Chapitre 22

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— Ace, Ace, réveille-toi !

Le jeune homme émergea de son sommeil, en grognant. Il papillonna des yeux et vit enfin Cassie penchée au-dessus de lui.

Il marmonna quelque chose d'incompréhensible et se retourna de l'autre côté.

— C'est pas le moment de faire la marmotte. Il neige dehors ! s'écria la jeune fille en bondissant sur le lit.

Elle s'agita sur la couverture, tirant dessus pour que son grand frère se lève enfin.

— Cassie, fous moi la paix ! cria Ace. Je suis en vacances, j'ai le droit de dormir.

Il arracha brusquement la couverture des mains de sa sœur et enfouit sa tête en dessous.

— Mais Ace, lève-toi bon sang ! Tu ne veux pas profiter de ta petite sœur ? ajouta-t-elle d'une voix enfantine.

— T'as 15 ans, Cassie. T'as passé l'âge de t'extasier devant de la neige.

— Cassie ! s'éleva la voix de Felipe en bas, l'empêchant de répondre. Descends prendre ton petit-déjeuner, et laisse ton frère se lever tranquillement.

La jeune fille ronchonna en descendant du lit. Pour se venger, elle marcha exprès sur les jambes d'Ace, au lieu de les enjamber.

— Je vais te tuer, menaça Ace en ravalant un cri de douleur.

— Faudrait déjà que tu te lèves pour ça ! s'exclama Abby. Ça pue là-dedans.

Elle ouvrit en grand la fenêtre de la chambre, laissant passer la lumière du jour, ainsi que la fraîcheur d'un jour de décembre.

— Cassie ! rugit Ace, caché sous la couette pour se protéger du froid.

Sa sœur éclata de rire avant de sortir de la chambre. Ace aimait sa sœur, c'était évident. Mais elle pouvait vraiment être une vraie peste quand elle le décidait.

Rassemblant tout son courage, Ace sortit de sous la couette, vêtu d'un simple short, se précipita pour fermer sa fenêtre et regagna rapidement la chaleur de son lit. Puis il s'étira et bailla à s'en décrocher la mâchoire. Il parcourut du regard sa chambre. Elle était décorée selon les goûts d'un jeune adolescent rebelle et paumé : posters de foot et de boxe se partageaient la place sur les murs, un skateboard était posé contre son armoire, et derrière un tableau de voitures de courses, se cachait un trou qu'Ace avait fait en frappant de son poing le mur, après que son père l'avait énervé. Il n'était pas fier de cela, d'où le tableau pour le camoufler.

Il décida enfin de se lever, sortit de son armoire un vieux t-shirt, moins par pudeur que par respect pour son père et sa sœur.

Puis il descendit les escaliers en bois, en se frottant les yeux.

— Dias, marmonna-t-il en passant une main dans sa tignasse brune.

— Hola, salua son père en servant sa fille d'un bol de lait chaud.

— Enfin, tu te lèves ! lança Cassie.

— T'as de la chance que je sois pas d'humeur pour te montrer qui est le chef, minipousse, rétorqua Ace en tapotant la tête de sa sœur, comme il l'aurait fait pour un chiot.

Il s'assit à sa place habituelle et prit un pain au chocolat que leur père avait acheté la veille.

— Quel est le programme du jour ? demanda Cassie avant de croquer dans sa viennoiserie.

— Ace et moi avions pensé à aller rendre visite à mamá, commença Felipe.

Cassie hocha la tête.

— Ça lui fera plaisir.

Les deux hommes hochèrent la tête de conserve.

La matinée passa doucement, Ace profitait de sa famille et du calme paisible de Morristown. Il aimait les grandes villes, mais elles étaient toujours si vivantes, si agitées, que parfois, il en avait le tournis. Il se sentait aspiré par la vie grouillante et se retrouver chez sa ville natale, lui permettait de souffler un peu.

