5-Chapitre 12 (2/3)

4 minutes de lecture

Joël haussa les sourcils sans être sûr d’avoir bien entendu. Puis il comprit que Chloé était parfaitement sérieuse dans son allégation, avec ce « parfois », qui sonnait comme une hypothèse qu’elle tentait de ne pas prendre au sérieux. Pourtant, rien n’était plus éloigné de la vérité quant à ses sentiments pour Ben.

Jo adorait Ben, sans s’en cacher. S’il avait vécu dans une réalité alternative de Fantasy, Jo aurait sans doute créé un culte en l’honneur de son cousin favori (dont il se serait aussitôt érigé grand prêtre, cela va sans dire). En poussant la réflexion un peu plus loin, Jo décida que Ben aurait été un dieu d’une infinie justice, mais marqué d’une malédiction terrible qui se matérialisait par une fragilité physique et un aveuglement à toute épreuve, que seuls ses plus proches adorateurs pouvaient lever. Bénédict aurait fait un excellent Hérétique (le grand mal à combattre, bien évidemment), et Chloé, la candidate de l’Élue idéale pour sauver la mise de leur divinité tutélaire. Le dernier revers de Bénédict le Mauvais aurait mis Ben à genoux, dans un implacable exil dont Ben n’aurait pas été en mesure de revenir par lui-même. Alors, Jo et Chloé, ses meilleurs fidèles, se seraient vus entreprendre une quête pour aider leur dieu infiniment parfait à trouver le chemin de son temple et…

Jo riait aux éclats, ce qui finit par vexer Chloé. Elle lui fit quelques remontrances bien senties jusqu’à ce qu’il lui avoue ce qui le faisait rire autant. Elle laissa échapper ses fossettes pleines de sourires avant de revenir à son sujet principal :

« Alors, tu l’aimes, oui ou non ?

— Je l’aime, bien sûr ! Mais je ne suis pas amoureux de lui. Ça n’a rien à voir, et je suis même profondément choqué que tu oses penser une chose pareille.

— Comment peux-tu en être si sûr ? Tu ne jures que par lui.

— J’aime quelqu’un d’autre, et tu sais très bien qui. Je ne suis pas du genre à me tromper sur ce sujet. »

Chloé accepta sa réponse sans autre forme de procès. Il la sentit se détendre un peu, mais il saisit l’occasion sans lui laisser le temps de changer de sujet :

« Et toi, tu l’aimes ?

— Ton amoureux ? Je le connais à peine ! »

Malgré cette tentative pour dévier le sujet, une rosée adorable comme du jambon cru investit les joues de l’artiste. Jo exultait intérieurement : c’était le pire aveu qu’elle aurait pu faire, et elle n’en était même pas consciente !

« Tu sais très bien que je parle de Ben, petite cachottière. N’essaie même pas de changer de sujet.

— Bof… » Chloé haussa les épaules avec une désinvolture outrageuse. « Je l’aime bien, mais il est quand même… »

Un silence pensif prolongea cette déclaration, comme si l’artiste cherchait le meilleur mot pour décrire ce qui pouvait bien clocher chez Ben. Jo détenait la réponse évidente : rien ! Il se garda bien d’interrompre la réflexion de Chloé, cependant, curieux de savoir ce qu’elle pensait vraiment. Ce serait sans doute une bonne base pour la travailler doucement jusqu’à lui faire comprendre que Ben était bien plus ce qu’elle semblait s’avouer. Après tout, c’était elle qui l’avait décrit comme la magie incarnée, le soir où elle lui avait raconté le masque derrière lequel se cachait Ben lors des bals…

« Responsable. »

La sentence tomba comme un couperet. Allons bon, être responsable devenait une tare dans la bouche de Chloé !

« Je sais que ton cerveau ne fonctionne pas comme le commun des mortels et que tu as une vision du monde très personnelle, assez incompréhensible, même. Mais là, il va falloir que tu m’expliques, ma petite Chloé. La seule autre personne qui pourrait penser une chose pareille n’est pas dans cette ville.

— Eh bien… il est toujours en train de réfléchir à quelque chose, surtout à des problèmes potentiels pas encore survenus. Je ne l’ai jamais vu se détendre une seule fois.

— Si, quand même ! Tous les lundis soirs pendant la télénovela !

— Même pas, c’est à peine s’il sourit. Il a dit lui-même qu’il restait avec nous seulement parce qu’il aimait nos rires, mais vu sa tête après les épisodes, il pense à toute autre chose en même temps. »

Là, Chloé marquait un point. Ben n’était pas du genre à laisser son cerveau se détendre, même quand il planquait ses cellules grises au fond de la cambrousse (d’accord, Ben avait un défaut majeur, mais qui ne devient pas idiot devant la personne qui fait chavirer son cœur ?).

« Je capitule sur ce point, il se détend rarement. N’empêche que, lorsqu’il le fait, il n’y va pas de main morte ! »

La dernière fois, il avait quand même mis le feu à la salle de bain de la vicomtesse… Ben savait élever la bêtise au rang d’art, ne serait-ce pas, d’ailleurs, une qualité ? Au fond, il fallait quand même être un sacré génie pour mettre le feu à une baignoire pour jouer. Rassuré par son raisonnement qui sauvait la perfection de Ben, Jo garda ses pensées pour lui, pas certain que Chloé abonderait dans son sens. Avec sa logique irrationnelle, elle pourrait bien lui sortir qu’il avait tort.

« Donc si j’ai bien suivi, tu n’aimes pas Ben parce qu’il est trop responsable ? L’aimerais-tu s’il était plus détendu ?

— S’il était plus détendu, ce ne serait pas Benoît. »

Chloé haussa les épaules et prit le téléphone fixe qui gisait sur la table, dans un silence presque angoissant. Ben était en retard pour leur appel trihebdomadaire. Jo caressa l’idée d’appeler le premier, pour changer, mais leur artiste préférée lui adressa un regard bien senti :

« Et donc, notre grande quête pour rendre la vue et la santé au grand dieu Ben, comment l’envisages-tu ? »

Jo éclata de rire. Les deux amis se lancèrent aussitôt dans la construction d’une aventure d’une complexité sans nom, où le travail du bois jouait bien évidemment un rôle central.

Puis le téléphone sonna ; Jo se jeta littéralement sur le combiné pour décrocher :

« Ben, j’ai failli attendre ! »

La respiration sifflante de son cousin arracha la sérénité dans laquelle baignait la soirée. Enfin, le souffle lointain retrouva un rythme régulier, puis la voix grave de Ben lui parvint depuis le bout du pays :

« Désolé. J’ai raté mon train, ça a été un peu compliqué, ce soir. »

Annotations

Vous aimez lire - Kyllyn' - ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0