Chapitre 8 : Prière

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 Tout redevint silencieux. Je me sentis à la fois mère et louve. Une force indescriptible criait dans mes entrailles. « Je veux protéger mes enfants », soufflait mon instinct maternel, à l’égard d’Orialis et d’Asuna.

 J’entendis mon nom à plusieurs reprises. Quelqu’un me tenait dans ses bras. J’ouvris légèrement les yeux, encore trop sonnée par le choc de la déflagration. Penchée au-dessus de mon corps, Orialis se mit à sangloter, se mordant la lèvre inférieure, soulagée de me voir en vie.

 Elles allaient bien ! Mon bouclier avait tenu bon.

 Nous nous trouvions dans le large couloir aux murs luminescents turquoises. La salle du trône devait être complètement détruite, vue l’ampleur de la déflagration.

 Asuna nous prévint qu’elle venait de contacter nos amis par télépathie. Une lumière blanche apparut, Avorian et Swèèn arrivèrent les premiers. Ils semblaient gravement blessés. Le Guéliade, courbé, n’affichait plus sa fière allure. Le Limosien ne pouvait plus poser sa patte-avant gauche par terre. Son museau se trempait d’un sang argenté. Cela me faisait terriblement mal de les voir dans cet état. Arianna se matérialisa, quant à elle, indemne. Elle n’était pas la reine des fées pour rien.

– Où est Sèvenoir ? m’inquiétai-je.

– Il retient encore l’Ombre…, me répondit cette dernière.

 J’entendais le son de combats tout proche de nous. L’homme masqué était en train de risquer sa vie pour nous sauver. Je refusais de perdre un autre ami.

 Je voulus rétorquer qu’il fallait l’aider ; Orialis poussa un cri à la vue d’Avorian qui s’écroulait de tout son long, sa main plaquée contre sa bouche. Un nouveau flot de larmes coula sur ses joues déjà humides et irritées par le sel, ses yeux agrandis de stupeur.

 Swèèn battit des ailes, voulant secourir son ami, mais il trébucha, incapable de se mouvoir. Arianna, imperturbable, vola au secours de nos pauvres compagnons, gisant sur le sol, pour débuter les soins. La jeune Moroshiwa accourut elle-aussi avec sa Pierre de Vie. Elle s’agenouilla auprès de Swèèn, tandis que la fée s’occupait d’Avorian.

 Comme à chaque fois, les plaies de nos héros se refermèrent d’elles-mêmes, pour disparaître totalement, sans laisser de trace.

 Quelques secondes plus tard, Avorian s’éveilla. Je sentis sur mon visage un léger courant d’air, provoqué par les battements d’ailes d’Arianna.

 Orialis resserra son étreinte autour de moi.

– Partons d’ici, vite ! nous précipita Arianna. Sèvenoir ne pourra pas retenir l’Ombre bien longtemps.

 Je me relevai subitement, quittant les bras de la Noyrocienne.

– Non ! On ne peut pas le laisser là ! On s’évade d’ici avec lui ! protestai-je.

 Avorian s’approcha de moi, prit doucement mes mains dans les siennes en murmurant :

– Fais-lui confiance, Nêryah. Il va s’en sortir. Sans son aide, nous ne pourrons pas nous téléporter.

– L’Ombre convoite son pouvoir, il ne risque rien, renchérit Arianna.

– … juste d’être gravement blessé ! complétai-je, hargneuse. Fuyez ! Moi je reste combattre à ses côtés.

 La reine des fées, Swèèn et Avorian échangèrent un regard, l’expression grave.

 Alors que j’allais courir pour rejoindre Sèvenoir, le mage me saisit par les épaules pour me maintenir contre lui, mon dos appuyé sur son torse, il m’obligea à croiser mes bras contre ma poitrine, tenant fermement mes poignets. Orialis et Asuna s’étaient rapprochées de Swèèn. Un éclat aveuglant nous encercla. Tout notre petit groupe s’éclipsa du royaume, aucune barrière magique ne put contrer la magie de la fée et du Limosien. Je me sentis aspirée dans un tourbillon, mon corps et mon esprit disloqués dans une autre dimension.

