Chapitre 5

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Nous sortîmes de la maison, que je fermai derrière moi en glissant la clé sous le pot de fleurs vide sur le rebord de la fenêtre.

— Tu gardes pas la clé ?

— Non, on n’en a qu’une et ma mère…doit rentrer dans la nuit, et comme je sais pas à quelle heure on aura fini la chasse…

Après avoir contourné la maison pour rejoindre le chemin de gravier qui menait au village, Chiara tourna la tête vers le poulailler accolé à la maison de la propriétaire.

— Les poules vont bien ?

— Elles dorment. Espérons que le loup passe pas par ici…

Chiara pouffa, et ce qui m’aurait paru insensé quelques jours avant, ce que j’aurais trouvé pitoyable, se produisit : son rire aigu me plut.

— Je savais pas que ta mère bossait de nuit.

— Non, elle…elle doit faire des examens de santé, c’est pour ça qu’elle rentre tard. C’est…bref.

Chiara ne répondit pas, elle se contenta de hocher la tête avec un air désolé, tandis que je regrettai mon mensonge éhonté.

Ma mère n’était pas à l’hôpital, mais dans son lit, shootée aux médicaments. La sale bestiole qui avait gangréné sa féminité et sa joie de vivre n’en avait pas fini avec elle, sans compter les bombardements d’alkylants, antimétabolites et autres agents de sa lutte quotidienne.

Nous parvînmes à l’orée de la forêt, où un groupe discutait joyeusement autour d’une table éclairée par les spots du terrain de foot à côté. Les adultes tenaient des verres de ce que j’imaginais être du café. Leurs enfants les plus jeunes couraient en tous sens en se poursuivant, armés de bâtons et de pistolets à eau malgré le froid qui s’installait déjà sous une lune blafarde.

J’avisai une souche d’arbre un peu à l’écart, et me dirigeai vers elle, les mains dans les poches.

— Hé, tu vas où ? demanda Chiara. Viens, on commence sans eux… !

Le temps que je me retourne, elle s’était engouffrée dans les bois. Je la suivis dans la pénombre, les mains en avant, les pas crissant sur les feuilles sèches, guidé par son rire cristallin.

— Attends, chuchotai-je sans raison, je vois rien…

Bientôt, je n’entendais plus que ses pas qui s’éloignaient, et quelques voix distantes derrière moi. Au loin, un chien aboya, et me parvinrent les cris désordonnés des gosses qui commençaient la chasse.

— Chiara ? Putain t’es où ?

Personne ne répondit. Je finis par entrevoir, par les lueurs diffuses de la lune, une zone moins dense et y parvins en trébuchant. J’avais rejoint un chemin qui serpentait au milieu des arbres.

Des paroles indistinctes se rapprochaient, et je vis l’éclat d’une lampe torche balayer les arbres à quelques dizaines de mètres. Je levai la main pour me protéger les yeux, quand une voix m’interpella :

— Grégory ? C’est toi ?

La lumière se baissa et je distinguai un groupe de quatre adultes, dont la personne qui m’avait interpellé.

— Madame Maillard ?

La mère d’Élodie me regardait avec curiosité.

— T’es tout seul, t’es pas avec Chiara ?

— Si, elle était là juste devant et…je sais pas, je l’ai perdue de vue.

— Elle s’est certainement fait attraper par le loup…, répondit-elle avec une grimace de peur, avant de sourire.

— Sûrement. Dommage qu’Élodie n’ait pas pu venir, à deux elles auraient pu lui échapper…, tentai-je en mimant une attaque avec les doigts recourbés comme des griffes.

— À mon avis, elle s’est trouvé un autre loup pour ce soir, répondit un homme du groupe.

— Oh arrête, le recadra Mme Maillard en lui donnant un coup de coude dans les côtes. Sébastien est très gentil.

Je fronçai les sourcils.

— Élodie est chez Sébastien ?

— Oui, il l’a invitée à une soirée films. Et monsieur mon mari pense qu’ils ne vont pas se contenter de frissonner devant un écran.

— On a eu leur âge, Catherine, tu sais bien ce que c’est.

— Oui, en tous cas c’est pas comme ça qu’on va attraper le nôtre, de loup. Bon on y retourne, je voudrais pas perdre vos petites terreurs en pleine nuit, dit-elle à l’intention de l’autre couple. Greg, tu veux finir la chasse avec nous ?

— Non, je…je vais chercher Chiara. Merci quand même.

— Comme tu veux ! Eh bien bonne chasse !

— Bonne chasse, madame Maillard.

Ils repartirent vers l’obscurité, et je me tournai de l’autre côté, vers le stade.

Élodie n’était pas malade. Pourquoi Chiara avait-elle menti, et où était-elle passée ? Je marchais lentement, la tête baissée. Et lorsque mon cœur se mit à battre si fort que je l’entendais dans mes oreilles, je me mis à courir.

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