Chapitre 35 - Il en fallait au moins un

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*Le Faiseur de Vallées

L'unique et principale raison de son existence se trouvait dans l'acte de donner la mort. Il n'existait que pour cela.

Son corps était une arme. Ses doigts, des épées. Ses dents, des lances. Ses écailles, un rempart. Sa voix, une tempête. Son souffle, le feu du ciel. Chacun de ses pas semait la destruction dans les mondes. Chacun de ses mots rendait fou quiconque les entendait. Chacun de ses regards pétrifiait sur le place jusqu'au plus valeureux des guerriers. Mais il n'était pas dupe.

Il n'était pas éternel. Ni immortel : son corps était toujours vulnérable aux forces extérieures, celles qui pouvaient engendrer le chaos ou l'ordre, ou plus encore…. Alors son maître l'avait doté de résistances, d'immunités et d'armures face à ces maux pour qu'il ne succombe pas aussi facilement qu'il aurait dû.

Il se mit en mouvement, masse immense dans les tréfonds de la terre. Il sentait les Autres fuir sous lui, de peur d'être écrasés. Qu'importe ; son attention n'était tournée que vers son seul but. Il devait ouvrir la voie pour que l'Enfant puisse venir. Son pouvoir ne le servirait que lui et sa volonté.

La caverne ayant accueilli son sommeil millénaire trembla. Il plaqua une griffe contre une paroi pour se soutenir, creusant des sillons profonds. La chair du monde. Le cri de la terre… Chaque parcelle de pierre se prosternait devant son imposante majesté. Ses yeux, deux joyaux, luisaient dans les ténèbres. Les ténèbres, son foyer. Les ténèbres, son ennemi. Les ténèbres, celles qui viendraient le chercher une fois son devoir accompli.

Mais avant cela, il se vengerait de l'Outsider qui l'avait banni en ce lieu pitoyable.

* * *

*Horebea

Elle se réveilla à cause des mèches de cheveux qui lui chatouillaient le visage. Ses yeux rencontrèrent ceux de sa sœur, brûlants d'une réelle inquiétude. Mais le feu s'y tarit quand elle la vit se réveiller. Kara lui murmura :

— Comment tu te sens, ma sœur ?

— Hmpf…

Horebea se redressa, et regarda autour d'elle ; ils étaient dans ce que les humains appelaient un « hélicoptère ». Les Scaravengers dormaient sur des matelas, leurs plaies bandées. Son regard s'attarda sur Mikshot. La sourde colère la fit se tendre, mais ses muscles étaient raides et endoloris. Elle grogna :

— Pas assez bien, il semblerait ; j'aurais aimé décapité ce traître moi-même.

— Tu t'expliqueras avec lui quand on sera arrivé, pas avant.

— Pourquoi on est là, d'ailleurs ? (Horebea remarqua Lucans) Tiens, il est là, lui ?

— C'est un peu long à expliquer, intervint une voix inconnue.

Horebea se tourna vers la porte menant à la petite salle de contrôle de l'engin : sur le seuil, une humaine brune avec un petit air innocent qui l'agaçait déjà. Dans sa main, un téléphone. Horebea haussa des épaules.

— Je m'en fiches, après. On a finit notre mission, on peut maintenant rentrer à la maison.

J'ai bien peur que ce ne soit pas possible.

Ludwig avait parlé à travers l'appareil. Sa voix était calme, trop calme par rapport à l'ordinaire ; Horebea sentit que le type avait changé, même s'il n'était pas là.

— Ah bon ? Pourquoi ?

Kara a une pierre d'origine. Elle contient une information capitale pour la survie de la Terre et celle de Mourn. Malheureusement, tant que je ne possède pas cette pierre, cette information m'empêche de prouver ma théorie sur l'identité de l'ennemi qui est derrière tout cela, et d'agir tant que nous ne sommes pas tous réunis pour combattre cette menace.

— Qui est ? râla Horebea, soûlée d'être ballottée comme un chien de garde.

D'après mes hypothèses, il s'agirait du gouvernement anglais lui-même.

Horebea lâcha un petit rire. En quoi c'était une révélation, ça ? Les humains haïssaient les mages depuis qu'ils étaient venus sur terre, alors pourquoi se priveraient-ils de la moindre occasion pour les exterminer une bonne fois pour toutes ?

Ce n'est pas une blague. J'avais des doutes, mais ils se confirment peu à peu. Il me faut juste une preuve pour avoir l'identité exacte du personnage.

Blïilat… Et qu'est-ce qui me dit que tu vas pas tous nous vendre à tes semblables dès la première occasion ?