 Nous réapparûmes à la lisière d’une forêt. Au loin, de hautes montagnes se dessinaient derrière nous. Une vaste plaine s’étendait entre les bois et les monts enneigés.

 Avorian et Swèèn titubaient, éreintés. Ils avaient grand mal à retrouver leur équilibre. L’Ombre, à l’image d’un trou noir, les avait vidés de leur forces, aspirant leur énergie vitale.

 La téléportation avait demandé une énergie considérable à nos maîtres de magie.

 Je me sentais ravagée par ma propre tristesse. Rien ne pouvait décrire l’intensité de ma peine, ni la rancœur sombrant dans mes entrailles. Je n’arrivais même pas à pleurer. Je voulais voir Sèvenoir, m’assurer qu’il soit sain et sauf. Pourquoi risquait-il sa vie pour nous ?

 Quelque chose était en train de se briser en moi. Notre voyage prenait une tournure bien sombre. Il y aurait d’autres morts, sans aucun doute. Des Orfiannais se battaient en ce moment même pour protéger leur nation, et je ne pouvais rien y faire. Je me sentais impuissante, désespérée. À quoi servaient donc les Pierres de Vie ? Elles pouvaient rendre fertiles les sols les plus pauvres, apporter la lumière et l’eau, mais demeuraient inefficaces contre les êtres des ombres. Ces monstres engendrés par les émotions des humains semblaient invincibles.

 Je saisissais un peu mieux ce qu’Avorian ressentait. Il avait vu son peuple disparaître sous ses yeux, et surtout, perdu sa propre fille. Il ne parlait jamais de sa femme, elle aussi certainement morte pendant la bataille. Je comprenais à présent pourquoi il lui était si difficile de me parler de mon histoire, de notre histoire. Sa peine, trop grande, le dévorait de l’intérieur. Il n’arrivait pas encore à se confier, ni à se libérer de ce drame.

 Le cœur et l’âme meurtris, je m’écroulai à genoux, abattue.

– Nêryah ! s’alarma Orialis en me prenant dans ses bras.

 Avorian lui sourit, l’air serein, s’approchant pour nous serrer toutes deux contre lui, si bien que je me retrouvai littéralement écrasée au milieu. Je poussai un « eh ! » de mécontentement.

– Elle va bien. Regarde, elle continue de râler ! plaisanta le mage.

 Sa remarque fit rire la Noyrocienne. De nervosité, sans aucun doute, car cela n’avait rien d’amusant !

 Mes amis se réunirent autour de moi, leurs mains compatissantes sur mes épaules. La souffrance qui m’habitait m’empêchait d’apprécier leur présence. J’entendais le son de leur voix, mais je me sentais encore perdue entre deux mondes, le regard dans le vague.

 Je me relevai, leur exprimant ma gratitude par un sourire doux et triste à la fois.

– Sommes-nous en sécurité ? s’enquit Asuna.

– Oui, on s’est volatilisés assez loin du royaume, répondit Arianna.

– Nous avons contaminé la muraille magique de l’Ombre, puis une boule noire est apparue, relata la jeune Moroshiwa. Nêryah l’a détruite, et nous a protégées avec son bouclier.

– Un Métharcien est devenu notre allié. Il a déprogrammé le système de protection du royaume. Son aide nous a été précieuse, déclarai-je d’un ton triste.

Je descendis les yeux vers mes mains, perdue, affligée de n’avoir pu le ramener à la vie.

– Ah… ma chère Nêryah, en n’importe quelles circonstances, tu as la capacité de te faire des amis, c’est décidément très utile ! plaisanta Avorian.

– Mais il est mort pour nous sauver, ponctuai-je, ne l’écoutant pas.

– Oh… je souhaite que son âme se réincarne dans un monde paisible, énonça doucement la petite Asuna, compréhensive.

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