Chapitre 4

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Les premiers jours d’automne avaient vu arriver une vague de froid et de pluie qui descendait du Nord. En quelques jours, les gilets avaient cédé la place aux pulls d’hiver, tandis que les bonnets rehaussaient nos joues rosies de pompons et de rayures.

Ce samedi serait LE samedi que tout le village attendait, depuis que la fête d’Halloween avait franchi l’Atlantique pour s’inviter jusque dans les coins les plus reculés de notre campagne gauloise. La nuit du loup devait marquer le milieu de l’automne, avec une chasse organisée par notre garde forestier, M. Desmarais, suivie à minuit de l’embrasement d’un énorme loup en paille dans le champ de Mme Dumont, confectionné par ses fils. La traque en question n’avait pas plus de réalité qu’une chasse au dahu dans les montagnes, mais les gosses du village étaient sur les dents, prêts à abattre la bête tout en tremblant de peur à l’idée de la voir.

Une petite dizaine des collégiens avec lesquels je partageais le bus habitaient notre village, parmi lesquels Chiara, la copine la plus réservée d’Élodie. Il avait été décidé, aux dires de Seb, que les trois filles se retrouvent chez elle pour la nuit. « Dégouté, ma mère a besoin que je garde mon chiard de frangin. Je me serais bien incrusté dans la tanière des lapines », avait-il déclaré en se léchant les lèvres. « C’est pour mieux t’enfiler, mon enfant », avait-il ajouté en éclatant de rire. J’avais souri également, même si j’avais d’autres considérations en tête à l’époque.

Ce soir-là, alors que la lune éclairait les champs par intermittence en longues ondulations brunes, j’étais allongé sur le canapé rêche du salon, sous la couverture piquante que ma mère utilisait pour masquer les craquelures des coussins, le Dahlia noir entre les mains. Les flammes du poêle à bois dansaient sur les pages, éclairant d’une chaleur crépusculaire cette histoire dense et cathartique, lorsque trois coups discrets furent frappés à la porte.

J’ouvris sur une Chiara souriante, dans une robe noire qui mettait en valeur ses formes naissantes. Collant noir, bottines en cuir, les yeux surlignés d’un eye-liner qui lui donnait un regard de chatte. Elle sentait le jasmin.

— Salut Greg.

— Salut. T’es pas avec Élodie et Aurélie ?

— Nan, Élodie est malade, c’est annulé.

— Ah.

Chiara haussa les épaules et se lança :

— Écoute, je suis désolée pour l’autre fois, elles ont pas été cool avec toi.

— Ça m’est égal, mentis-je. C’est pas comme si vous étiez des potes.

— Justement, moi j’aimerais bien…bah, être ta pote…

Elle se mordit la lèvre en dansant d’un pied sur l’autre, tandis que mes sourcils remontaient d’eux-mêmes.

— Je sais pas, ça te dirait d’aller à la chasse ?, reprit-elle. Je me doute que c’est pas ton truc, mais tu pourrais me raconter une ou deux blagues en route, t’en dis quoi ?

Je fus incapable de répondre pendant près de quinze secondes, durant lesquelles un nombre incalculable d’images défilèrent dans ma tête, dont Élodie alitée avec les yeux vitreux, Aurélie devant sa télé en train de déguster un esquimau, et Chiara en jarretière dans des poses lascives sur un tapis d’aiguilles de pin au milieu des arbres, ses courbes illuminées par une lune indiscrète.

— OK.

C’était sorti tout seul, presque comme un raclement de gorge.

— Je prends ma veste.

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