Chapitre 1 - Et les ennuis recommencent...

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Univers 7655, Amas de la Vierge, Groupe Local, Voie Lactée, Système solaire, Terre, Angleterre…

2027

* * *

Ludwig raccrocha son téléphone, fatigué.

Cela faisait six jours déjà qu'il s'évertuait à expliquer à la Cheffe de la Diplomatie américaine que le Congrès des Nations Unies avait accepté l'échange commercial entre le Groenland et Néo-Mourn. Il soupira ; s'il n'avait pas été aidé par toutes les personnes qui l'entouraient, il n'aurait jamais réussi à gérer autant de problèmes politiques. Ludwig, dans la voiture officielle des agents diplomatiques, regardait filer le paysage pittoresque et humide des plaines côtières de la Grande Bretagne.

Un an. C'était la durée qu'il avait passé à nouer des relations entre deux peuples qui ne parlaient pas la même langue, qui ne mangeaient pas la même nourriture, et qui ne respiraient pas le même air ! Durant cette période, Ludwig était devenu peu à peu le porte-parole de Néo-Mourn, soutenu non-seulement par Éléanora et Bartavius Lenistoler, mais aussi par l'Hakessar et l'Archimage Momonoga Nao-Rhan sans compter tout le Conseil Magique. Le plus difficile avait été de prévenir au plus vite l'agence mournienne terrestre de l'arrivée de toute la population de l'ancienne planète. Les dirigeants terrestres étaient déjà au courant de l'existence des mages, mais désormais, c'était devenu de notoriété publique. Et là où il y a du nouveau, se soulèvent les interrogations qui peuvent très vite tourner au vinaigre.

— Est-ce que tout va bien ?

Ludwig tourna la tête vers son assistante ; elle s'appelait Saulia, était originaire du Poitou-Charentes, et portait toujours ses lunettes bien nettoyées sur son petit visage fin et souriant. Avec ses cheveux bouclés, auburn, elle avait cet air qui disait : « Ah oui ? Au temps pour moi... ».

— Ne t'inquiète pas, lui assura-t-il. Je suis juste en train de réfléchir…

Saulia l'observa un instant, mais n'insista pas ; elle ne le connaissait que depuis six mois, mais savait déjà que Ludwig était quelqu'un qui avait besoin d'espace pour réfléchir, qu'il soit physique ou social. Cette sociologue d'une trentaine d'années travaillait avec lui sur les recommandations d'un des associés de Ludwig, Peter Drake, un conseiller départemental des Hautes-Pyrénés. Saulia était diplômée à l'ENS de Lyon, mais n'avait pas voulu travailler en tant qu'enseignante chercheuse. À la place, avec l'arrivée de Néo-Mourn, elle avait saisi l'occasion et accepté le job d'assistante de Ludwig. Débrouillarde, polie, vive d'esprit et avec un caractère bien trempé, elle était la collaboratrice parfaite.

— Nous arriverons bientôt à Oxford, lui indiqua-t-elle en regardant son portable (elle avait un vieux modèle selon les standards actuels, et ça n'était pas le seul accessoire responsable de son surnom de « grand-mère ») Nous avons deux jours d'avance, alors est-ce que vous avez des choses de prévu ?

— Pas spécialement, concéda honnêtement le jeune blond. Que vouliez-vous faire ?

— Ma tante avait envie de me voir, mais... Si vous avez une autre idée, je suis preneuse.

Elle ne cache pas son désarroi, pensa Ludwig avec amusement, avant de se pencher vers elle :

— Aimez vous les livres ?

Saulia lui lança un regard complice.

* * *

2026, une semaine et sept ans après l'Apparition.

Pourquoi ça fait si mal ?

Dans ce petit village des Corbières, perdu parmi la pinède et les vignes, où les cigales cymbalisaient avec ardeur, Ludwig regardait avec colère cette absurdité : le faux tombeau de Yannis. Le mausolée érigé en l'honneur de son défunt ami était d'une splendeur époustouflante ; les meilleurs magiciens-façonneurs s'étaient échinés à enchanter, invoquer et tisser de nombreux sortilèges pour faire briller la tombe, lui donner un air fantasmatique, avec des pierres aussi lisses et douces que le marbre, mais aussi chaudes qu'une soupe en plein hiver. Des mots gravés dans la roche magique s'écoulaient les uns après les autres, narrant la vie de ce type à l'humour aussi drôle qu'une éponge dans un lavabo. Il y avait également une image de lui, animée comme dans Harry Potter, mais celle-ci ne parlait ni ne regardait les passants. Elle clignait des yeux, semblait observer quelque chose qu'on ne pouvait pas voir, et souriait bêtement... Mais ça n'était pas son sourire. C'était juste une copie.

Ludwig sentit les larmes poindre dans ses yeux, qu'il frotta. Il devait gérer ces émotions qui tentaient de jaillir, de l'envahir pour le noyer. C'était simple, mais difficile. Regarder cette tombe lui faisait ressentir l'injustice de la situation. Si Yannis n'était pas parti ce jour-là, en lui confiant ce fardeau énorme à porter, Ludwig aurait pu continuer sa vie, loin des problèmes de Mourn et tout le tintouin…

— Ludwig ?

