X.

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Arrivé chez moi, je sors le petit papier renfermant la valeur des pièces que m’a donné Joséphine. 06.88.24. J’ai déjà la moitié des numéros. Et maintenant, je dois essayer toutes les combinaisons de pièces possibles. Avec un total de 137, j’élimine déjà toutes les solutions inférieures à 40. En effet, si le premier numéro était 27, le second serait 110, ce qui est strictement impossible pour un numéro de téléphone. Tout compte fait, je ne vais pas avoir tant de possibilités que cela. Je griffonne les possibilités :

40-97

42-95

45-92

47-90

50-87

52-85

55-82

57-80

60-77

62-75

65-72

67-70

Douze, douze numéros possibles. Vingt-quatre en réalité, si l’on considère les mêmes numéros en inversant leur ordre. Comparé aux vingt millions de numéros de téléphone portable possibles, je trouve qu’une chance sur vingt-quatre chances de retrouver celui de Joséphine, c’est un très bon tirage.

Il est deux heures du matin, je vais attendre demain. Mon sommeil est agité. Je suis dans le hall d’un immeuble, Joséphine ramasse ses croquis. Mais il n’y a aucun plan sur ces derniers. Simplement des numéros, des nombres qui sortent du papier et dansent une valse autour de moi. Joséphine s’éloigne, j’essaye de la rattraper, mais les nombres m’en empêchent, ils forment une barrière infranchissable entre elle et moi. Je me bats, me débats, mais il n’y a rien à faire. Submergé par le nombre, je m’effondre et les chiffres m’engloutissent. Noir.

Je suis dans la cale d’un bateau. Autour de moi, des centaines de personnes sont agglutinées. Ils parlent en Allemand. A ma droite, une femme allaite son enfant. Il doit avoir quelques mois à peine. Le père, un solide gaillard à la moustache épaisse, dévisage les badauds qui osent porter le regard sur la poitrine dénudée de sa femme. Une corne de brume sonne au-dessus de nous. Le bruit se transforme peu à peu en une alarme, un son strident qui vrille mes tympans. Driiiiiiiing !

Mon réveil.

Il est l’heure de prendre mon avenir en main. Grâce à Antoine, j’ai changé mon présent, je suis passé de pique-assiette à indépendant, aujourd’hui, je dois écrire mon futur si je veux qu’il résonne avec le nom de Jo.

Je saisis la liste de numéros probables et je commence mon dur labeur.

06.88.24.40.97

Le numéro que vous avez demandé n’est pas attribué.

06.88.24.42.95

Le numéro que vous avez demandé n’est pas attribué.

06.88.24.45.92

Ça sonne. Deux, trois, quatre fois. Clic

Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Maeva Boisseau, je ne suis pas là pour le moment, laissez un message après le bip.

06.88.24.47.90

Le numéro que vous avez demandé n’est pas attribué.

06.88.24.50.87

— Allo ?

Une voix d’homme. Je prétends m’être trompé de numéro et raccroche. Merde ! Ça va durer longtemps ?

La matinée avance et les numéros s’enchainent. C’est dingue le nombre de gens qui ne répondent pas aux appels des numéros inconnus. Je note les numéros un par un, au cas où l’un d’entre eux serait celui de Jo. A chaque personne qui décroche, à chaque voix féminine, mon cœur bondit dans ma poitrine avant de s’écraser lourdement lorsque je me rends compte que ce n’est pas elle. Mais je ne perds pas espoir. Notre amour mérite ce sacrifice.

06.88.24.75.62

— Allo ?

C’est elle. C’est Jo, c’est mon amour.

— Jo ?

— Oui, qui est à l’appareil ?

Le ton musical de son accent confirme mon intuition.

— Victor. J’ai trouvé ton numéro.

Je l’entends rire à l’autre bout du fil.

— Victor ? Ah, c’est bien. Je pensais que tu n’aurais pas compris le message.

— Je… J’ai bien failli, mais je te raconterai.

— Quand ?

Sa question me prend de cours.

— Quand ? Que… ce soir ? osé-je.

— Et pourquoi pas maintenant ?

— Maintenant, mais il est… bon, d’accord. J’arrive.

— Rendez-vous devant le Panthéon dans 20 min.

— J’y serais

Je jubile, j’exulte. J’ouvre grand la fenêtre et crie mon bonheur à qui veut l’entendre. Je n’ai pas le temps d’aller sous la douche, J’enfile mes vêtements en vitesse et cherche désespérément le deuxième casque de mon scooter. Je le trouve finalement. Il est tout poussiéreux mais il fera l’affaire. Je dévale l’escalier et démarre en trombe. Le moment que j’attendais depuis si longtemps est enfin venu.

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