Chapitre 5 : Le cercle reformé

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 Sa terrible voix résonna :

– Quelle chance ai-je aujourd’hui de recevoir non seulement un Limosien si majestueux, un Guéliade, véritable relique d’un peuple disparu, accompagnés d’Arianna… la reine des fées en personne. Oh, Sèvenoir ! Quel honneur ! Ma demeure t’aurait-elle manqué à ce point ? Et… merveille des merveilles ! Notre petite Gardienne Moroshiwa. Décidément, à chaque fois que je tente de t’attraper, tu t’éclipses, faisant honneur à la réputation de ton peuple. Maintenant c’est toi qui viens me rendre visite. Les êtres vivants sont vraiment curieux…

 Sur ces mots, la créature se métamorphosa pour imiter la morphologie d’Avorian. On reconnaissait son yukata, ses cheveux mi-longs et sa stature noble. Le tout restait obscur, sans détail ni couleur.

– Je suis impressionné ! déclara-t-elle. Je ne t’avais pas surestimée, Nêryah : ta magie est extraordinaire. Je vous ai observés avec grande attention, et laissés détruire mes systèmes de défense. Quelle volonté inébranlable ! Mes précieuses Gardiennes, vous feriez d’excellentes recrues. J’ai été tout aussi fasciné par tes prouesses, Sèvenoir. Rappelle-toi, mon cher apprenti : tu es ici chez toi. J’étais loin d’imaginer qu’un traître dirigeait mes Métharciens !

 L’Ombre reprit son aspect initial, nous dardant de ses yeux immenses. Son amas de ténèbres entouré d’un halo violacé se mouvait lentement, telle une onde à la surface de l’eau.

 Cette dernière remarque me fit l’effet d’un coup de poignard. Notre malheureux sauveur avait réussi à duper l’Ombre, jusqu’au bout.

– Vous ne pourrez pas vous enfuir. Mon royaume sait se protéger… si l’une des défenses est anéantie, une autre se remet en place. Vos pitoyables tentatives resteront vaines. Les humanoïdes ont un esprit tellement limité !

– Je ne suis pas humanoïde, clama fièrement notre Limosien, ne me mettez pas dans le même sac ! J’ai quatre pattes, deux ailes et un formidable cerveau, moi !

 Les nerfs à vif depuis des jours, j’eus presque envie de rire malgré le drame qui se profilait.

 L’Ombre s’amusa à prendre sa forme pendant quelques secondes, puis celle d’Arianna, reconnaissable à ses ailes de papillon, mais en de volatiles nués noires. La créature s’amusait à devenir leur reflet. Elle cessa brusquement son petit jeu pour retrouver sa masse ténébreuse.

– Je suis navré, mais j’ai besoin des Gardiennes ici présentes pour une mission très importante. Je vous remercie de me les avoir apportées, et vous prie de partir, somma l’Ombre aux autres, d’un ton excessivement poli.

– Hors de question ! tançai-je à la créature. Vous nous avez emprisonnées ! Vous m’avez obligée à me battre et à tuer un Métharcien ! Et à cause de vous, celui qui a eu le courage de nous aider est mort ! Vous nous voyez comme des machines à tuer, juste bonnes à détruire l’humanité. Nous ne serons jamais vos pantins !

 Avorian et Arianna semblaient choqués par ces révélations. Ils me dévisageaient, interrogatifs. Ignoraient-ils les manigances de l’Ombre ?

– Nous sommes les Gardiennes d’Orfianne, compléta Asuna d’une voix posée.

 Moi qui m’emportais si facilement, la petite Asuna, quant à elle, maîtrisait ses émotions, même en situation de danger.

– Tu crois me haïr, jeune enfant… mais en vérité, tu aimes tout le monde, et ce, en dépit de l’apparence, affirma l’Ombre à mon intention. Tu pardonnes, si facilement, et c’est bien là ta faiblesse.

 L’Ombre se transforma en Sèvenoir. Mon point faible. Je ne me laissai pas troubler. La créature voulut s’approcher, mais je produisis une décharge d’énergie – purement émotionnelle – qui la fit reculer. Elle trembla en reprenant sa forme neutre.

