5-Chapitre 7b (1/3)

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Benoît : |_|—|_|=I===I=|_|[1] (à l’envers).

Chloé ne découvrit le message que tard le soir, après le dîner, mais elle sourit devant la ligne brisée qu’il lui avait envoyée. Malgré l’imprécision d’une telle image, elle reconnut aisément le monument.

Chloé :Le pont suspendu à vingt-cinq kilomètres du delta.

Benoît (deux minutes plus tard) : Tout à fait.

Benoît : Je suis au restaurant. C’est pesant de manger seul tous les soirs.

Benoît : Voudrais-tu me tenir compagnie ?

Chloé : Si le cœur t’en dit.

Chloé : :D Tu vois, moi aussi je peux utiliser des tournures bizarres.

Benoît : moque-toi pas c pas sympa

L’artiste grimaça devant cette réplique inattendue et passablement incorrecte. Aurait-elle manqué quelque chose ?

Benoît : Tu vois, moi aussi je peux mal écrire. Je te ferais bien un clin d’œil, mais tu es assez intelligente pour avoir saisi l’humour.

Chloé : J’ai failli faire une crise cardiaque !

Benoît : Ne te , ce n’est !

Chloé : Tu corriges même tes fautes volontaires ? Tu es encore plus maniaque que je le croyais.

Benoît : Si ta compagnie se résume à me titiller, je pense préférer manger seul.

Chloé : *¨o¨* Mais non, je suis adorable ! Tu manges drôlement tard ce soir.

Une série de petits dessins surgit alors sur son écran, résumant la folle journée du voyageur. Chloé tenta de deviner l’enchaînement des lieux, mais force lui fut d’admettre que la plupart des rébus ne faisaient aucun sens à ses yeux. Quand elle lui demanda de traduire en mots, Benoît lui répondit laconiquement que c’était trop long à expliquer. Apparemment, ce maigre échange avait suffi à lui donner le temps de terminer son repas puisqu’il lui signala qu’il devait y aller. Chloé se retrouva donc seule avec des dessins ridicules et une intense impression d’avoir servi de bouche-trou.

Elle rangea le téléphone à l’autre bout de la chambre comme si le malheureux objet était coupable de la situation et s’allongea dans son lit. Quelques minutes plus tard, la sonnerie qu’elle détestait le plus lui vrilla les tympans. L’artiste se roula en boule contre l’oreiller, essayant d’oublier les sons longtemps après qu’ils se soient tus.

Ne trouvant pas le sommeil, elle finit par se lever pour reprendre le téléphone qui annonçait trois appels manqués et un message vocal. Chloé effaça les notifications sans les consulter, puis fit défiler les contacts de son répertoire avec fébrilité. Benoît.

Le téléphone sonna dans le vide. Elle ferma les yeux en comptant les secondes, jusqu’au petit déclic et la voix grave du répondeur. Chloé se concentra sur les mots enregistrés, puis raccrocha avant le bip. Elle allait reposer le portable, mais se ravisa, cherchant un autre prénom : Joël.

« Bonsoir mam’zelle ! Tout va bien ?

— Désolée de te déranger si tard, mais Benoît ne répond pas et je ne savais pas qui appeler.

— Adelphe n’est pas à la maison ? »

Sa tante dormait. L’artisan n’en demanda pas plus, lui demandant d’une voix guillerette si c’était le silence de son cousin qui la mettait dans un tel état. Elle rit malgré elle à la taquinerie, puis il se lança dans une défense théâtrale qui lui rendit le sourire. En quelques minutes à peine, Joël était parvenu à alléger les poids qui pesaient sur son estomac. Sa bonne humeur contagieuse lui fit presque oublier qu’il était lui-même triste du silence d’une autre personne. Elle lui demanda s’il avait eu des nouvelles d’Albert.

« Aucune. À croire qu’ils ont décidé de nous faire la grève du silence, nos deux zigotos ! Mais j’aurais Ben demain soir, si tu veux venir. Comme ça tu pourras même lui parler un peu. Ça nous permettra de peaufiner notre plan pour convaincre tout le monde de travailler correctement, je n’ai pas l’impression que notre communication est passée tout à l’heure.

— C’est la crise de Samuel qui te fait dire ça ? »

Joël éclata de rire, replongeant dans d’autres sujets qui achevèrent de les remettre de bonne humeur. Quand elle raccrocha, Chloé découvrit la réponse de Benoît qui proposait de la rappeler si elle était encore éveillée.

Chloé (à Benoît) : Nous parlerons demain soir, je serai chez vous.

Benoît : Un problème ?

Chloé : Rien de grave, j’avais juste envie d’entendre ta voix. Ton répondeur a fait le travail pour toi :p

Benoît : Je vois. À demain soir.

La froideur de ce dernier message l’inquiéta, mais il était tard et Chloé devait se lever tôt le lendemain. À en croire le nombre de dessins qu’il lui avait envoyé, l’ébéniste était sans doute fourbu de son côté, ayant tout autant besoin d’une bonne nuit de sommeil.

Ce ne fut que le week-end suivant, en consultant ses mails sur le vieil ordinateur d’Adelphe, que Chloé découvrit un message inattendu de la part de Benoît :

« J’espère que cela te fera plaisir. Comme cela, tu n’auras plus besoin de faire travailler mon répondeur *sourire*. »

En pièce jointe, un fichier audio qu’elle ouvrit sans savoir à quoi s’attendre.

Durant quelques secondes, il n’y eut que le silence.

Puis le chant des vagues.

La complainte de la mer.

L’ode d’une nuit océane.

Chloé ferma les yeux pour s’imprégner de cette musique qui lui avait tant manqué. Pure. À peine troublée par une respiration dont elle devinait l’émotion.

Puis il y eut sa voix, presque murmurée, qui lui souhaita « Bonne nuit, Chloé » avant de laisser le silence la combler. Chloé trembla en relançant l’enregistrement, se laissa emporter par les flots et le frisson des trois derniers mots.

« Tout va bien, Chloé ? »

L’artiste sursauta, réalisant que sa tante se tenait derrière elle depuis un moment. Elle coupa le son de l’ordinateur, gênée d’être surprise ainsi.

« J’écoutais la mer.

— Je vois ça. Tu ne voulais pas m’accompagner au lac, par contre ? »

Chloé sourit en se souvenant du programme du week-end, elle prit à peine le temps d’enregistrer le fichier audio dans son baladeur et de récupérer son maillot de bain avant de sauter dans la voiture de sa tante. Bientôt, elles chantaient toutes les deux sur les musiques grésillantes de l’autoradio.


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[1] Illustration très imagée d’un pont suspendu, selon Benoît Phytammos.

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