Chapitre 3 : Chute abyssale

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 Je m’éveillai, me redressai légèrement ; mon bouclier avait disparu.. La brume s’étiolait. Autour de moi, tout était détruit : le réceptacle aux nuages magiques, le cône ; il ne restait plus rien. Un sang bleu ruisselait sur le sol. J’enjambai les décombres pour retrouver les autres. Je lâchai un hoquet de surprise : une multitude de cadavres de Métharciens jonchaient ce qui ressemblait à un véritable champ de bataille.

Comment est-ce possible ? Nous n’avions vaincu que cinq gardes !

 Combien de temps étais-je restée inconsciente ? Que s’était-il passé ?

– Orialis ! Sèvenoir ! appelai-je, angoissée.

– La Noyrocienne est blessée, mais en vie, me répondit la voix de Sèvenoir, sombrement.

 Je le découvris assis un peu plus loin, tenant le corps de mon amie. Je m’approchai ; les plaies de la courageuse Gardienne suintaient d’un sang verdâtre. Son bouclier n’avait-il pas tenu pendant la chute ?

 Je traversai les débris d’un bond pour m’agenouiller à son chevet, puis tentai d’utiliser mon pouvoir de guérison sur son corps inanimé. Rien ne sortait de mes doigts. Pourquoi ne pouvais-je toujours pas me connecter à Orfianne ? Nous venions pourtant de neutraliser les systèmes de défense de l’Ombre.

 Je sortis ma Pierre de Vie de mon bustier.

Guéris la Gardienne des Noyrociens ! Prête-moi ta force pour panser ses blessures ! l’implorai-je mentalement.

 Le joyau, émissaire de la Vie, exauça ma requête. Il brilla de sa douce lueur argent, puis de fins rubans de lumière se déroulèrent sur le corps de mon amie et parcoururent sa peau pour s’arrêter sur chaque lésion, qui se refermèrent aussitôt. Quelques instants plus tard, Orialis inspira profondément.

 Sèvenoir la déposa délicatement contre moi afin qu’elle se réveille dans mes bras. Lorsqu’elle ouvrit finalement les yeux, je me mis à pleurer à chaudes larmes. Mes émotions débordaient de moi. Je me sentais complètement dépassée, mais il fallait se reprendre, et vite sortir d’ici.

– Nous avions un allié Métharcien, où est-il ? m’enquis-je.

 L’homme masqué ne répondit pas. Il désigna le fond de la salle d’un geste.

– Que s’est-il passé ? continuai-je, de plus en plus anxieuse. Pourquoi y a-t-il autant de dépouilles ennemies autour de nous ?

 Il baissa la tête, la secouant lentement. Impossible de déchiffrer son expression à cause de son masque. Pourquoi ne voulait-il pas m’expliquer ?

 Orialis, encore engourdie, nous regardait tour à tour, perplexe.

 Je poussai doucement mon amie sur le côté pour qu’elle puisse s’assoir et émerger tranquillement. Je me relevai. Mon corps me faisait horriblement souffrir, me donnant l’impression que l’on m’avait criblée de coups. J’avançai dans la direction montrée.

 Je reconnus notre ami, étendu au milieu des fragments de pierres et de métal.

 Je le regardai, choquée, la bouche entrouverte, incapable d’assimiler la terrible vérité. Je m’accroupis à côté de son corps inerte, saisis ma Pierre de Vie, et reformulai mon incantation. Je la posai contre lui, puis mes mains sur son buste. Il ne respirait plus. Je ne ressentis pas de battements de cœur dans mes paumes. Je ne connaissais rien de l’anatomie de ces créatures, mais tout m’indiquait que la vie l’avait quitté. Sa tunique était recouverte d’un sang céruléen. Mon corps tremblait, ressentait ce que mon esprit refusait d’admettre.

 La magie de la Pierre n’agissait pas. J’invoquai mon propre pouvoir de guérison, puisant dans mes dernières forces. Ma volonté de le ressusciter l’emportait : la lueur verte naquit dans mes doigts, s’écoula sur son corps, mais aucune plaie ne se refermait. Incapable de faire preuve de discernement, je continuai vainement le processus et repoussait une fois de plus mes limites.

