5-Chapitre 1 (1/3)

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Chloé contemplait les danseurs dans un vertige. Il n’était pas là. Le masque-arbre, le masque-nuit, le magicien qui sublimait sa folie. Absent. Elle l’avait cherché des heures durant, de salle en salle, parcourant les couloirs interdits et les prisons de chaque pièce sans s’inquiéter des corps enlacés qu’elle dérangeait. Guettant la forêt qui altérait son visage sur chaque face qu’elle croisait, la devinant dans chaque dos qu’elle contournait ; il n’était pas là.
À quoi bon ce bal ? À quoi bon danser, courir, rire, tournoyer, s’essouffler, boire, espérer, chercher, bondir, crier parfois ? À quoi bon s’asphyxier dans les bras de cet inconnu qui la serrait de trop près, dans les draps de ce lit qui écorchait sa peau de plaques rouges dont elle regretterait les couleurs au matin ? Pourquoi parler à cette femme dont elle ne reconnaîtrait jamais les traits et lui suggérer des adieux plus indélébiles que le parfum de la mer dans ses cheveux ? Comment expliquer ce besoin irrépressible de séduire ces mains sans visages, cette voix sans corps, ce regard sans nom qui passaient à sa portée alors qu’aucun d’eux ne la faisait vibrer ? Au nom de quoi engouffrer des litres d’alcools dont l’absorption trop preste ravageait son corps en accroissant la douleur des décombres qui pesaient sur son ventre ?
Chloé ferma les yeux en lâchant le verre, en saisit un nouveau, sourit de toutes ces fossettes à ce minois dévastateur disparu sous un masque aux traits éthérés. Ce bal avait-il seulement un thème ? Elle l’ignorait. Elle menotta ses bras autour du cou proche, effrita ses lèvres à celles qui se tendaient vers elle, trop enfoncées dans les eaux troubles de son océan pour en percevoir le goût, le toucher, l’odeur d’un être qui ne lui était rien. Les sens assourdis sous les eaux où elle se laissait enfoncer, l’artiste ratée s’entachait de cet être quand elle voulait d’un autre. Puis elle s’empara d’un verre qui passait, l’engloutit d’un coup, noyant un peu plus sa conscience dans les lagons de sa démence.
À quoi bon ? se souvint-elle, s’étonnant de la question dont elle avait déjà oublié la raison. Puis les mots chantèrent dans sa tête alors qu’elle se laissait happer par une main, par des hanches, par un tournis tournoyant jusqu’à l’étourdissement. À quoi bon ?
Il y eut des mots qui l’écorchèrent dans un rire aigu à en crever les cieux, pointus comme des branches tendues au-dessus d’un ciel qu’elle n’avait qu’entre aperçu. Le souvenir d’une aurore au goût de palissandre et de bonheur, d’un regard d’eau clair à en éteindre le soleil dans des abysses de noirceur.
À quoi bon ? s’acharnait-elle alors que ses doigts parcouraient des muscles qu’elle avait trop connus, trop étreints, trop haïs dans d’autres vies. Des peaux douces ou sèches aux couleurs aussi variées que les poussières dont se parait la terre. Chloé fermait les yeux en laissant son corps divaguer dans un entre-deux qui n’était pas son monde et qui l’avait pourtant toujours été. La fête, pensa-t-elle. Elle rejeta la tête en arrière pour se laisser cueillir d’un baiser.
Ah oui… elle voulait oublier.

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