5-Chapitre 11 (2/2)

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L’un des principaux problèmes résidait dans le manque cruel d’informations dont disposait Ruby au sujet de Chloé D. Jusqu’alors, ce point l’avait plus ou moins laissée de marbre, et le refus catégorique de son artiste préférée pour évoquer sa vie passée semblait une raison suffisante pour ne pas se pencher dessus. Cependant, le détour de Ruby aux Bas-Endraux, deux mois et quelques au préalable, avait changé sa perception. Certes, Chloé ne tenait pas à parler de son passé, mais l’agente se serait épargnée de longues et coûteuses recherches si elle avait su que la jeune femme était originaire des Bas-Endraux-sous-Airs. En dehors de ces considérations purement matérielles, la réaction de défense presque léonine de la tante de Chloé l’inquiétait. On n’avait pas idée de se mettre dans un état pareil pour empêcher une artiste brillantissime de sculpter ! Ruby tempéra sa mauvaise foi en se démontrant par A plus B que Chloé sculptait tout de même, dans sa ville perdue au fin fond de la montagnette. Mieux que lorsqu’elle vivait parmi eux, d’ailleurs.

Pour couronner son impatience, Ruby recevait désormais un bouquet ou une boîte de chocolat tous les deux jours : Phytammos ne manquait pas une occasion de lui rappeler la dette qu’elle avait envers lui pour convaincre Chloé de revenir dans le nord. Le dernier cadeau empoisonné en date trônait justement sur la petite table du salon, dans l’indifférence éhontée d’Émilie. Le petit oranger aux feuilles timides qui attendait sur le paillasson, à son retour du travail, aurait pu passer pour un très beau cadeau, s’il ne s’était présenté avec une carte de vœux contenant la cursive de Phytammos : « En souvenir de nos accords suspendus… » Le rustre avait même poussé le vice jusqu’à dessiner un rameau d’olivier orné de deux beaux fruits ovales comme… des olives, pardi !

Malgré ces rappels incessants, la situation semblait bloquée : entre la tante hystérique et le second Phytammos, calme comme un tronc enraciné devant le pas de sa porte, Chloé semblait sous bonne garde. Pourtant, il devait bien exister un moyen de la faire sortir de ce trou perdu, quitte à agiter encore un peu de poussière (et perdre quelques malheureux billets ?) dans le nord pour cela. La récente idée de Ruby ne se révélait pas aussi simple qu’elle l’avait crue de prime abord. Non contente d’être originaire d’une ville inconnue du reste du monde, Chloé avait la bonne idée de porter un nom de famille si commun qu’il plongeait dans les ténèbres toutes les personnes affublées de ce nom ; comme si l’artiste était la seule exception à cette chape d’indifférence qui recouvrait tous ses homonymes.

L’agente poussa un profond soupir en basculant en arrière. L’horloge tinta pour lui reprocher son inactivité outrageuse de la dernière heure. Ruby se frotta les yeux du bout des doigts, évitant soigneusement de se griffer la rétine du bout de ses faux ongles, puis regarda autour d’elle.

La lumière dessinait des zébrures au plafond lorsqu’elle passait au travers de nouveaux rideaux rouges du salon. Une musique de fond accompagnait ses ondulations avec une suavité qu’on aurait pu qualifier de paresse, avec un peu d’imagination et beaucoup d’humour. Dans cette étrange ambiance tamisée, le tic-tac régulier de l’horloge électronique donnait des idées de chansons. Il n’en fallut pas plus à Émilie pour se lever du sofa et se trémousser au milieu de la pièce comme si sa vie en dépendait. Bien sûr, Ruby cacha son sourire en voyant sa nièce se déhancher avec un manque d’à-propos criant : elle râlait toujours haut et fort contre la télévision, enfin éteinte, qui la déconcentrait quand elle devait garder Émilie pendant ses horaires de travail. Pour masquer son amusement, Ruby fit semblant de se concentrer sur l’écran de son ordinateur professionnel, comme si celui-ci masquait les mouvements toujours plus accentués de la préadolescente. Elle n’eut pas bien longtemps à simuler un intérêt pour son travail : un mail attira son attention :

« COORDONNÉES M. ET Mme D. »

Un sourire de requin réjoui se dessina sur le visage de l’agente tandis qu’elle se félicitait intérieurement pour avoir si bien choisi son assistant. Ray avait toujours sa voix désagréable à l’oreille, même si l’habitude avait fini par rendre ses tonalités presque normales, mais il compensait par un acharnement à mener à bien les tâches qu’on lui confiait qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait égalé. Ruby cliqua sur le message pour afficher son contenu en grand sur le moniteur. Une seconde plus tard, elle déchantait : la liste des noms était si importante qu’il faudrait des jours pour en venir à bout ! Pourtant, Ray avait déjà bien progressé dans le filtrage, ayant éliminé toutes les personnes décédées (malheureusement, les adresses ne changent pas aussi vite que le passage de vie à trépas), ainsi que celles encore trop jeunes pour correspondre à leur cible. Ruby se gratta le menton devant les cinq cents noms restants. Il y avait forcément d’autres indices qui leur permettraient d’écourter les visites…

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