– Arrête ! me cria Sèvenoir. Ne gaspille pas ton énergie inutilement ! Le pouvoir de guérison peut affecter notre propre vitalité, surtout quand on le tire de nos émotions ! C’est fini…

 Je ne l’écoutai pas, poursuivant mes efforts.

– Je suis désolée, Nêryah, continua-t-il. Pendant que toi et ton amie êtes restées inconscientes, un bataillon de Métharciens est venu nous attaquer. Votre allié s’est vaillamment battu à mes côtés. Ses congénères l’ont tué ! J’ai tout fait pour vous protéger, et pour le défendre. Mais nous n’étions que deux ! Ses blessures étaient trop graves. C’est trop tard…

 Je stoppai la lueur verte. Orialis me rejoignit. Elle m’entoura de ses bras.

– Non ! soufflai-je, chancelante, totalement effondrée. Il… il nous a donné sa vie !

– Nous ne pouvons pas rester ici, les renforts vont arriver, prévint-elle, la tête sur les épaules.

– Mais… on ne va pas le laisser comme ça ! protestai-je, la voix interrompue par mes sanglots.

– Nous n’avons pas le choix. Nous devons nous échapper, en son honneur… et rester vivantes, qu’il ne se soit pas sacrifié en vain, répondit-elle solennellement.

– Je sais que tu as raison, mais…, commençai-je, en larmes.

 La Gardienne me serra un peu plus fort contre elle. « Courage ! » me souffla-t-elle à l’oreille en saisissant mes bras pour redresser mon buste. Elle planta son magnifique regard gris-jaune dans le mien. Je tentai de reprendre mes esprits.

– Peut-on vraiment faire confiance en cet homme masqué ? murmura Orialis pour que je sois la seule à l’entendre.

– Nous lui devons la vie, assurai-je.

 Elle acquiesça d’un signe de tête.

 Je me relevai péniblement, tout ensuquée, titubant autant à cause de ma peine que de mes jambes endolories. Orialis me jeta un regard désolé. J’essuyai mes larmes du revers de ma main en adressant une dernière fois la parole à notre sauveur :

– Cher ami, tu es mort en héros, pour nous. Tu n’avais aucune raison de nous sauver, ni de trahir ton maître, mais tu l’as fait spontanément. Cet acte de bravoure sera à jamais gravé dans nos mémoires. Nous ne connaissions même pas ton nom, mais nous nous souviendrons de toi éternellement. Merci à toi.

 Sèvenoir nous fit signe de partir. Nous quittâmes la salle en silence, le cœur lourd. Nous devions contourner les éboulements obstruant le chemin. Les colonnes s’étaient écroulées lors de l’explosion, une à une. Les murs faits de cette étrange matière flexible demeuraient, quant à eux, intacts.

– Cachons-nous vite quelque part, commanda-t-il, imperturbable.

 Encore trop chamboulée pour réfléchir, je pénétrai une pièce au hasard, dans le couloir. Je réalisai que les sas immatériels avaient tous disparus : plus de barrage magique, les différentes salles étaient enfin ouvertes. Notre sortilège avait donc partiellement fonctionné. Alors pourquoi ne pouvais-je toujours pas ressentir ma planète ?

– Non, Nêryah ! objecta Orialis en m’attrapant par le bras. C’est beaucoup trop proche de l’impact, on va nous chercher dans le secteur. Je propose de retourner à ta chambre, c’est sans doute le premier lieu qu’ils ont fouillé, et maintenant le dernier où ils penseront nous trouver. On tentera d’y contacter Avorian, Swèèn et Arianna. J’ai mémorisé le chemin jusqu’à la salle aux statues, suivez-moi !

 Nous galopâmes jusqu’à l’emplacement du trône de cristal. Je réalisai que cet endroit se trouvait vraisemblablement au centre du royaume souterrain. À chaque fois, nous étions passés par là pour aller quelque part. Un agencement astucieux, qui montrait encore une fois le côté mégalomane de l’Ombre.

– Il devrait y avoir plein de gardes à nos trousses, souligna Orialis. C’est curieux que l’on n’en ait pas croisés. Vous avez vraiment fait des ravages ! ajouta-elle à l’adresse de Sèvenoir.