— Bea ! s'offusqua Kara, l'air scandalisée.

— Quoi ? J'ai pas raison ?

—…après tous les efforts que j'ai fait pour votre peuple, tu doutes encore de moi ?

Laisse-moi le téléphone ! (Horebea sursauta en entendant la voix de Saulia) Écoute-moi bien, espèce de petite mournienne prétentieuse !

— À juste titre, grommela la concernée.

Tu n'as peut-être pas confiance en Ludwig, mais lui a confiance en toi ! Il a confiance en ta sœur et aux Scaravengers… en tous les mourmons !

— Tes mots sont creux, mentit Horebea.

Mais oui, ma grande, essaie plutôt de me faire avaler qu'un Phtoomph sait compter ! (Horebea pouffa face à l'expression très rurale ; la voix de Saulia se fit plus douce) Moi, j'ai confiance en toi. Tu m'as sauvé là-dessous, tu t'en souviens ? Tu ne m'as pas laissé tombé, malgré tout ce que mon espèce a fait à la tienne.

— C'était pour le boulot. Pour ma pomme.

Tu n'étais pas obligée. Tu aurais pu rentrer à Néo-Mourn quand tu le voulais, hein ? Personne ne t'en empêchait réellement… Mais finalement, tu es restée. Tu m'as suivi et tu m'as protégé lorsqu'Endath et Nuzzeg me menaçaient, alors que tu aurais pu en profiter pour me tuer et te faire la malle. Avoue-le, grosse nigaude, tu m'aimes bien !

Horebea resta sans voix. C'était la chose la plus gonflée qu'on lui ait jamais dite, même venant de son propre père. Personne ne lui avait jamais tenu tête, personne… Pourtant, Saulia, cette petite humaine fébrile et pâle, qui rajustait ses lunettes comme tout académicien ronflant, celle qui parlait de son chat comme d'une grande-mère de son ugliiz1… Celle-là même qui ne la traitait pas comme une furie hécatombique ! La mournienne plaqua sa main contre son visage et rit.

Tu vois ? Je te l'avais dis.

— Ah, Saulia… (Horebea laissa son rire mourir dans sa gorge, mais pas sa joie) Il va vraiment falloir que l'on discute plus souvent, toi et moi.

Saulia raccrocha malgré l'invective de Ludwig qui fut coupée court. Horebea sourit : cette humaine était bien plus mournienne que certaines de ses propres congénères… Elle coula un regard à la brune qui tenait le téléphone, mais celle-ci l'ignora pour se diriger vers Lucans, recroquevillé sous une couverture. Elle lui parla tout bas, de sorte que personne ne l'entendit. Horebea demanda à sa sœur en montrant le terrifié d'un signe de tête :

— C'est quoi son problème ? Il a eu tellement peur qu'il a déféqué ses entrailles ?

— Euh… (Kara se frotta les mains, signe qu'elle avait quelque chose de grave à dire) Tu sais, le « loup-garou » qu'on a combattu ?

— Que j'ai combattu, tu veux dire, la railla la sœur. Bien sûr que je m'en souviens.

— Il s'agissait de…

Kara montra du pouce Lucans, dans les bras berçants de la brune. Horebea regarda sa jumelle avec un sourcil haussé.

— Je te jure que c'est vrai !

— Admettons – de toute manière, ce n'était pas la chose la plus énervante qu'elle ait vécu ce mois-ci — Une malédiction ?

— Tu prends cela… surprennament bien, fit remarquer Kara.

— Oh… le petit humain n'était qu'une arme, je préfère frapper la main qui la détient.

— Je m'en suis déjà chargé.

— Ah. Décidément, chère sœur, tu aimes me voler la vedette. Tu as peur que je te dépasse.

Kara se renfrogna, chose rare puisque qu'elle n'était pas connue pour son ego démesuré à contrario de sa jumelle. Pour enfoncer le clou, Horebea se mit à sourire sauvagement :

— Puisque tu m'as volé ma proie, je me sens dans l'obligation d'entraîner Lucans à l'art du combat.

— Que… Hein ?! Mais ça n'a pas de sens.

— Avec un peu de chance – et son sourire s'élargit – il pourra conserver sa malédiction sans qu'elle le ronge de l'intérieur, et la maîtriser à volonté, qui sait… Et je pourrais prendre ma revanche.

Etonnement, Kara se mit à rire. Sa jumelle avait vraiment un sens de l'humour bizarre. Pas étonnant qu'elle se soit entichée de Yannis…

— Tu es vraiment diabolique, Bea.

— « Bea »… Ça me rappelle des souvenirs, ça.

— Des bons ?

