Chapitre II

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La nuit fut brève mais reposante. Pourtant ce matin tout neuf, j’envisageais la situation avec une lucidité différente, toute aussi forte. Non que je remette en question mon envie de me lancer dans ce passionnant voyage de mort, bien au contraire, après analyse c’était le manque qui tendait mes tripes et amplifiait mon anxiété naturelle. Je n’avais rien à faire ce matin à part en priorité dénicher une clope dans mon doux fatras. N’ayant relativement pas fait d’excès de boisson la veille, j’estimais que mon organisme supporterait un café soluble à l’eau chaude. Je m’installais sur ma petite terrasse dans mon fauteuil en skaï me caressant distraitement le sexe sans intention de masturbation. Je remplissais mes poumons de cette nicotine bienfaisante, le fameux Fumer Tue me fit cyniquement sourire. Les toits de tuiles orange qui couvraient la ville s’irisaient des premiers rayons du soleil, le ciel était limpide et l’air toujours aussi tiède. Mon portable se mit à sonner, c’était Lucie qui me proposait un vrai café à notre troquet habituel. Il se situait dans une ouverture jardinée à la française, encadrée d’imposants platanes, au milieu de l’entrelacs sinueux des ruelles de la ville. Un endroit tout à fait charmant fréquenté par une " jeunesse " d’artistes, encore marginale et de jeunes cadres dynamiques, comme on dit, qui se démarquaient par une certaine originalité vestimentaire, une attitude décontractée et, tous pour la plupart, fumeurs de cannabis. Les filles y étaient jolies en tout cas. Lucie arriva furtivement comme à son habitude, elle s’assit en face de moi en silence. C’était sa manière d’être, elle s’imprégnait de l’ambiance et de l’instant, attitude que je respectais…par la force des choses. Elle susurra un « « bonjour » puis, elle s’ouvrit au dialogue et au monde par un large sourire qui mettait en valeur ses dents harmonieusement plantées. Son visage était rectangulaire, ses lèvres larges et pulpeuses laissaient présumer d’une sensualité que contredisait son regard profond et contemplatif, encadré par des lunettes ovales qui soulignaient son air d’intellectuelle. Pour rester dans l’aspect extérieur de la personne, j’appréciais sa manière savamment négligée de s’habiller, un négligé qui laissait présumer de sa féminité : un petit haut noir, sans manche, moulait sa poitrine de taille moyenne ; en y attardant le regard on pouvait voir très nettement saillir ses tétons; une jupe en jeans courte libérait ses jambes joliment musclées qui se terminaient par une paire de sandalettes indiennes en cuir tressé. Enfin ses cheveux courts, sombres aux reflets auburn mettaient en valeur un cou de danseuse qui rendait plus gracieuse et désirable cette femme au seuil de sa maturité sexuelle.

Une fois installée, son portable à portée de main, une cigarette allumée avec son inusable Zippo, elle sonda mon regard pour juger de mon état d’esprit et me lança d’un ton presque réprobateur :

– Alors ça s’est bien passé hier ?

– Pourquoi ça se serait mal passé ?

– Tu l’as sautée ?

Je me contentai de répondre par un sourire sans pouvoir dominer l’expression de mon regard qui mêlait une fierté toute masculine et mal placée et une excitation quasi hystérique.

– T’as encore fait une connerie ? Me demanda-t-elle, ayant rapidement déchiffré l’ambivalence de mon regard. Sachant très bien que je ne pouvais mépriser son intelligence, il était hors de question que je biaise avec elle.

– On peut dire ça… répondis-je sans chercher à dissimuler que je jubilais à l’idée d’aborder la fin de la journée d’hier.

Elle comprit tout de suite que quelque chose d’inhabituel s’était produit, au-delà de mes divagations d’alcoolique et de l’acidité de mes paroles que cet état produisait.

– Elle est partie outrée je présume… comme d’hab. Dit-elle d’un ton entendu.

– Je ne lui ai pas laissé le temps de partir, enfin pas au sens propre.

– Pas au sens propre ! Et au figuré alors ? Dit-elle d’un ton à la fois inquiet et exaspéré ; elle savait que mes relations avec les femmes n’étaient qu’une succession houleuse de frasques et de mini-scandales. En général, elle ne se gênait pas pour me faire part de sa désapprobation, endossant dans ces moment-là l’habit de la grande sœur sermonneuse. Je l’adorais lorsqu’elle tenait ce rôle car je savais que je pouvais tout lui dire. Elle était la seule femme à m’avoir relativement bien cerné, consciente de mes qualités, mais plus encore de mes défauts. Il faut dire que nous avions eu une relation qui avait duré plus d’un an ; elle avait toujours su temporiser mes écarts de conduite parce que tout d’abord elle admirait parfois, lorsque j’étais à jeun, mon sens de l’analyse et ma culture encyclopédique, mais aussi parce que nous partagions un problème commun : l’alcool. De plus elle le gérait mieux que moi, ou pour être plus précis, elle traînait moins de frustrations et de traumatismes que moi ce qui faisait que ses états d’ivresse généraient moins de ce que l’on appelle troubles de la personnalité. Je mourais d’envie de lui répondre au premier degré et ainsi tout lui révéler mais j’estimais que pour un acte aussi grave, connaître une personne et sa largesse d’esprit n’était pas suffisant pour un tel aveu.

Je décidais de prendre en main la suite de notre conversation pour essayer de jauger jusqu’où je pouvais aller dans la confession.

– Au figuré ? ! Qu’est-ce que tu veux insinuer, j’aurais fait de notre relation d’un soir un chef-d’œuvre de courtoisie ?

– Idiot!

