Chapitre 12

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Octobre 2027

 L’automne est là, et pourtant la chaleur d’été se prolonge. Il fait trente degrés et ces températures semblent de plus en plus banales.

Depuis plusieurs décennies, les mi-saisons s'effacent pour laisser la place à des étés longs et caniculaires tandis que les hivers s’adoucissent au point que beaucoup d'enfants d’aujourd’hui n’auront pas la chance de se réveiller un matin avec le jardin ou la terrasse couverte de flocons.

Le dérèglement climatique s’intensifie d'année en année. Il est le fruit de notre mode de vie qui gangrène notre planète. L’avenir m’apparaît incertain. Malgré les efforts collectifs et les mesures politiques, je trouve que chacun, à toute échelle de la société, moi y compris, ne s’investit pas autant qu’il le pourrait. Loin de moi l’idée d’incriminer mon prochain, mais j’ai le sentiment que nous croyons trop souvent dépendre de certaines décisions sociétales venues d’en haut. Nous avons tous plus d’impact que nous l’imaginons et il est souvent plus facile de s'imposer des changements dans nos habitudes quotidiennes que d’accepter une contrainte imposée. Avec les progrès technologiques et l’évolution de notre société, j’ai de plus le sentiment que nous nous sommes créé des besoins artificiels, irraisonnables et parfois même fictifs, qui vont à l’encontre de la préservation de notre belle et unique planète. Le simple n’existe plus. Il a laissé place à l'excès, à la surexploitation, au virtuel. Tout doit être plus rapide, plus rentable, moins humain.

Nous sommes vendredi et il est seize heures. Je ne travaille pas cet après-midi. Assommé par la chaleur, mon pessimisme m'assaille de questionnements.

J’ai récupéré Elïo chez la nounou. Nous attendons assis sur le banc d’un arrêt de bus. Les voitures défilent devant nous.

  • Papa a chaud.
  • Oui, mon chéri. Tu es perspicace.

Il attend un instant en se balançant d’avant en arrière avant de me demander :

  • Cha veut dire quoi ?

J’oublie parfois l’âge de mon fils tant son langage est déjà développé. Il n’a que deux ans et demi.

Je lui réponds d’un petit sourire : « Cela veut dire que tu as bien deviné ». Il acquiesce. Son cerveau enregistre la donnée.

Les enfants sont magiques. Ils absorbent, reproduisent et tirent les informations de chaque nouvelle expérience. Je crois avoir entendu, dans une émission qui leur était consacrée, que leur capacité d’apprentissage provenait de la plasticité de leur cerveau. L’image de cette expression est troublante, mais si j’ai bien compris cela signifie que leur organe cérébral est malléable et en perpétuelle évolution. Ils ne cessent de créer des connexions et des neurones au cours de leur développement. Mon encéphale, lui, n’a plus ces capacités d’apprentissage depuis bien longtemps. Il n’est plus que le reflet de lui-même, terni et stressé par notre ère. Pourtant je tente de garder mon âme d’enfant. Je suis en perpétuelle appréhension, mais j’aime jouer, m’amuser et m’émerveiller de petits riens. Et mon fils en est le principal auteur.

Assis sur ce banc, nous attendons mon père, Christian. Son bus arrive d'ici quelques minutes. Il habite à une petite heure de chez nous et pour une fois il a préféré prendre les transports en commun pour nous rejoindre. Il était fatigué, m’a-t-il dit.

Elïo balance ses pieds d’avant en arrière en chantonnant un air que nous lui susurrions quand il était plus petit. Une comptine qui parle d’un petit chien portant des lunettes et d’une souris dans l’oreille d’un chat. Je chantonne avec lui et mes idées noires s'effacent.

  • Papi en retard.

Je regarde mon fils.

  • Qu’est-ce que tu as dit ?

Il chantonne et répond à nouveau : « Papi retard ».

Je n’y prête pas plus d'attention. Nous patientons un quart d’heure supplémentaire lorsque le téléphone vibre dans ma poche. Je lis le message qu’il vient de m’être envoyé. C’est mon père qui me dit qu'il y a eu un accident juste devant son bus et que la circulation est interrompue. Il ne sera pas là à l’heure prévue.

Je range mon appareil et précise à Elïo qu’on va devoir attendre papi un peu plus longtemps que prévu.

Il ne réagit pas et se balance toujours d’avant en arrière. Il est heureux de savoir qu'il va voir son grand-père même avec un peu de retard.

  • Ch’est pas grave. On chera un petit peu plus vieux, finit-il par dire.

Il me faut une seconde pour comprendre toute la mignonnerie de cette réplique. Un petit rire m’échappe. Que les enfants peuvent être adorables.

  • Tu savais qu’il aurait du retard ?

Il ne me répond pas. Je n’insiste pas. Nous récupérons papa vingt minutes plus tard qui m’explique dans la voiture que l’accident a été sans conséquence humaine. À cette heure-ci, un vendredi, le trafic routier est dense et nous avons une bonne vingtaine de minutes pour arriver à la maison.

Je lui demande comment il va.

  • Un peu fatigué ces derniers temps. Mais il faut dire que je bricole beaucoup ! Je ne sais plus si je te l’ai dit, mais je retape une armoire pour un copain du club.

Je vois. Il y a quelques années, papa s’est inscrit au club de bowling troisième âge pour occuper ses journées. Je n’ai rien à redire quant à son lancer de boule. Il m’a tout appris et malgré les années qui passent son bras droit montre encore une sacrée force de précision tant et si bien qu’il n’est pas facile de le battre.

  • Ça fait un moment que nous n’avons pas disputé une partie.
  • C’est vrai. À quand cela remonte-t-il ? me répond-il
  • Je ne sais pas, je dirai… six, sept ans ?
  • Tu dois avoir raison. C’est à ce moment-là que tu en as eu marre de perdre.

Je ne réponds pas et esquisse un sourire.

  • On se fera une petite session très bientôt. On verra bien qui affichera le plus de défaites.
  • Quand tu veux mon fils, rétorque mon père en affichant à son tour une mine malicieuse.

Il est vrai que cela faisait un moment que je n’avais rien partagé avec mon père. Je me sens en cet instant désolé. Le quotidien, le travail, l'arrivée d’Elïo. Avec tout ça je n’avais pas pris plus de temps pour partager des choses avec lui.

  • Et toi, mon fils ? Comment ça va ?
  • Comme un jeune et heureux papa. Je jouis de mon rôle de parent, mais la fatigue est là.

Je regarde Elïo dans le rétroviseur central. Il est bien installé dans son siège-auto. Sa tête est tournée vers l’extérieur. Comme beaucoup d’enfants en voiture, il scrute l’extérieur à la recherche de choses qui pourraient l’émerveiller.

  • Julie et moi ça va. Ça a toujours été. Il nous arrive de nous quereller, mais nous sommes unis et complémentaires. Et quant à Elïo, il est adorable. Il n’est pas facile de le suivre dans sa progression. Je trouve même qu’il grandit trop vite, mais je crois que c’est propre à tout parent.
  • Je ne te le fais pas dire, mon grand.

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