 Ce dernier fit une brève révérence pour la remercier ; il le prenait comme un véritable compliment.

– Mon pouvoir est trop faible, déclara-t-il. J’ai utilisé toute mon énergie pour pouvoir me volatiliser jusqu’ici, puis pour vous défendre. Je ne peux pas nous ramener à l’extérieur tous les trois.

 Sa remarque me fit songer à notre allié Métharcien. J’essayais d’endiguer le chagrin qui montait en moi. Depuis que je me trouvais dans ce royaume, j’avais rencontré peu de ses congénères. Il était probable que Sèvenoir et lui avaient réellement vaincus le régiment entier. Mais qu’en était-il de l’Ombre ? Qu’attendait-elle pour nous attaquer ?

 Nous jetâmes un coup d’œil à l’intérieur de la salle aux statues – elle aussi privée de son sas violacé – avant d’y pénétrer. À notre grande surprise, toujours pas d’ennemis en vue. Nous la traversâmes sans encombre.

– Où sont les gardes ? s’étonna une nouvelle fois Orialis.

 Comme je me souvenais du trajet pour retourner à ma chambre, ce fut mon tour de prendre la tête de notre expédition. Nous ne rencontrâmes toujours pas de sentinelles.

 Une fois arrivés, je refermai la porte dernière nous.

Pas terrible, notre planque, mais bon ! pensais-je.

 Orialis et moi tentâmes de communiquer avec Avorian et Swèèn par télépathie, pour leur donner la localisation précise de notre point de ralliement. Nous recommençâmes plusieurs fois. Quelque chose n’allait pas. Notre ami était-il mort en vain ? Tandis que Sèvenoir veillait à notre sécurité, surveillant l’entrée, je repris la fleur magique.

– Je ne comprends pas, j’ai invoqué Arianna, elle aurait dû pouvoir nous rejoindre ! Les fées ont la capacité de passer d’un monde à l’autre, même l’Ombre ne peut rien contre cela. De même que Swèèn et Avorian, ils devraient pouvoir se téléporter directement jusqu’ici, maintenant. Pour Swèèn, c’est un jeu d’enfant !

 Les Limosiens comme les fées pouvaient se volatiliser à leur guise, et même dématérialiser d’autres corps que le leur avec eux. Lors de mon second enlèvement par Sèvenoir, dans l’église, Swèèn avait pu nous téléporter, moi et Avorian.

 L’homme masqué se retourna subitement vers nous :

– Ton sort a bien fonctionné… cela fait deux jours que la reine de fée tente de sauver ce vieux Guéliade décrépi. Elle sait pertinemment que l’Ombre a besoin des Gardiens – en vie – pour réaliser ses plans. D’une certaine manière, vous étiez en sécurité, contrairement au mage. Arianna fait au plus urgent !

 Orialis fit la moue.

– Mais… vous avez pu venir si facilement, comment est-ce possible ? l’interrogea-t-elle.

– Grâce à l’Ombre, mon ancien maître, je peux me volatiliser aisément, contrairement à vous. Le Limosien aurait pu venir, mais il porte secours à votre ami… il ne l’abandonnera jamais !

– Comment savez-vous tout cela ? réalisai-je, méfiante.

– Dans la forêt ténébreuse, lorsque j’ai été touché et blessé par l’Ombre, un bataillon de Métharciens approchait. Je n’allais pas survivre. Mais Avorian et Swèèn m’ont porté secours. J’ai combattu à leurs côtés en retour… lorsque la muraille magique de l’Ombre s’est affaiblie, grâce à vos pouvoirs, je me suis volatilisé pour vous rejoindre. Je ne la laisserai pas te prendre, Nêryah, ni abuser de ta magie.

 J’avais du mal à croire ce que je venais d’entendre. Sèvenoir, qui avait toujours considéré Swèèn et Avorian comme des ennemis, venait de s’allier avec eux ? Ce revirement soudain tombait à pic. Le mage avait toujours regretté cette animosité entre eux, et souhaité la paix.

 Son vœu s’était enfin exaucé dans de bien sombres circonstances.

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