Chloé demeura immobile de longues minutes, après qu’Adelphe fut descendue, à fixer le téléphone qui gisait à un mètre d’elle. La lumière de la chambre était toujours allumée, plongeant le dessous du lit dans un clair-obscur propice à la méditation. Chloé n’était pas une grande méditatrice, pourtant. Elle attendit que les bruits usuels de la maison reprennent au rez-de-chaussée avant de tendre la main vers l’appareil électronique.

Adelphe avait raison : ce n’était pas en restant cachée sous un lit qu’elle arrangerait les choses. Pourtant, elle avait trop peur de basculer plus encore, si les messages contenaient ce qu’elle craignait d’y voir. Ce « non », pire que le silence.

La loupiotte de l’appareil palpitait en bleu océan entre ses doigts, avec la régularité d’un sonar. Chloé ferma les yeux, se replongeant dans des souvenirs de plongées loin des côtes, à nager parmi des bancs de poissons aux multitudes de couleurs. Ses compagnons d’explorations avaient souvent de ces lanternes, quand ils descendaient profondément, qui balayait les coraux d’un rai blanc, bleui par l’eau. Les faisceaux décrivaient des arcs de cercle réguliers autour d’eux, loupiottes bleues révélant la faune marine au hasard de leurs passages. Une vague de sérénité l’envahit, comme lorsqu’elle descendait si bas que la respiration devenait une lutte permanente… doucement, Chloé rouvrit les yeux, redécouvrant la lumière bleutée qui animait son téléphone.

Ses doigts tremblaient lorsqu’elle tapa le code pour déverrouiller l’appareil. Les derniers messages s’affichèrent sur l’image, en nuances de gris, d’un olivier tordu, les racines solidement plantées dans une terre millénaire, avec une trace de patte au premier plan. L’un des oliviers de Benoît, qu’elle n’avait pas su sauver.

Il lui avait répondu un long moment après qu’elle ait jeté le téléphone, comme si la réflexion avait été trop difficile pour se contenter d’une réponse simple.

Benoît : __ __ __

Benoît : | °° | | ° | |_ —

Benoît : ° |_____|__| |___| °

Benoît: |___________| °°

Benoît : ° | | i°

Benoît : | | |O O

Benoît : | | | |_| |

Benoît : ________| |_| | | |______

[NDLA: impossible de formater correctement ce dessin, cela représente deux personnes cueillant des olives dans un arbre]

Benoît : Je ne sais pas dessiner Mistouffle, cela le vexerait affreusement.

Benoît : Donc je n’ai ajouté ni Fauvette ni Bertrand, pour éviter de rendre Mistouffle jaloux. Mais tu vois l’idée.

Chloé contemplait le rébus sans comprendre pourquoi il avait ajouté un second personnage à L’Adieu, non plus que les raisons pour lesquelles il voulait dessiner ses chiens, qui n’avaient rien à voir avec la sculpture. Elle se mordit la lèvre, perdue. À défaut de refuser de répondre, il avait détourné la question. Un « non » n’aurait pu être plus clair ; il aurait au moins eu le mérite d’être plus assumé. Chloé essuya les nouvelles larmes qui gouttaient de ses yeux, agacée de pleurer alors qu’elle s’attendait à une réponse qui réduirait son Art à néant.

Plus énervée que déçue, Chloé rampa hors de sa cachette et enfouit le portable au fond d’un tiroir de commode. Elle n’allait pas continuer à bouder Adelphe sous prétexte que Benoît ne savait pas écrire trois petites lettres. En sortant, Chloé ferma la porte un peu plus fort que nécessaire, faisait tressauter les photographies sur les murs. L’une d’elles trembla un peu plus longtemps que les autres : celle d’un soleil couchant sur l’oliveraie de Benoît.