Horebea grimaça, et sa sœur parut peinée. Des « bons souvenirs », un terme assez antithétique chez les Ybris : les entraînements se faisaient dès le plus jeune âge, et les parents faisaient tout pour entretenir les rivalités entre les frères et sœurs, cousins et cousines au sein du clan. Sans parler des unions intra-familiales…

Mais il restait tout de même des bons souvenirs, se disait Horebea en pensant à l'enfance qu'elle avait vécu avec Kara, avant que leur mère respective ne succombe. Elles étaient les reines de l'école pour petits mourmons, « La Sauvage et L'Assagie ». Curieusement, elle avait été la seconde, car Kara poussait toujours les bêtises à la limite des accidents dramatiques ; Horebea pansait les blessures des uns et des autres… mais avait prit un malin plaisir à écouter leur secrets pour les user contre eux plus tard.

— Tu souris, remarqua sa jumelle. Il va neiger ?

— Il va pleuvoir du sang, grommela Horebea, avant de regarder Mikshot endormi : Je vais m'occuper de quelque chose d'important.

* * *

Qui n'a jamais rêvé d'être réveillé par une baffe ? Ou cinq d'affilée ? Horebea ne s'en priva pas quand elle traîna le sac à patates qu'était son ancien soldat dans la cabine arrière, le balança sur un fauteuil avant de monter sur lui pour le frapper. Mikshot se réveilla en sursaut, et écarquilla ses yeux de surprise :

— Attends, je peux tout t'…

Elle le baffa encore.

— Dame Horebea, je suis…

Encore. Elle manquait clairement d'entraînement, il ne pleurait pas ! À moins qu'il se soit endurci ?

— Pitié…

Ah non, pensa-t-elle. Les larmes embuaient ses yeux, et ses joues rosies gonflaient. Il voulut plaquer ses deux mains sur elles pour les protéger, mais Horebea agrippa ses poignets pour l'en empêcher. Son visage s'approcha de celui de l'archer, et elle articula ses mots :

— Tu. Es. En. RETARD !!!

Et elle sourit quand il blêmit. Malgré ses airs de bonne guerrière et de personne droite et franche, Horebea restait Horebea : briser la volonté des autres par le fer ou par le poing… voire les mots, s'ils étaient plus faibles. Mikshot en faisait partie, car il sanglota :

— J'ai été idiot ! Je me suis fourvoyé… je pensais revoir ma famille !

— Mais oui, fais-moi croire ça. T'as juste voulu un ticket pour le donner à Ashuz, hein ? Fais pas cette tête, je le savais que tu pinçais pour elle. Quoi, tu crois que je suis jalouse ? (Horebea lâcha un bruit entre le rire et le grognement) Saaskrit, Mikshot, t'es vraiment un mournien jusqu'à la moelle… C'est ça que j'aime chez toi : tu es capable des pires choses juste pour satisfaire ton petit ego.

—…non, ce n'est pas vrai, bougonna-t-il en baissant les yeux.

— Mais si (Horebea lâcha ses poignets et descendit du fauteuil pour lui faire face, la main sur la hanche) Et c'est pour ça que tu reviens vers nous en rampant comme un chien : tu as vu que ton nouveau maître n'avait pas la carrure de l'ancien, et que le second te permettrait d'accéder à tes désirs les plus fous.

— Comme si c'était vrai…

— Mik, Mik, Mik… Tu es un livre ouvert. Je t'ai choisi parce que tu es volage, et donc capable de prendre des décisions pour le groupe sans être attaché à lui. Mais quand j'ai vu que tu en pinçais pour Ashuz, je l'ai recruté : de un, parce qu'elle était une putain d'ensorceleuse de talent, de deux parce que tu nous ne quitterais pas.

Il lui lança un regard indiquant clairement qu'il voulait la dépecer vivant.

— C'est mieux. Je te préfère comme ça, mon splendide archer. Les autres t'ont déjà pardonné, d'après ce que m'a dit ma jumelle. Enfin, tous sauf Ashuz qui a encore des doutes… (Horebea regarda sa main en caressant ses ongles du pouce, l'air suffisant) Ah là là, si quelqu'un pouvait intercéder en ta faveur, ce serait tellement… plus facile.

— Vous… Tu ! Grrrr…. Très bien, je promets de ne plus vous causer souci.

D'un geste vif, il se tailla le pouce sur la pointe d'une de ses flèches et fit goutter du sang dans la main tendue d'Horebea. Le sang brilla un instant, avant de s'effacer.

— Bon toutou. Pour la peine, je dirais à Ashuz que tu avais fait semblant de nous trahir pour récupérer l'information chez l'ennemi.

