III.

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8h15.

Mon réveil sonne. Je n’ai rien de prévu aujourd’hui, mais j’aime me lever tôt. Cela me donne l’impression de faire quelque chose de mes journées. Je déjeune d’un café et d’une tartine de fromage de chèvre frais puis je me glisse sous la douche. Il faut absolument que je me force à faire des travaux dans cet appart. La salle de bain est vieillotte, pleine d’humidité et le pommeau de douche fuit. Dans le salon, il y a des traces de peinture sur les murs inachevés, et le sol mériterai bien d’être ciré. Même l’échelle qui mène aux combles est pleine de peinture. J’ai l’impression de vivre dans un chantier. Ça peut avoir son charme, certes, mais mon appart ressemble plus à une garçonnière qu’autre chose.

Je ferme derrière moi et dévale les cinq étages avant de débouler dans un Paris inondé de soleil. Je suis heureux. Le vent frais de novembre fait voler les feuilles rougies des érables du square Louise Michel. Je prends à gauche et glisse sur la rambarde des marches de la rue Utrillo comme un gamin de 8 ans. Les réverbères me saluent et les passants s’écartent, outrés, sur mon passage. Je cours à en perdre haleine jusqu’à l’entrée du métro Anvers et manque de renverser une grand-mère en déambulateur. Victor, calme-toi, tu es beaucoup trop intense, ce matin. Dans la rame, un vieil homme joue « la bohème » à l’accordéon.

— Une p’tite pièce, m’sieur ?

Je fouille les poches de mon jean et palpe le papier du billet donné par ma mère.

— Vous avez de la monnaie, sur 50€ ?

Putain, pourquoi je lui dis ça, moi ?

— Euh, non.

— Désolé, monsieur. Bonne journée.

Il s’éloigne. La nounou assise en face de moi me lance un regard assassin. Elle vient de lui donner un ticket restaurant. Je rattrape le musicien et lui tend mon billet. Merde ! Trop tard. Il me sourit et dévoile une dentition anarchique. Qu’est-ce que je suis con ! La moitié de mon argent de poche de la semaine. D’un autre côté, à 26 ans, qu’est-ce que je fous à encore demander de l’argent de poche à ma mère. Victor, il est temps que tu te prennes en main.

Je change de métro à Villiers et prends la ligne 3 jusqu’à Havre-Caumartin. Je sors sur le boulevard Haussmann, à deux pas des Galeries et de l’Opéra. J’adore ce quartier, même si je ne risque pas d’y habiter un jour… à moins que je ne devienne célèbre. Trêve de rêveries. J’entre dans un immeuble chic de la rue Auber. C’est là qu’est le siège de mon éditrice. Enfin éditrice, un bien grand mot. C’est elle qui fait parvenir mes nouvelles à 20minutes. Dans la cour, une jeune femme brune semble avoir une discussion animée avec le gardien de l’immeuble. Elle agite ses bras dans tous les sens, manquant d’assommer son interlocuteur avec son attaché-case. Elle porte un tailleur noir et un chemisier blanc. Rien de plus classique. Je laisse mon regard dériver de ses hanches généreuses à ses fesses rebondies et la dépasse sans dire un mot.

Après une heure d’attente et un entretien de dix minutes à peine, je redescends, l’air renfrogné. Elle a refusé pour la troisième fois la réécriture de mon roman d’aventure, et me propose de lui envoyer un texte pour un recueil de poèmes. Ce n’est pas avec ça que je vais payer mon loyer. Il faut que je trouve un moyen de renflouer mes poches. Je me prépare à appeler Antoine, mon meilleur ami, lorsque je tombe sur la jeune fille de l’entrée, qui ramasse ses dossiers éparpillés dans le hall. Agitation comme elle était, ce dénouement semblait inévitable. Je l’aide à regrouper les derniers feuillets encore dispersés sur le sol et ne peut m’empêcher de reconnaitre des croquis et des plans d’immeuble.

— Vous êtes architecte ?

— Je… oui. Merci monsieur.

Elle semble avoir un accent chantant. C’est charmant. Je ne peux pas m’empêcher de m’engouffrer dans la brèche.

— Ne m’appelez pas Monsieur, Victor ira très bien. Qu’est-ce que vous faites avec ces croquis ?

Elle rougit timidement et me sourit, découvrant une fossette charmante sur sa joue.

— Je participe à un appel d’offre. Pour rénover un appartement dans ce building. Mais je n’ai pas eu la victoire.

— Ah, ça arrive, répond-je.

Je me sens con. Je suis plus bavard que cela d’habitude. Je lui souris poliment à mon tour et m’éclipse. Je sens son regard se poser sur mon dos. J’aurais pu mettre autre chose que cette vieille chemise à carreaux, j’aurais fait meilleure impression. Trop tard maintenant. Je dégaine mon téléphone et appelle Antoine. Il ne répond pas. Je laisse un message.

« Salut Antoine, c’est Victor. Dis-moi, tu n’aurais pas un job de serveur sous le coude dans ton resto ? Je suis un peu en galère en ce moment… J’espère que tu vas bien. Bisous. »

Je n’ai pas envie de rentrer. Je remonte la rue du rocher et décide de me poser sur un banc du parc Monceau.

Je sors mon stylo et mon carnet de la poche de mon manteau en tweed. Je croque le portrait d’un gamin qui pousse sa petite sœur en riant, et détaille la tenue d’une grand-mère qui promène son chien. Puis mon esprit s’évade et repense à la fille du hall de l’immeuble. Je commence à écrire un texte sans aucun sens.

Godiche architecte

Elle tangue sur des talons plus hauts que ses mollets

Ramasse en toute hâte ses croquis et feuillets

Et rougis au premier passant d’un air benêt

Mais pourtant c’est bien d’elle que je suis entiché.

Je froisse la feuille et la jette dans la poubelle la plus proche. Putain Victor, concentre-toi. Tu ne vas pas écrire des navets toute ta vie ! Je me relève et rentre chez moi, désœuvré.

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