L'interpelé se retourna ; la mère de Yannis était là, dans un état épouvantable : les yeux rougis, les cheveux décoiffés, portant une tenue dépareillée. La soixantenaire puait l'alcool, et il comprit qu'elle avait replongé en apprenant que son fils, disparu depuis sept ans, était bel et bien vivant durant tout ce temps, et qu'il n'était mort que depuis une semaine.

— Bonjour ! Euh… Désolé, je vous dérange, je…

— Non, non ! fit l'éplorée en levant sa main. Il n'y a aucun problème si tu… enfin… Tu veux venir boire un verre ?

Ludwig hésita, avant d'accepter. Il la suivit, non sans jeter un dernier regard à la tombe. Les deux déambulèrent dans le village vide, car toutes les jeunes avaient déserté l'endroit, ne laissant dépérir que des vieux, des chiens et des chaussettes sales dans les caniveaux.

La mère de Yannis l'invita dans sa grande maison à deux étages construite à partir de l'ancien château. L'endroit, malgré l'état de sa propriétaire, était très propre et entretenu. Mais bien qu'auparavant on y voyait nombre d'objets colorés, de livres et de bidules, de belles choses… Désormais, l'endroit avait l'air aussi vide qu'un appartement de résidence étudiante, mais en plus grand. J'imagine qu'elle a dû ranger tous les objets « inutiles » pour éviter de trop déprimer, se dit tristement Ludwig en s'asseyant sur une chaise de la cuisine, où régnait une légère mais détestable odeur de tabac froid.

La femme lui servit un verre de rouge, et s'en servit un grand ; elle avala le sien d'un coup sec. De son côté, le jeune blond ne fit que siroter timidement, sans oser porter de toast à un ami décédé. L'ambiance était pesante.

— Que lui est-il arrivé ?

La question soudaine le surprit ; il regarda le visage de cette femme qui avait juré que si son fils mourrait avant elle, elle le ressusciterait pour lui coller une baffe. Même si Ludwig ne la connaissait que très peu, Yannis parlait d'elle comme d'une personne qui restait forte en toutes circonstances. De son vivant, le jeune magicien lui avait confié qu'il ne l'avait vu pleurer qu'une seule fois. Intermittente du spectacle, elle avait élevé seule trois enfants, se débrouillant avec brio. Et son travail avait payé : elle avait engendré l'un des plus grands héros de l'histoire mournienne.

— Nous étions sur Mourn, comme vous l'avez appris, commença Ludwig. Lui, Edward, Ugo, Hadrian et moi avions réussi à ne pas être envoyés à la mine, entamant de ce fait notre formation en tant qu'apprentis magiciens, mais il était bien plus impliqué dans ce cursus que nous autres. Après quelques mésaventures, Orbas a été libéré de ses chaînes (elle blêmit à l'entente de ce nom), et votre fils l'intéressait pour une raison que j'ignore encore. Alors ils se sont affrontés et votre fils l'a vaincu, et a nous a transporté sur Terre par un moyen que j'ignore encore. Vous pouvez être fière de lui.

La vieille femme serra son verre, s'apprêta à se resservir, suspendit son geste puis dit d'une voix fêlée :

— Je l'avais oublié.

Hein ? Que voulait-t-elle dire par là ?

— Je vois que tu ne comprends pas... Elle sourit faiblement, avant de se masser l'arrête du nez, et continua : Lors de sa disparition, et même un peu avant, je crois… Je me souviens avoir vu une lumière blanche, et j'ai oublié que j'avais un fils. Ou plutôt, non : je savais que j'en avais un, mais pour moi il avait coupé les ponts avec la famille depuis tout ce temps. Et lors de l'Apparition, je me suis souvenu de tout : de Yannis, de ses pouvoirs…

— Vous voulez dire que vous étiez déjà au courant avant qu'on disparaisse ? coupa Ludwig.

— Bien sûr. Je suis moi-même une sorcière ; j'étais au courant que Yannis n'était pas vraiment mon fils, biologiquement parlant. Je savais que j'hébergeais juste un magicien qui s'était enfui de sa patrie, et qu'en échange de ce rôle de mère, il m'offrait la protection dont j'avais besoin (Ludwig ne comprenait pas). Je suis une sorcière, une espèce différente des mages. Ce qui fait que, selon la loi mournienne, je n'avais pas le droit d'exercer la magie sous peine capitale. Mais je devais le faire, c'était vital, sinon je n'aurais fait que survivre. Yannis, ou plutôt Synnaï Hencherick, m'a offert une protection, en échange d'un foyer…

— Mais "l'Oubli" a changé la donne, saisit Ludwig.

— C'est ça, acquiesça la mère. Pendant 7 ans, j'ai cru que j'avais réellement un fils. Et que ce dernier ne m'aimait plus, et ça me fendait le cœur. Et c'est pour ça que je voulais savoir : le Yannis que tu as fréquenté durant ta période sur Mourn… Pensait-il à moi ?

