Chapitre 4 :  Un royaume vivant

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 Orialis et moi échangeâmes un regard, anxieuses. Je baissai les yeux. Un sentiment d’impuissance m’envahit :

– Quelque chose nous échappe, je ne peux toujours pas ressentir la magie d’Orfianne. Ce maudit souterrain nous coupe encore du monde extérieur !

– Le royaume de l’Ombre a bien changé depuis que je m’en suis enfui, commenta Sèvenoir. Mais je peux dire que sa muraille magique est un système très complexe. La salle du générateur est-elle le seul endroit où vous avez opéré avec votre allié ?

– Oui…, confirmai-je.

– Alors ce ne sera pas suffisant.

 Je l’étudiai fixement, silencieuse. Cela voulait-il signifier que notre ami s’était sacrifié pour rien ? Un sentiment de rancœur me submergea. Impossible de chasser ces images sordides de mon esprit : son visage figé, son sang céruléen maculant ses vêtements... Ces visions me hantaient. Une vague de chagrin m’envahit.

 Je réalisai enfin. C’était donc cela qu’il voulait dire… Décidément, il nous avait réellement sauvés, et ce, bien au-delà de nos espérances. Je révélai aux autres mes hypothèses :

– Avant de mourir, le Métharcien a prononcé quelque chose dans ma tête : « pilier ». Je pense qu’il devait parler des colonnes avec l’espèce de tuyau au liquide violet. C’est ça qui alimente tout le royaume, et le rend vivant !

– C’est en lien avec l’aura de l’Ombre, expliqua Sèvenoir. Rien n’est fait au hasard chez elle, rien d’inutile. Tout sert à quelque chose.

– Mais oui ! Son halo lumineux est violet ! réalisai-je. Le système est directement lié à elle ! Je crois que ce liquide réagit comme un anticorps. Tant qu’il s’écoule librement, notre magie demeurera inefficace, car c’est ce qui donne vie au royaume et le fait interagir avec le monde extérieur. La salle du trône est pleine de ces tuyaux. Et il y en avait aussi enroulés aux piliers de la salle au générateur ; nous avons tout détruit là-bas, mais il reste les autres !

– Tu penses qu’il faut les couper pour stopper l’alimentation des boucliers ? proposa Orialis.

– Je ne suis pas sûre que ce soit la solution. C’est une hypothèse mais… ce liquide semblerait être le sang du royaume ; une énergie dotée d’une intelligence et d’une réactivité. Elle peut donc se défendre ou reconstituer les boucliers. Tout comme nos cellules réagissent aux microbes, aux virus, par exemple. On pourrait couper cette alimentation, pour empêcher la circulation du liquide, sauf qu’il y a plusieurs veines… ce ne sera pas suffisant. Il faudrait plutôt le contaminer, à la manière d’un virus, afin qu’il se propage partout, puisque j’imagine que tous les tuyaux sont reliés quelque part et que la salle au trône de cristal est le centre névralgique du royaume.

– Je vois ce que tu veux dire. Et si tu essayais d’infecter le système avec ta magie ? continua Orialis.

 Un flash de lumière apparut soudain, interrompant nos réflexions. Orialis sursauta.

 Arianna se manifesta au milieu d’un tourbillon de paillettes. Ses magnifiques ailes battaient lentement. Elle portait sa longue robe blanche dont les larges manches s’évasaient de chaque côté. Une couronne de fleurs maintenait ses cheveux en arrière. Je fus à nouveau surprise par sa grande taille, d’environ vingt-cinq centimètres.

 Quelques secondes plus tard, Avorian et Swèèn arrivèrent dans un deuxième éclair, accompagnés d’une fillette.

 Enfin ! Ils étaient là ! L’enfant, âgée d’environ huit cycles, nous observa de ses grands yeux jaunes, brillants comme de l’or. De longues lianes parsemées de fines feuilles oblongues remplaçaient les cheveux sur sa tête.

– Nêryah ! Orialis ! s’écria Avorian, nous serrant tour à tour dans ses bras. Merci de les avoir protégées, ajouta-t-il à l’adresse de Sèvenoir.

 Ce dernier resta de marbre. Je pouvais presque deviner la dureté de son regard d’acier.

– Voici Asuna[1], Gardienne des Moroshiwas, annonça Swèèn, comme pour détendre l’atmosphère.

La petite Gardienne à la peau verte était vêtue de larges feuilles cousues en une tunique qui lui arrivait aux genoux. Ses lèvres violettes contrastaient admirablement bien avec la couleur de son épiderme. Un sourire timide flottait sur son doux visage. Nous la saluâmes poliment. Je lui adressai un regard encourageant. Elle porta une main à son sac en bandoulière, comme si elle voulait vérifier quelque chose.

 Je n’y prêtai pas attention : Orialis et moi nous jetâmes sur le lion ailé pour le câliner.

– Je suis tellement soulagé de vous revoir, saines et sauves ! reprit Avorian.

 Il s’approcha de moi, passa tendrement sa main dans ses cheveux. Il me détailla de la tête aux pieds, puis examina quelques instants mes yeux, comme s’il voulait y capter tout ce que je venais de vivre ici.

– Vous avez donc retrouvé la Gardienne, réalisai-je, émue de le retrouver.

– À vrai dire, c’est plutôt elle qui nous a trouvés, et qui nous a brillamment aidé à nous sortir d’un mauvais pas ! rectifia Swèèn.

 Asuna rosit légèrement, et nous confia :

– Quand ma mère m’a dit que vous alliez faire route avec moi, j’ai rebroussé chemin. Dans la forêt ténébreuse, j’ai entendu des bruits de combats, et perçu la lumière de vos pouvoirs. J’ai immédiatement compris en voyant voler Arianna au loin qu’il s’agissait de vous. Je me suis rendue invisible pour rejoindre Avorian et le Limosien, ensuite, ma Pierre de Vie nous a tous transportés loin des Métharciens.

– Il faut nous volatiliser maintenant, trancha la reine des fées, imperturbable.

– Je ne peux que vous faire léviter, s’excusa Asuna.

– Je vais vous y aider, assura Sèvenoir. Je m’occupe de Nêryah.

– Et moi d’Orialis, intervint Swèèn.

– Parfait, approuva Avorian. Arianna, si tu veux bien te charger de moi et d’Asuna ?

 Nos maîtres de magie se mirent au travail, unissant leurs pouvoirs. Une lumière jaillit de leurs corps, tournoya autour de nous. Nous montions – volions – vers le plafond, transportés par cet éclair. Mais lorsque nous atteignîmes le point culminant, une force nous propulsa vers le sol.

 Arianna réagit instantanément : elle généra une bourrasque qui nous fit atterrir en douceur sur le plancher de la chambre.

 Le royaume de l’Ombre ressemblait à une prison.

 Nous nous redressâmes d’un bond, aux aguets.

– Toute la demeure est protégée contre les tentatives d’évasion, énonça tout haut Sèvenoir, comme s’il traduisait nos pensées. Nêryah avait raison, il faut couper définitivement ce qui alimente les boucliers.

 À peine avait-il prononcé ces mots que deux grands yeux rouges apparurent dans la chambre. Les capes immatérielles de l’Ombre sortirent du vide, tourbillonnantes, comme si une tempête régnait éternellement en lui. L’étrange halo violacé autour de la créature accompagnait le moindre de ses mouvements.

[1] Se prononce « Asouna ».

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