— Elle vous croira ? Alors que j'avais volé l'artéfact qui a créé le chaos à Oxford ?

— Ashuz se sentait blessée par ton acte, pas par ses conséquences. Qui sait, tu as peut-être une chance…

Et elle laissa Mikshot dans la pièce ; il marinerait sur ces dernières paroles, et mournien comme il était, finirait par redevenir l'archer passionné des Scaravenger. Quand à Ashuz… Eh bien, je la manipulerais pour qu'elle se rende compte de ses sentiments. L'amour, ce n'est jamais qu'une question de circonstances, pensa avec lassitude Horebea.

En sortant, elle croisa Kara. Celle-ci semblait avoir vu un fantôme. Excédée par le nombre de fois où il fallait poser cette question, Horebea se força tout de même à demander :

— Qu'est-ce qui se passe… encore ?

— Un dra~dra… Un gon~gon… Un dragon !

L'hélicoptère culbuta et tous furent projetés au sol. Quand elle se releva, Horebea vit un œil fendu gigantesque se coller à la fenêtre. Suivi d'un grognement menaçant qui fit trembler chacun de ses os.

* * *

*Kara

Trop, c'était trop. Elle ne se souvenait que trop bien de sa conversation avec Lucans sur ces créatures fantastiques, et surtout de leur point fort commun : ils pouvaient tous cracher du feu. Immédiatement, elle entendit un renâclement rocailleux et l’œil s' écarter de la fenêtre. Kara hurla :

— L'hélico bas !

Ou plutôt « L'hélicoptère, volez vers le bas » mais son état de panique lui força à ne prononcer que deux mots. Heureusement, le professionnel réagit aussi vite qu'un dresseur de chitstsiy'owph, et l'appareil volant fit une embardée violente. Une seconde plus tard, un jet ardent fusait à l'endroit où ils se trouvaient une seconde auparavant.

Kara se précipita à la fenêtre opposée : le dragon était massif, cinq à six fois plus gros que l'hélicoptère. Chaque fois qu'il battait des ailes, on aurait crû à un coup de tonnerre miniature. Les écailles de la créatures se joignaient à des excroissances osseuses qui surgissaient de part et d'autre de son corps ; cela voulait dire qu'il usait d'un pouvoir propre pour se maintenir en l'air, ou sinon il chuterait sous son poids.

— Vous-là ! s'écria le pilote de l'hélico vers Kara, d'une voix maîtrisée : Descendez l'échelle à côté de vous et tirez sur ce machin !

— Mais…

— Je m'occupe de contacter le centre ; abattez-moi ce truc !

Kara opina du chef et descendit l'échelle pour tomber sur un cockpit miniature, munit d'un seul siège devant deux manettes munies de boutons. Elle s'y assit, attacha sa ceinture – quelque soit le véhicule, Ludwig lui avait appris que c'était essentiel à la survie – avant d'aggriper les deux manivelles. Le gros fusil à répétition de fabrication humaine se mit en mouvement. La voix du pilote résonna dans le cockpit :

J'ai activé le viseur automatique et le radar. Tout ce que vous avez à faire, c'est tirer dès qu'il entre dans votre ligne de mire.

— Euh… D'accord !

Ça ressemblait un peu à l'archerie, sauf que cette arme pouvait décimer des armées à elle-seule. Kara se concentra, bougeant dans tous les sens tandis que le radar traquait le dragon volant. Soudain, celui-ci jaillit d'un nuage en rugissant. L'arme guidée se tourna net vers lui, et Kara appuya sur les deux boutons. Elle faillit crier à cause du bruit cliquetant et insupportable des coups de feu. Des milliers de balles fendirent le ciel, mais celles qui firent mouche ricochèrent sur l'armure naturelle du monstre.

— Ça ne marche pas !

Merde ! Bon, on va tenter une autre approche… Et, la jumelle ! Occupe-toi des missi… Eh, pas si vite !

Kara entendit Horebea rire à travers le haut-parleur tandis que deux fusées se lancèrent depuis les flancs de l'hélicoptères. Une rata le monstre, la deuxième l'accueillit en pleine poire. Sa sœur était vraiment une guerrière hors-pair… L'instant d'après, le nuage de fumée révéla un dragon complètement indemne.

Balancez la sauce ! s'adressa le pilote aux deux mourniennes.

Qui ne demandèrent pas de restes et mirent le cœur à l'ouvrage : une pluie de balles et un cataclysme de missiles abreuvèrent le dragon d'une douche mortelle. Malheureusement, et bien qu'il était parfois ébranlé par les chocs, le dragon se voyait être imperméable aux assauts.

