elle le prétend. Ils sont extrêmement intelligents et pourraient très bien se retourner contre elle.

 Elle se tut un instant, puis sa voix se fit plus douce, moins assurée :

– Nêryah, tous les peuples me pensent et me veulent infaillible. Je ne le suis pas. Être immortelle, passerelle entre les mondes, n’enlève pas ma sensibilité. Ni ma tristesse, ma souffrance, ma vulnérabilité, quand je perds quelqu’un. Seulement, cette éternité m’aide à garder mon calme, à être juste, en toute circonstance. Cette attitude permet d’aider les autres, et d’avancer.

Elle avait raison. Arianna faisait tout son possible pour nous sauver. Elle passait sa vie à protéger les peuples d’Orfianne.

– Tu es si valeureuse…, lui soufflai-je. Merci pour cette leçon de sagesse.

– Au revoir, mes chers amis.

 En un clin d’œil, elle se volatilisa.

 Après son envol, nous prîmes le temps de prier pour notre allié Métharcien. J’improvisai une mélodie sur les mots : requiem aeternam, dona nobis pacem, restant fidèle à mes origines Terriennes.

 Je fus interrompue par une intrusion télépathique dans ma tête. Un timbre que je connaissais si bien.

 « Ta voix est si belle… »

[1] Arianna fait la distinction entre les Orfiannais et les Métharciens, car ces derniers ne sont pas natifs d’Orfianne : ils ont colonisé la planète il y a des siècles.

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