Peu avant le déjeuner, Ace était avachi sur le canapé, à regarder la télé lorsque Cassie le supplia d'aller dehors pour faire un bonhomme de neige. La jeune fille usa de sa technique imparable pour le faire plier. Elle l'assaillit de bisous et de chatouilles, son point faible. Tout comme le sien, d'ailleurs.

La maison fut envahie de rires, de cris et de larmes. Felipe les regardait de la cuisine, tenant le rôle d'arbitre. Mais il votait intérieurement pour la victoire de sa fille.

Ace tenta de résister aux assauts ininterrompus de son assaillante, mais dût admettre sa défaite et capituler. Cassie était une adversaire redoutable et Ace ne faisait pas le poids face à elle, bien qu'il faisait une tête de plus qu'elle et pesait le double.

La jeune fille sauta de joie et se dépêcha d'aller s'habiller. Elle sortit enfin et fit les premiers pas dans la neige fraîche et immaculée.

Ace se cacha sous une tonne de vêtements pour lutter contre le froid. En farfouillant dans son sac à la recherche de son pull en laine, il retrouva le bonnet qu'il avait acheté avec Tyler. Il s'assit alors sur son lit et le tritura dans ses mains en repensant à la journée qu'il avait passée avec le blondinet. Bien qu'un petit mois s'était écoulé depuis, cela lui parut être une éternité. Leur relation avait tellement changé. Il se souvint de sa promesse de la vieille et se jura de tout arranger ce soir. Puis, il enfila le bonnet et se posta devant le petit miroir de sa chambre. Il sourit doucement avant de décider à rejoindre sa sœur, qui, la connaissant, devait piétiner d'impatience.

Il sortit dans le petit jardin, mais ne vit pas Cassie. Il fit quelques pas et l'appela :

— Cassie ?

Soudain, il poussa un petit cri de surprise lorsqu'une boule de neige le toucha dans le cou.

Il se retourna vivement et aperçut Cassie, morte de rire, à demi-cachée derrière la petite cabane en bois.

— Tu veux jouer à ça, chuchota Ace en s'accroupissant pour ramasser de la neige.

Il tassa la neige entre ses mains et s'élança à la poursuite de sa sœur. Comprenant qu'il y aurait des représailles, Cassie s'enfuit à toutes jambes.

— Ace, non ! Pardon, pardon..., répéta-t-elle en slalomant entre les arbres du jardin.

Mais Ace était plus grand qu'elle et avait de l'endurance. Il rattrapa sa proie et visa. La boule de neige toucha de plein fouet le bonnet de Cassie. La jeune fille tituba sur le coup et s’affaissa au sol.

— Alors, qui est le plus fort ? s'écria Ace en s'approchant.

Mais elle n'avait pas dit son dernier mot. Faisant rempart avec son corps afin qu'Ace ne puisse voir ses mains, elle avait rassemblé de la neige entre ses mains. D'une détente du bras, elle lança la petite boule droit sur la figure de son frère. Mais Ace avait prévu le coup, il esquiva adroitement le projectile.

— Raté, minipousse, annonça fièrement Ace.

— Pfff, tu triches, rouspéta Cassie.

Ace ne put s'empêcher d'éclater de rire. Tout comme lui, Cassie était très mauvaise joueuse. Elle n'aimait pas admettre qu'elle avait perdu, quel que soit le jeu auquel ils jouaient.

Ace aida sa sœur à se relever.

— Tiens, tu t'es acheté un bonnet, remarqua Cassie.

— Ouais, je suis allé faire les boutiques avec un ami, expliqua Ace.

— Il te va bien, j'aime beaucoup.

— Merci, souffla Ace.

Tyler avait bon goût. Cassie adorait la mode et c'était rare qu'elle complimente les habits que son frère achetait. Elle les trouvait trop fades.

Ils entreprirent de fabriquer un bonhomme de neige. Ace s'occupait de construire le corps tandis que Cassie faisait la tête.