– Non, en fait, il s’est passé quelque chose mais « no comment. »

À ce moment, je m’imaginais étrangler son cou de ballerine mais ce fantasme fut immédiatement contrecarré par le côté inepte de la situation : Lucie n’aiguisait aucunement le vice chez moi. Il est possible que face à ce genre de personne, avec qui la concupiscence n’a pas lieu d’être, on éprouve un sentiment de réelle amitié. Néanmoins, je l’avoue, j’avais l’envie perverse de partager mon secret, mais justement, pour cette sacro-sainte amitié, j’avais la bonne ou la mauvaise conscience de ne pas vouloir malmener sa morale. En tout cas mon attitude voire ma stratégie vis-à-vis de Lucie n’était pas encore arrêtée à cet instant-là. La suite des événements déciderait qui prendrait l’initiative. Elle comprit très vite que quelque chose d’inhabituel s’était passé avec Virginie mais elle ne donna pas matière à mon envie de confession.

Je la remerciai intérieurement pour cette empathie. Les jambes croisées, comme à mon habitude, fumant ma cigarette, la regardant de côté, je la contemplais et je lui rendais grâce, du regard, pour sa prise de position.

Elle embraya la discussion sur la dernière herbe qu’elle avait fumée, à ce moment la serveuse arrivait, vit, avant d’atteindre notre hauteur, que nous étions assis face-à-face près de la pelouse comme à notre habitude, mémorisa sans mot-dire, notre commande et virevolta parmi les nouveaux arrivants. L’idée de boire un café n’était qu’une excuse.

En face de deux verres de Chablis, (c’était le seul bar de la ville à en servir), nous passâmes de la marie-jeanne à nos connaissances communes. C’était surtout elle qui parlait, car en ce qui me concernait, j’avais très peu de relations à ce stade de ma vie.

Je me régalais d’écouter les injustices de comportement dont la vie regorge et je m’évertuais à lui faire comprendre ou plutôt admettre que la vie était aléatoire, que l’on avait beau avoir de bons sentiments, en être remercié par les autres et découvrir que l’on avait un cancer généralisé, pour utiliser un exemple extrême.

Au bout de quatre verres de cette merveille de vin vert, comme on l’appelle, que j’avais avalé sans rien d’autre dans mon estomac, sinon un misérable café qui n’avait pas été salué par un vrai, elle aussi sans doute, elle embraya.

– Bon n’en parlons plus. Tu fais quoi aujourd’hui, tu glandes sur le net à boire tes bières ou on passe la journée ensemble ?

Depuis notre séparation, il y a presque un an, nous avions l’habitude de nous retrouver pour des après-midis coquins. Sans ambiguïté, j’avoue que nous aimions faire l’amour ensemble.

– Non pas cette après-midi ma petite chatte, aujourd’hui il faut que je change de costume.

– Comment ça, tu veux muer ? Ne me dis pas que tu as des fringues à acheter, tu n’en as rien à foutre de tes nippes…

– T’as touché juste, je vais muer aussi physiologiquement qu’une libellule.

– Tu changes de peau comme les acteurs alors… Qui va frapper les trois coups ?

– Peu importe quelles muses, pourvu qu’il y en ait trois.

Nous nous regardions avec contentement quand elle fronça naturellement ses sourcils, avec bienveillance pourtant, puis en une fraction de seconde, elle réduisit la focale de son regard et me demanda d’un ton presque sévère et péremptoire:

– Qu’est-ce qu’il y a eu hier ?

– Rien que je n’assume actuellement.

– Il y a eu du bon j’espère…

– Pas vraiment mais tu me connais, elle a eu assez de bon pour digérer le reste.

– Tu parles toujours avec ta bite, hein ! Non soyons sérieux, reprit-elle, tu ne m’en as pas parlé comme à ton habitude, tout va bien au moins, tu ne l’as pas laissée comme une serpillère j’espère ? !

– Oublions Virginie s’il te plaît, c’était un peu plus sympa que d’habitude mais c’est définitivement fini à l’heure où je te parle.

– Écoute, dit-elle, je suis d’accord pour voir ta mutation mais c’est pas la première fois que tu me serines avec tes bonnes résolutions… T’es alcoolo et t’as pas envie de t’en sortir, remarque je suis mal placée pour en parler, mais je constate que tu agis toujours de la même manière. Alors épargne-moi tes bonnes résolutions… Je sais ce qu’elles valent.

– J’ai l’impression que tu es énervée, on ne s’est pas pris la tête aujourd’hui pourtant…

– Énervée peut-être, inquiète sûrement ; j’ai bien regardé tes yeux et ce qui s’est passé hier soir t’a troublé, avoue-le !

– Tu as raison mais advienne que pourra, je t’inviterai à la couturière.

– Je ne veux pas me déranger pour rien… Tu me fais peur Thomas… Et je sais de quoi tu es capable quand tu as un " coup dans l’aile ".

– Restons-en là pugnace Lucie, on se téléphonera au plus tard demain, pour l’instant mon tailleur m’attend.

Elle rigola voyant que j’esquivais avec humour le poids pourtant lourd de ses semblants de questions.

Je l’embrassai sur le front comme elle adorait, je la pris par les épaules et lui rappelai un chapitre que tout bon alcoolique bien mûr peut dire: « N’abuse pas aujourd’hui sinon après demain pour la réunion. »

Elle me prit à son tour par les poignets, les serrant avec la force que son gabarit pouvait lui permettre, incisa son regard marron soleil dans le mien et me dit : « N’abuse pas non plus. »

Je la regardais partir, examinant méticuleusement son déhanché que je considérais comme un appel au sexe…malgré les "vitupérantes" contestations dont j’avais fait les frais !

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