Kara remonta l'échelle et croisa les Scaravenger, Eikorna, Lucans et Horebea, mais…

— Où est Béryl ?

* * *

*Béryl

Malade. Elle était complètement malade !

Armées de grenades et d'un couteau d'armée, elle avait sautée de l'hélicoptère avec le seul wingsuit présent. Malgré ses airs de scientifique effarouchée, Béryl avait déjà pas mal d'expérience dans le vol pla…

Le pigeon qu'elle percuta dût la maudire plus de cent fois. Bon, les prouesses techniques n'était pas encore au rendez-vous, mais elle parviendrait à ses fins. Pourquoi elle avait sauté, au fait ? Ah oui : parce que je suis idiote et que je pense pouvoir devenir une héroïne. Ça se tient… Soudain, l'air se fit plus chaud et elle prit de l'altitude. Et à travers la purée de poix des nuages, elle distingua une ombre immense se mouvoir.

Le dragon était une baleine célèste. Bien qu'il voulait tous les trucider, Béryl ne pouvait s'empêcher d'admirer un instant la grâce serpentine et presque aquatique de l'animal. Sauf quand l’œil du dragon la remarqua, clignant des yeux « à l'envers ». Le monstre vira de bord pour percuter Béryl, qui sentit sa dernière heure arriver.

Mais elle en décida autrement, et balança une grenade. L'explosion la toucha presque, la repoussant plus loin. Le dragon dévia légèrement de sa trajectoire et plongea vers l'hélicoptère, volant plus bas. Il profite des nuages pour fondre sur ses poids, mais aussi pour ne pas se faire canarder ! Le dragon, à l'instar de son homologue mythique, était intelligent. Assez intelligent pour comparer la menace de Béryl et celle de l'hélicoptère en une action de la part de la scientifique.

Désireuse de remonter dans l'estime du monstre (un peu étrange, mais c'était pour éviter qu'il ne fasse du méchoui de ses nouveaux camarades), elle lança trois grenades d'un coup, qui explosaient en cinq secondes. Les détonations freinèrent le dragon dans sa descension, et il tordit son cou serpentin pour regarder Béryl ; elle lui faisait un doigt d'honneur.

Heureusement, le dragon prit la mouche et s'envola vers elle. Béryl paniqua ; les grenades ne lui faisait rien… Le monstre ouvrait grand sa gueule pour l'avaler, elle ne disposait que de quelques secondes. Était-ce son instinct de survie ou sa grande chance ? Béryl fit deux actions simultanées : elle lança une grenade directement dans la gueule du monstre et une attaque mentale comme avec Lucans.

L'effet fut à deux temps : premièrement, les yeux du dragon clignèrent et il dévia de sa trajectoire. Secondement, la grenade explosa près de sa bouche toujours ouverte et vulnérable. La chair et le sang volèrent de part et d'autre de la gueule, qui dégobilla un hurlement de douleur.

— Ouais ! Prends ça ! éclata de rire la scientifique.

Bon, ce n'était pas un comportement très distingué… Mais ça lui rappelait ses heures perdues sur les jeux vidéo de tir, où elle enchaînait headshots et actions d'éclat. Profitant du souffle chaud, Béryl rattrapa l'hélicoptère avant de descendre à son niveau. Kara la rattrapa. Béryl regarda derrière elle : le dragon les poursuivaient toujours, mais sa vitesse avait été réduite de moitié.

— C'était incroyablement stupide…, fit remarquer Kara avec un air de reproche.

— C'était incroyablement magnifique ! s'extasia Horebea. J'ai tout vu depuis le cockpit. Même le type-hélico a été impressionné.

— Merci… (Béryl sentait son cœur battre à tout rompre, et eut envie de vomir) Oooh…

— T'inquiète, novice, ça fait ça au début.

— Bea ! s'offusqua Kara. Ne l'encourage pas !

— Écoute, y a encore une place chez les Scaravenger. Endath sera ravie de pouvoir partager son « art » explosif avec toi. T'en dis quoi ? proposa très sérieusement Horebea.

Béryl pouffa, avant de faire non de la tête : sa place était à la SEA pour étudier et comprendre les choses. Le combat, c'était pour les autres. Soudain, elle sentit quelque chose de chaud sur sa lèvre supérieure. Elle y porta un doigt ; son nez saignait. Pas ses oreilles. Qu'est-ce que ça signifiait ?

— J'ai envie d'un kebab, pensa-t-elle à haute voix.

* * *

1 Familier domestique mourmon appartenant à la deuxième dimension, aime se plaquer sur les ventres des gens et y dormir.

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