– Tu ne pourras jamais contrôler les Gardiennes. Leur puissance et leur volonté te font peur, n’est-ce pas ? provoqua Avorian, impassible.

– Détrompe-toi. Tôt ou tard, elles changeront de voie et viendront me rejoindre dans notre cause commune. Tu le sais mieux que quiconque, Avorian.

– N’en sois pas si sûr ! Ton orgueil te perdra, trancha Sèvenoir, d’une voix forte et assurée.

– Vous devriez pourtant comprendre. Je ne fais, tout comme vous, que protéger Orfianne ! Si nous laissons faire les Terriens, d’autres peuples Orfiannais disparaîtront ! Mon existence prendra fin avec celle des humains. Grâce à ce sacrifice, tous les êtres des ombres périront. Vous vivrez enfin en paix.

– Cette solution est bien trop extrême ! rétorqua Orialis. Elle n’apporterait que souffrance !

 Sèvenoir passa à l’offensive : il projeta un large rayon de ténèbres vers son ancien maître. Un vent puissant sortit de l’Ombre, faisant disparaître le faisceau, comme dispersé par un souffle magique. Il décocha alors plusieurs sphères rougeâtres que l’Ombre dévia machinalement par un simple mouvement de sa masse sombre. Elles s’écrasèrent contre l’armoire qui éclata en mille morceaux.

 Orialis plaça ses bras devant elle pour se protéger des débris, mais reçut un bon nombre d’échardes sur ses avant-bras. Elle poussa un petit cri. Le ventre noué, je voulus l’aider, mais Arianna fut plus rapide que moi : elle fit disparaître les aiguillons à l’aide de sa magie et soigna immédiatement les petites plaies de la Noyrocienne. L’Ombre la laissa faire, elle semblait se délecter en observant la scène. Son indifférence à nos assauts nous glaçait le sang.

 Avorian se posta devant moi aux côtés d’Arianna, de Sèvenoir et de Swèèn. Orialis plia les genoux, levant ses mains devant sa poitrine pour se préparer à une prochaine attaque. Asuna se plaça entre eux, de façon à fermer le cercle, décidée elle aussi à combattre. L’émotion me submergea. Je serrai les poings. Je ne parvenais toujours pas à capter l’énergie d’Orfianne.

 Arianna stabilisa son vol juste devant l’Ombre, sans tressaillir. Elle n’avait pas prononcé un mot depuis son arrivée, s’étant faite discrète. Elle passa à l’action. Un jet multicolore sortit de ses fines mains. L’Ombre se défendit avec une rapidité déconcertante, contrant l’attaque par une nouvelle bourrasque, comme si elle anticipait chacun de nos mouvements. Le rayon la bouscula malgré tout. Notre adversaire riposta en lançant une nuée noire vers la fée qui fit disparaître le nuage sans dommages.

 Pendant ce temps, je remarquai qu’Asuna fermait les yeux, le visage concentré. Elle murmurait quelque chose. Un halo doré naquit de son corps pour l’entourer totalement. Ses pieds quittèrent le sol d’à peine quelques centimètres, tandis que de multiples petites lueurs jaunes, provenant de son aura, se déplaçaient dans l’espace. Elles s’installèrent immédiatement autour de l’Ombre. Cette dernière, au lieu de réagir, contemplait le spectacle en murmurant : « fascinant ! ». En effet, c’était magnifique. Les spores dorées enrobaient notre ennemi, sans pour autant pénétrer son amas sombre. À quoi pouvaient-elles bien servir ?

 J’entendis la voix d’Asuna résonner dans ma tête : « je viens de l’immobiliser pour quelques minutes, mais cela ne durera pas longtemps ». Elle venait certainement d’adresser ce message télépathique à chacun d’entre nous.

 Avorian me sortit de ma torpeur en me chuchotant à l’oreille :

– Sauvez-vous, Asuna, Orialis et toi. Cherchez un moyen de sortir du royaume, on se contactera par télépathie. On s’occupe de l’Ombre.

 Je pris mes deux compagnes par la main pour les entraîner en trombe en dehors de la chambre. Notre adversaire, pétrifié par le pouvoir de la Gardienne des Moroshiwas, ne put nous empêcher de décamper.

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