5-Chapitre 9 (1/2)

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Ruby Lelierre ôta le stylo qui l’empêchait de parler d’entre ses lèvres, la mine boudeuse. Sa mine était souvent boudeuse depuis deux mois. Plus présicément, sa mine était déconfite depuis la nuit où elle avait échoué à récupérer Chloé D.. Par chance, seul Ray et Emilie étaient informés de sa tentative de débauche de l’artiste, ce qui lui épargnait le ridicule dont son retour bredouille l’aurait couverte. Sans compter Phytammos, bien évidemment, qui se faisait un plaisir de se rappeler à son bon souvenir à la moindre occasion.

Un raclement de gorge étouffé la força à revenir à l’instant présent, dans son bureau. Le book qu’elle avait sous les yeux regorgeait de peintures splendides. Comme beaucoup d’autres, malheureusement. Il y manquait ce petite quelque chose, ce grain de magie qui illuminait le coeur de l’intérieur (comme les oeuvres d’une certaine Chloé, par exemple). L’agente répondit un peu sèchement à l’artiste qui se tenait dans son bureau, attendant anxieusement qu’elle accepte de le prendre sous son aile, qu’elle réfléchissait. Un contrat ne se signait pas aussi rapidemment, et elle avait besoin de considérer le pour et les contres de son talent.

Phytammos lui avait gentillement (avec tout autant d’ironie que cette pensée) envoyé un bouquet de fleurs absolument magnifique. Tout le monde se moquait bien que Ruby ait reçu un bouquet -elle passait sa vie à recevoir des bouquets!-, mais celui-ci restait sur son bureau depuis trois jours, ce qui faisait trois de plus que ses prédécesseurs. Les collègues de l’agente commençaient à murmurer des suppositions très romantiques quand ils pensaient qu’elle ne les entendait pas. Ruby se moquait bien de vivre une romance: elle voulait juste récupérer Chloé. D’ailleurs, elle était loin d’être dupe quant à la raison de cette attention «en souvenir de leur excursion infructueuse, dont il espérait qu’elle n’avait pas amoindri ses vélléités d’achever son oeuvre». Le petit carton de Phytammos lui rappelait sarcastiquement cet échec d’une belle écriture penchée vers le passé. Elle avait promis à Phytammos de convaincre Chloé de rentrer avec elle, sans succès; il n’était pas du genre à laisser passer cela.

Le pire dans l’aventure était que Ruby n’avait même pas pu s’entretenir avec Chloé, maintenue à distance par cet autre Phytammos, celui qui vivait dans la maisonnette aux Bas-Endraux-sous-Air. Cet homme imperturbable dont la voix trahissait le séquestrateur qui lui avait vendu les photographies de Chloé pour les enchères des Ulmes. Même sans l’intervention de la tante folle-furieuse, Ruby n’était pas certaine qu’elle aurait réussi à faire céder l’homme pour échanger avec l’artiste. Contrairement au Phytammos d’ici, le second ne lui faisait pas froid dans le dos. Pourtant, il dégageait quelque chose de plus définitif. Impossible de négocier avec lui. C’était la première fois que Chloé semblait bien entourée. Enfin, entourée tout court, vu les énergumènes. Jusque-là, Ruby l’avait toujours trouvée au milieu d’amis à peu près aussi délurés qu’elle, avides de célébrité quitte à vendre père et mère pour cela…

Après un nouveau raclement de gorge peu discret, l’artiste tremblant qui encombrait l’office fut congédié, renvoyé à son triste sort d’inconnu talentueux pour tenter sa chance auprès d’une agence moins regardante. Le stylo retrouva sa place entre les deux serrées de Ruby tandis qu’elle relisait une énième fois le carton sur le bouquet. Ce Phytammos-là était plus facile à corrompre -pardon, à convaincre— malgré ses tarifs excessifs. Puis une idée un peu saugrenue (comme le sont toujours les meilleures idées) germa dans l’esprit de Ruby. Une idée qui n’impliquait pas de dépenser des milles et des cents auprès de ce loup aux dents trop longues, et qui impliquait des gens sans doute moins malins que lui. Ruby se sentait presque de remercier la folle-furieuse de tante de Chloé pour son intervention. Presque. L’agente serra les mâchoires: elle ne cracherait pas sur une petite explication avec cette femme, lorsque les choses seraient rentrées dans l’ordre.

Ruby chargea alors Ray d’une recherche qui devrait s’avérer bien plus facile que celle des Bas-Endraux-sous-Air.

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