5-Chapitre 2 (1/3)

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La terreur l’inonda. Chloé se dressa soudain sur les draps, incapable de retrouver son souffle. Ses yeux balayèrent la pièce des dizaines de fois tandis qu’elle haletait, terrifiée.

Des murs blancs. Une armoire sombre. Des chardons séchés. Un liseré sculpté. Des formes tombantes. Un éclat d’or. Des feuilles éparses. Un bureau vide. Des mots brillants sur du papier-velours. Un liseré d’olives peint sous le plafond. Des rideaux moirés jaunes à la fenêtre. Un plancher en bouleau gris, orangé par la cire. Des tableaux de paysages aux couleurs heureuses. Un clou tout seul juste au-dessus de sa tête. Des draps doux comme un nuage. Bleus. Verts. Et une odeur très légère, intensément familière : menthe fraîche et chlorophylle.

Chloé ferma les yeux, laissant son cœur s’apaiser.

« Ça va ? »

Elle tourna la tête en direction de la voix. Le visage rond, un peu bouffi, lui était connu. Pourtant, il lui fallut un moment avant d’en retrouver le nom : Vanessa.

« Où sommes-nous ?

— Dans la chambre de Benoît. Tu avais l’air mal tout à l’heure, Joël trouvait plus prudent de te garder à l’œil. »

Chloé ne dit rien. Seulement tout à l’heure ?

Après un certain temps pour se remettre les idées en place, des morceaux épars de la soirée lui revinrent : le bal, où elle avait fait à peu près autant n’importe quoi qu’autrefois. Puis les quelques instants que son cerveau acceptait de se remémorer firent surface : quand son estomac avait fait des siennes, la forçant à s’isoler dans un coin du parc — pourquoi pas aux toilettes ? — ; une promenade solitaire sous la lune ou dans les rayons du soleil levant ; des voix indistinctes.

Une sculpture.

Les vides entre les souvenirs criaient qu’elle avait oublié quelque chose de primordial, mais rien ne lui revint. Alors Chloé détailla sa voisine de lit pour tenter de deviner ce que celle-ci saurait que son cerveau refusait de confesser, sans résultat.

« Que s’est-il passé cette nuit ?

— Oh. Je vois. »

Vanessa ne précisa pas plus, la mine sombre. Elle s’extirpa des draps tout habillée et sortit.

Chloé resta encore un moment à considérer la chambre de Benoît depuis l’abri de son lit. Joyeuse dans ses couleurs, d’une propreté presque maniaque en comparaison de l’appartement de l’artiste, la chambre semblait pourtant parfaitement impersonnelle. Si ce n’était ce recueil de poésies sur la table de nuit, il aurait été presque impossible de deviner que quelqu’un y dormait à l’année. Chloé s’enlaça dans les draps, humant leur odeur de lessive — la même qu’Adelphe — tout en traquant ce quelque chose si important auquel elle avait pensé durant la nuit, mais qui ne lui revenait pas. Finalement, elle jeta l’éponge et se leva.

Peut-être que Vanessa lui avait ôté son costume avant de la coucher parce que celui-ci gisait au sol avec son masque parfaitement lisse sur une descente de lit aux couleurs du soleil ; Chloé ne portait que ses sous-vêtements. Pourtant, Vanessa était en short et débardeur… avait-elle prévu le coup en prenant un pyjama avant de venir ?

Trop abrutie pour ces questions, l’artiste accepta enfin de s’extirper du lit pour enfiler la tunique longue de son costume et rejoindre le salon. Joël y plaisantait déjà avec Albert et Vanessa, la laissant s’installer sur son tabouret favori au comptoir et se servir généreusement les denrées alléchantes sans trop faire attention à leurs échanges. Ils parlaient de sujets légers comme des envols de libellules ; l’image lui décrocha un sourire dont elle aurait été bien en peine d’identifier l’origine. Un matin douceur chez les Phytammos, en somme. Sauf qu’il manquait quelque chose au paysage. Elle n’arrivait pas à savoir quoi.

« Bon, on y va ?

— Où ? »

Joël lui fit les gros yeux, comme si sa réplique était juste insultante.

« Au travail. »

Deux mots. Juste assez pour couler la frégate qui voguait sur l’écume de son esprit. Sans raison. Chloé avait un projet pour au moins trois ans ; une idée de sculpture qui la transcenderait ; une bonne humeur renforcée par le petit-déjeuner. Pourquoi une telle terreur à l’idée de rejoindre l’atelier ?

Joël ne lui laissa pas vraiment la liberté de protester, disparaissant puis revenant bientôt avec des vêtements qui lui appartenaient — un peu trop grands — pour qu’elle ait quelque chose de correct à porter durant la journée. Quand elle revint dans le salon, Albert et Vanessa étaient déjà partis.

« Allez, mets tes chaussures, on y va !

— Mes talons, vraiment ? »

Ils observèrent la paire d’escarpins aux strass brillants qui hurlaient la soirée arrosée (l’odeur en était témoin). Joël finit par capituler et alla chercher une vieille paire de tennis vraiment moches dans son armoire. Se sentant un peu comme un clown au bord de la chute, Chloé le suivit jusqu’à la voiture.

« C’est toi qui conduis ?

— J’ai mon permis, tu sais. Ce n’est pas parce que Ben conduit presque toujours que je ne sais pas le faire. C’est juste qu’il est plus patient que moi. »

Chloé hocha la tête sans grande conviction. En effet, moins de dix minutes plus tard, Joël grillait une priorité en grommelant contre ces gens qui ne savaient pas se décider au volant.

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