Une fois que ce fut fait, Ace souleva la grosse boule de Cassie et la posa délicatement sur le corps. Puis, la jeune fille courut demander à son père une carotte. Pendant ce temps, Ace ramassa deux bâtons pour faire les bras et des cailloux pour les boutons et les yeux.

Cassie revint avec son trésor et planta d'un coup sec la petite carotte en plein milieu de la tête du bonhomme de neige.

Quand ils eurent terminé, les deux frère et sœur reculèrent de quelques pas pour contempler leur chef-d'œuvre.

Contents d'eux, ils se sourirent. Au même moment, Felipe les appela pour le déjeuner. Ace et Cassie rejoignirent leur père à l'intérieur pour prendre le repas.

Puis, chacun se prépara pour aller au cimetière. Ils se changèrent et une fois prêts, ils grimpèrent dans la voiture de Felipe. Celui-ci fit un crochet par le centre-ville et se rendit chez le fleuriste. Ils achetèrent des fleurs. Douze roses rouges. Une fois leur achat fait, ils prirent le chemin du cimetière.

— On y va ? demanda doucement Felipe à ses enfants, assis dans la voiture.

Ils se regardèrent tous les trois et Cassie hocha la tête. Alors ils descendirent. Ils franchirent le portail du cimetière, Felipe entre ses deux enfants, Cassie lui tenant la main. Personne ne parla. Ils marchèrent respectueusement entre les tombes, où une fine pellicule de neige s'était déposée.

Lorsque Ace aperçut la tombe de sa mère, au bout de l'allée, son cœur se serra dans sa poitrine. Il se força à prendre une grande inspiration.

Au moment où ils s'arrêtèrent devant la pierre tombale, des flocons se mirent à tomber.

Cassie déposa le bouquet sans lâcher la main de son père.

— Buenos dias, mamá. Mira, Ace esta con nosotros, hoy. Ha vuelto para las fiestas de fin de año.

— Holà, mamá.

Seul le vent sifflant entre les branches des arbres leur répondit.

— On a fait un bonhomme de neige, aujourd'hui, continua Cassie, imperturbable. Et Ace s'est acheté un bonnet.

Ace laissa échapper un petit rire incontrôlable.

— Nuestro hijo ha cambiado mucho desde la última vez que vino a verte, Isabella, ajouta Felipe, une lueur de fierté dans la voix. Ya no tiene nada que ver con el chico que solía ser.

Ace regarda son père, les larmes aux yeux et le serra contre lui. Cassie se joignit à leur câlin improvisé.

Puis d'un commun accord, Felipe et Cassie dirent au revoir à leur épouse et mère, pour laisser seul Ace un moment avec sa mère.

Ace s'assit à même le sol, face à la pierre froide. Alors, il commença à raconter tout ce qu'il s'était passé depuis septembre.

— Les études marchent bien, j'ai réussi mes examens de milieu d'année. Andreï aussi, et il continue dans son école d'art. Matthew et Abby sont toujours là pour moi et on s'entend mieux que jamais. On pourrait presque dire que tout va bien dans ma vie, ricana-t-il.

Puis il se tut, et baissa les yeux, comme honteux.

— J'ai rencontré quelqu'un, mamá. Il s'appelle Tyler. Il est tout ce que je déteste, ajouta-t-il en souriant. Riche, têtu, capricieux. Mais il est très beau. Il me fait ressentir des choses que je ne pensais jamais ressentir pour quelqu'un, surtout avec un garçon. Je peux pas l'expliquer mais il m'attire. (Silence.) On s'est même embrassé. Deux fois. Enfin, la première ne compte pas, je ne le voulais pas. Papá ne le sait pas. Je ne veux pas lui dire tout de suite. Je n'ai pas peur de sa réaction, mais je ne veux pas qu'il s'imagine des choses. On s'est engueulé avec Tyler. Ou plutôt, je me suis emporté contre lui. Mais j'ai décidé de tout faire pour qu'il me pardonne. Je veux qu'on reste amis. Je ne sais pas ce que je ressens vraiment pour lui, mais en tout cas, je veux le garder près de moi. Avec lui, je me sens mieux. Encore mieux qu'avec Abby et Matthew. Même s'il me met dans tous mes états, que je stresse en le voyant et du coup je m'énerve plus facilement. Contre lui, surtout.

