Chapitre I

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L’Ivresse et le Calice

I

Il faisait tiède et humide en cette soirée déterminante pour moi, pourtant rien n’arrêtait mon bras pour lever ce verre que je remplissais avant qu’il ne soit vide. Le seul réconfort que je m’étais alloué était de jeter mon regard par la fenêtre ouverte et fondre mon esprit parmi tous ces sons en apparence anodins et innocents mais lourdement chargés de violence dans cette ville grouillante, électrisée, comme poussée à bout par l’atmosphère étouffante de cette fin de journée d’été. Pour réconforter ma conscience en plus des verres que j’engloutissais, je me laissais aller à des scénarii de toutes sortes, porté par les éclats de voix et les bruits urbains que j’entendais. Je m’obligeais à chercher la banalité pour excuser les bêtises que j’aurais faites après une grosse cuite qui m’aurait rendu amnésique. Pourtant ce soir cette bêtise n’était pas le résultat d’un miasme alcoolique, elle correspondait à une terrible réalité. Je n’aurais jamais pensé que ma mémoire, lorsqu’elle ne me faisait pas défaut, fut aussi crue et tranchante, cependant je savais à quoi m’en tenir parce qu’elle avait le mérite d’être bien réelle. Si ma mémoire avait été vacillante ce soir-là, je me serais tordu en d’horribles ulcères mentaux… C’était toujours ça de gagné. Je savais aussi que j’aurais pu boire des cuves entières de vin, je n’aurais jamais pu trouver dans le produit (comme l’appellent les alcooliques anonymes) la douce bénédiction du pêché accompli. Je venais de commettre un acte irréparable aux yeux de la morale mais qui m’avait pourtant apporté une jouissance inespérée. Scrupules d’un côté pour être trivial et impression d’avoir réalisé une œuvre d’un incomparable esthétisme de l’autre.

Lorsque je repensais à ce long moment passé avec elle, l’image ou l’allégorie, pour utiliser un terme pompeux, d’une quelconque autorité n’avait nullement freiné le fulgurant élan qui me dominait.

Mais assez de secrets, son orgasme et ma propre éjaculation s’étaient confondus ; j’avais saisi un oreiller pour taire ses râles indécents et préserver égoïstement ce moment et j’ai appuyé sur son visage, dosant savamment la pression pour laisser à ses poumons le temps de récupérer un minimum d’oxygène, me donnant ainsi le temps d’envisager le pire ou le meilleur.

Mon sexe est resté roide en elle tout du long, non par excitation sexuelle mais comme le dard d’un frelon qui aurait aimé lui donner la mort de l’intérieur. La logique anatomique ne me le permettant pas, je me suis contenté de constater sa mort, non par son inertie mais par la sécheresse de son vagin.

Cela faisait un bout de temps, environ quatre heures que je l’avais quittée en prenant bien soin de n’avoir rien laissé sur place ni d’être vu par quiconque; cette rencontre d’un soir n’avait éveillé l’attention de personne, d’ailleurs nous avions convenu d’une totale et réciproque discrétion. Mon sperme stagnait toujours dans son corps et mes sécrétions sur son pubis tout blond, mes mégots dans ses cendriers, mes empreintes tachetaient ses verres et sa table basse. Je n’avais rien à craindre, je n’étais aucunement fiché, c’était ma première fois. Enfin, ma carte d’identité était l’ancien modèle en carton, je n’avais rien à craindre de l’aspect digital de la chose. Pourtant, le plus troublant, ce qui me laissait pantois était ce manque total de remords.

Sa mort me laissait aussi froid que son cadavre, une sorte de néant émotionnel. Je n’étais pas inquiété pas le corps sans vie de Virginie que l’on ne tarderait pas à découvrir, je l’étais par l’aisance avec laquelle je gérais l’aspect moral de la situation. Cette inquiétude était néanmoins tempérée par le sentiment familier d’avoir été jusqu’au bout. Au moment où je saisissais ce sentiment, je décidai de recommencer, mais sous contrôle cette fois. Contrôler sa culpabilité n’est-ce pas le premier luxe mental que l’on puisse se concéder !

Je finissais la soirée à descendre deux bouteilles de rosé dont une m’avait obligé à sortir chez mon "arabe." À ce sujet, l’air plus riche en oxygène que mon "conaps" m’avait donné un coup de fouet ainsi que l’impression d’affronter la vie la tête la première : l’effet de l’alcool mêlé à un air non vicié avait donné une sentence d’acceptation à ce qui venait de se passer.

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