— Toujours, répondit le jeune blond sans hésiter, avant d'avaler tout le contenu de son verre. Vous savez, il était très différent ; il n'était plus Synnaï.

La mère lui jeta un regard perdu, puis une lueur apparut dans ses yeux.

— Qui était-il ?

— Il était Yannis, votre fils.

Ce soir-là, on ne sut dire lequel des deux avait pleuré.

* * *

 La bibliothèque d'Oxford était réellement la plus merveilleuse que Ludwig ait jamais vue : d'immenses étagères remplies de livres tapissaient les murs du sol au plafond. Grâce à son statut nouvellement acquis, il avait même accès aux archives : ce qui lui importait le plus ! En effet, le Conseil des Nations Unies l'avait mandaté pour rentrer en contact avec un groupe ancien de magiciens radicaux qui gagnait en puissance au sein même d'Oxford. Il lui fallait donc se documenter sur leurs origines.

Pourquoi cette mission ? Tout simplement parce qu'il était le seul sur Terre à comprendre la langue des mourniens. Il avait crû lors de leur excursion (lui et la TSB) sur Mourn que les magiciens pouvaient parler le "terrien". Mais ça n'était pas le cas : leur cerveau était construit d'une manière telle qu'il ne pouvait pas apprendre d'autres langues que celle des « Anciens », ces êtres mystérieux qui avaient asservi les mages dans des temps immémoriaux. Et depuis l'Apparition, Ludwig avait mystérieusement gagné la capacité exclusive de comprendre cette langue et de la parler couramment. Ce qui avait immédiatement entraîné sa mise en place au poste de porte-parole mournien.

 Il aurait bien apprécié recevoir du soutien de ses amis de la TSB, mais ils étaient tous partis en centre d'aide psychologique, mis à part Edward qui était toujours porté disparu, et Hadrian qui n'avait manifestement pas eu de séquelles, mais s'était décidé d'entreprendre un cursus d'études à l'étranger.

 Ludwig s'approcha d'une rangée de livres et commença à chercher, quand il entendit un bruit rauque. Ses sens en alerte, il se baissa vivement pour éviter une griffe qui arracha la moitié de l'étagère basse, faisant s'écrouler le tout. Le jeune blond fit une roulade, et se réceptionna sur un tapis. Il se releva, et vit son agresseur.

Monstrueux.

C'était une espèce d'humanoïde à la peau sur les os, blafarde, squameuse et glabre. La chose possédait six membres aux allures d'échasses, dotés de griffes recourbées, prêtes à cingler l'air et la chair. La créature hurla, un cri aussi strident qu'un dérapage de voiture, découvrant une bouche s'ouvrant en croix, remplie de dents tordues et inégales. Mais qu'est-ce que c'est que ça ? se dit Ludwig, avant d'éviter de justesse un nouveau coup ; le monstre était terriblement rapide, et son allonge le rendait bien plus dangereux.

Soudain, Saulia arriva à la rescousse en hurlant avec courage, une chaise à la main pour frapper la créature. Cette dernière bascula sous le coup, désavantagée par ses longues jambes. Cette action héroïque laissa le temps à Ludwig de sortir son arme, un Glock de dernière génération, et il tira un coup.

Le monstre chancela.

Il en tira un deuxième.

La créature hurla de douleur, rua pour assomer Saulia, avant de bondir vers le tireur.

Il tira autant de balles que possible. Les coups de feu étaient assourdissants, le six-pattes recula sous l'effet des impacts, mais aucune blessure n'était visible sur son corps, et le monstre gronda avant de repartir à l'assaut avec une violence renouvelée.

La griffe fut trop véloce, la douleur et le sang jaillirent de son épaule à demi arrachée. Ludwig grogna ; il avait déjà connu pire, mais, bordel, ça faisait un mal de chien ! Et son bras était désormais inutilisable, donc pas question de se déboîter l'autre en utilisant son Glock. Désormais à la merci de ce brutal et inopiné visiteur, il n'avait plus aucune solution. Il jeta un œil par-dessous la créature : Saulia était au sol, inanimée. Ludwig devait donc occuper ce monstre le temps que l'alarme ou les caméras préviennent les autorités.

Tant pis pour mon bras, se dit-il en prenant son pistolet semi-automatique à une main. Il tira une fois, repoussant la créature, mais le recul lui arracha un spasme de douleur. La chose en face de lui semblait comprendre sa tactique, aussi resta-t-elle à le regarder avec ses yeux jaunes de grenouille. Comment allait-il faire pour se débarrasser d'un monstre à l'épreuve des balles ?

 Tout à coup, une sorte d'ombre jaillit au dessus de la créature, et l'avala avec un bruit de raclement.

Éberlué, Ludwig saisit tout de même qu'il avait affaire à un sortilège. Mais qui… ? Il se releva tant bien que mal, quand il entendit une voix derrière lui :

— Vous essayez de tuer un habitant des Limbes avec une arme physique ? Je ne sais pas si vous êtes courageux… ou juste idiot.

Il se retourna, et croisa le regard améthyste d'une jeune femme.

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