Ace tritura le coin de la pierre tombale.

— Je me sens coupable. Coupable d'être un peu plus heureux, à chaque fois. Alors que tu n'es pas là. Je sais que tu voudrais que je le sois complètement, mais je ne peux pas. Il y a toujours cette lame qui me cisaille le cœur dès que je suis un peu content. Mais je vais des efforts. Je sais que ce n'est pas ce que tu voudrais. La vie continue, n'est-ce pas ?

Le jeune homme regarda alors le prénom de sa mère gravé sur la pierre, comme il aurait regardé sa mère droit dans les yeux. Des larmes s'écrasèrent sur la neige. Ace se frotta les yeux et reporta son regard sur les inscriptions. Il répéta alors les mots qu'il n'avait cessé de répéter chaque fois qu'il se recueillait sur la tombe de sa mère.

— Tu me manques énormément. Mais je continuerais à vivre, pour toi.

Ces mots, Ace se les répétait encore et encore, dans les moments les plus bas, depuis quatre ans maintenant. Depuis le soir où il s'était retrouvé à l'hôpital. Depuis le soir où il avait voulu mettre fin à ses jours.

Ace se releva et après un dernier regard sur la tombe de sa mère, il s'éloigna, les mains dans les poches et les yeux secs à force d'avoir trop pleuré.

XXX

La lueur du portable d'Ace inondait de lumière son visage. Assis dans son lit, il tenait son portable dans sa main. Cela faisait maintenant une demi-heure qu'il cherchait les bons mots. Il souffla avant de relever la tête. Il n'aurait jamais pensé que c'était aussi dur d'envoyer un message à quelqu'un. Reportant son attention sur l'écran, il effaça d'un geste rageur les lignes qu'ils avaient écrites au prix d'un courage immense. Il pianota rapidement et appuya sur le bouton « envoyer » sans réfléchir. Se rendant compte de ce qu'il venait de faire, il lança son portable sur son lit, loin de lui.

À: Tyler

11h48 pm : Pardon

Il était stupide, ce n'était pas possible. C'est comme ça qu'il comptait se faire pardonner ? Que crétin. Il méritait amplement que Tyler ne lui réponde pas, ou pire, ne lui pardonne jamais. Que croyait-il ? Qu'avec un simple « pardon », tout allait s'arranger ? C'était lui qui avait merdé, pas Tyler. Il l'avait repoussé comme une vulgaire chaussette sale, après lui avoir fait croire tout un tas de choses. Comment pouvait-il l'embrasser pour lui crier dessus deux secondes plus tard. Il était vraiment débile !

Après que de longues minutes ne se soient écoulées, à espérer que son téléphone vibre en se rongeant les ongles, au sens littéral du terme, Ace le récupéra. Cela ne servait à rien d'attendre. Tyler n'allait pas lui répondre, soit parce qu'il dormait, soit parce qu'il ne voulait pas répondre, ou les deux à la fois.

Il tenait le portable entre ses mains lorsqu'il vibra un instant, le faisant sursauter. Une notification apparut. Le cœur d'Ace accéléra et une onde de chaleur le submergea. S'il avait été de nature expressive, il aurait sauté de joie.

À: Tyler

00:03 am : Je sais.


Dans des gestes précipités, il se saisit de ses écouteurs, les brancha à son téléphone et appuya sur le petit logo en forme de téléphone. Puis, il attendit, son cœur battant la chamade dans sa poitrine.

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