5-Chapitre 7b (3/3)

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La suite, madame Brodaux la connaissait. Pourtant, elle laissa Chloé raconter son arrivée aux Bas-Endraux: les premiers jours, enfermée chez sa tante à retrouver figure humaine pendant qu’Adelphe négociait son embauche dans l’entreprise du vicomte. Les mois éprouvants où la petite avait réalisé qu’elle n’était plus d’ici. Ceux, bien pire, où c’était le reste de la ville qui en prenait conscience. Chloé admit enfin combien la solitude lui avait pesée, elle qui n’avait jamais cessé de s’entourer depuis qu’elle avait quitté leur ville, seize années auparavant. Elle parla de Jacques, avec beaucoup de douceur et de regrets dans les yeux. Quelques larmes brillèrent sur l’ambre de ses iris, sans couler.

« L’arbre à l’enfant était pour lui. »

Madame Brodaux songea à cette immense sculpture, cette œuvre d’une finesse inimaginable qu’Adelphe l’avait emmenée voir avant que le vicomte la fasse emporter ailleurs. La seconde œuvre achevée de Chloé D., ce n’était pas un mince hommage quand on savait que la première était dédiée à ce que l’artiste aimait par-dessus tout : l’océan.

« J’aurais voulu lui montrer Dés-illusions. Je pense qu’il l’aurait aimée. »

Les mains blanches de l'artiste tremblèrent un peu entre les siennes. La peine de Chloé réchauffa son cœur meurtri de mère. Son bonhomme avait vu des photos, bien sûr, mais ce n’était pas pareil.

« Je suis certaine que ça lui aurait plu. Il aimait tout ce que tu faisais. »

Chloé rit doucement, baissa les yeux. On ne le saurait jamais.

« Mais tu t’es fait des amis, à présent ? »

Un instant, le silence laissa flotter le doute. Puis la jeune fille releva la tête en inspirant fortement. Il y avait Jo — la petite sourit à en faire étinceler ses dents. Bien sûr, Jo savait rendre le sourire à n’importe qui, comment ne pas l’aimer ? Elle parla un peu d’Agnès et de son caractère de cochon, de leurs relations tendues au travail pour une raison qui échappait à madame Brodaux ; beaucoup d’Albert et Vanessa. Et de Benoît, bien sûr. À vrai dire, l’artiste ne parla presque que de lui : de son absence. Son sourire s’adoucit, presque rêveur, tandis que Chloé fixait les contrées où il voyageait. À mesure qu'elle parlait, la petite réalisait la place qu'il avait prise dans sa vie. La lumière vacilla dans ses yeux, puis elle se tut.

Madame Brodaux lui reprit la main doucement, caressa les doigts striés de fines cicatrices, en songeant que la petite aurait moins souffert de son retour si Jacques avait été à ses côtés. Mais Jacques n'aurait pas su la soutenir ; pas avec tout ce qu'elle portait de tempêtes en elle. Il n'avait pas la force d'affronter ses propres orages. Benoît, qui semblait si fragile, enfant, par rapport à son bonhomme... si frêle, certes, mais qui avait tenu face à toutes les épreuves ; Benoît avait su maintenir la petite à flot.

« Il te manque, n’est-ce pas ? »

Les larmes s’échappèrent enfin des yeux d’or. La petite tenta de les essuyer dans un sourire :

« C’est l’océan, tu comprends ? Il l’a vu, lui.

— Lequel, d’océan ? »

Comme incapable de comprendre la question, Chloé se contenta de rire pour masquer sa tristesse ; un rire un peu aigu, un peu haché.

Madame Brodaux songea à la dernière fois que Benoît avait vidé son sac auprès d’elle, sur cette même chaise. Même si cela faisait plus d’un an, elle se souvenait de la dispute entre Chloé et Benoît, dans le couloir des toilettes. La petite avait demandé à Benoît de la laisser tranquille. Voilà ce qui l’avait changée, sa Chloé.

Madame Brodaux sourit, pressa les doigts blancs encore un peu plus fort entre les siens. Un silence pensif s’étira entre elles, très doux. Puis Chloé releva la tête pour la contempler de ce regard affûté qu’elle avait quand elle prenait une décision.

« C’est vrai, il me manque. Pas un manque cruel, juste… une absence. Comme un mot manquant dans une phrase. Ça passera. »

Quand elles se séparèrent, quelques heures plus tard, madame Brodaux espéra, de toutes ses pensées et de tout son cœur, que ça ne passerait pas.

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