IX.

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— Je… non, je ne peux pas, je dois travailler.

— Dommage, vous m’aviez l’air sympathique, répond-elle en baissant les yeux.

Je regarde Antoine qui comprend et me fait signe de m’asseoir.

— Allez, juste une clope, insiste-t-elle en me tendant une cigarette.

— D’accord.

J’accepte son offrande et porte l’objet à ma bouche. J’inspire une grande bouffée. La fumée brûle mes poumons. Je ne peux m’empêcher de tousser en recrachant l’air. J’ai l’air d’un con.

La fille du hall me dévisage. Elle affiche un mélange d’incrédulité et d’amusement.

— Vous ne fumez pas ? demande-t-elle.

— Je.. non, je ne fume pas, réponds-je en baissant le regard, honteux.

Elle éclate de rire. La glace est brisée.

Elle s’appelle Joséphine. Elle est venue d’argentine après ses études d’architecture pour tenter sa chance à Paris. Depuis petite, elle fantasme sur les immeubles de la capitale et rêve d’y habiter un jour. Son rêve est devenu réalité. Elle occupe une petite chambre de bonne dans le Vème arrondissement. Minuscule, mais tellement parisienne. Elle me dit avoir une vue splendide sur le Panthéon, le Jardin du Luxembourg, et accroche même du regard la Tour Eiffel en se penchant à la fenêtre. Je l’écoute parler, béat.

— Avec qui avais-tu rendez-vous, si ce n’est pas trop indiscret, demandé-je finalement.

Je n’ai pas pu trouver mieux ? Elle me raconte sa vie, ses passions, et je bascule la conversation sur ses conquêtes. Bravo, Victor !

— Je… Mon cousin. Il travaille à l’hôpital, juste à côté. Mais sa relève est en retard, il ne pourra pas venir.

— Ah.

Mon cœur se soulève. Une lueur d’espoir.

— Mais, pourquoi venir jusqu’au fin fond du vingtième arrondissement ?

— J’aime ce quartier. J’aime ce café. Et les serveurs sont agréables, ajoute-t-elle avec un clin d’œil.

Ma confiance bouleversée par l’épisode de la rousse reprend peu à peu une consistance palpable. J’ai l’impression de lui plaire. Je suis tout de même sur des œufs, et je l’aborde prudemment, poliment, afin d’éviter le moindre faux-pas. Funambule de l’amour, je suis en équilibre sur le fil de notre histoire dont les prémices se tissent à peine.

— Tu… tu parles vraiment bien français. Tu as un très léger accent, mais on ne peut pas deviner d’où il vient. Comment cela se fait-il ?

Ma muse éclate d’un rire cristallin.

— Mon père est français. Ses parents ont quitté la France après la deuxième guerre mondiale. Et ils se sont réfugiés en Argentine. Mon père est né là-bas. Il y a rencontré ma mère, immigrée Italienne, et ils se sont mariés. Donc le français est ma langue paternelle, en quelque sorte.

Rien que par ses origines, Joséphine est un sujet d’étude des plus intéressant. D’un simple regard, l’inspiration me vient. J’ai envie d’écrire sur elle, sur son passé, sur son présent, et surtout, j’ai envie d’écrire son avenir à l’encre de notre amour. Mais il est encore tôt pour parler d’amour.

Les minutes passent à une vitesse folle et je me rends compte du retard que j’ai pris sur mes tables. Je quitte à contrecœur Joséphine et retourne au travail. D’où elle est, je peux croiser son regard à chacun de mes passages sur la terrasse. Elle a sorti son ordinateur et dessine les plans d’un appartement gigantesque. Je la laisse à son labeur et me consacre au mien. Au bout d’une heure environs, elle demande l’addition. Je lui apporte, déçu de la voir partir si vite. Elle me remercie, son parfum enivre mon cœur, mais je n’ose la retenir. Je retourne vers mon bar avec son verre vide marqué par la trace de son rouge à lèvre sur le rebord. Lorsque je me retourne, elle a disparu. Je cours vers la table, et la regarde s’éloigner au loin. Machinalement, ma main passe sur la table et ramasse le pourboire. Je sens une pile de pièces, puis une seconde que je réunis avec la première, le regard toujours hypnotisé par le balancement des hanches de Joséphine dans la nuit parisienne. Au contact d’une troisième pile, je baisse le regard, interloqué.

Sur la table, il y a cinq piles de pièces rouges et jaunes. Enfin, quatre désormais étant donné que j’avais mélangé les deux dernières. En un rapide coup d’œil, je me dis qu’il y a un message. La première pile, une pièce de 5cts et une de 1 cts. La seconde 88cts la troisième 24cts. 06 88 24. La somme des deux dernières piles fait 137. Merde. C’était son numéro de téléphone. Et impossible de la rattraper, elle a disparu au coin de la rue. A moins que… Je compte les pièces. une de 50cts, quatre de 20cts une de 5cts et une de 2cts. Je note cela sur un bout de papier. J’aurais le temps de me pencher dessus plus tard.

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