Chapitre 13

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Une fois rentrés à la maison, avec papa, nous nous relayons pour surveiller Elïo et pour préparer quelques gourmandises salées en guise d’apéritif. Je suis adepte du fait maison. Il y aura donc, entre autres, des petites parts de pizza, des palmiers feuilletés à la tapenade et des tartines frottées à l’ail, recouvertes de purée de tomates provenant de notre jardin d’été.

  • As-tu entendu parler des effluves solaires ? me demande papa, alors qu’il joue avec Elïo dans le séjour.

Je lui réponds : « Oui, vaguement à la télé ». Je sors du grille-pain les tranches qui viennent d’être toastées. Elïo s’amuse sur le tapis de sol. Il doit rentrer des petits objets en bois de différentes formes dans les trous correspondants et il se débrouille comme un chef. Papa est accroupi à ses côtés et le regarde. Depuis le comptoir de la cuisine ouverte, je ne vois que son profil, mais je devine une expression qui ne lui est pas habituelle.

  • J’ai lu ça dans le journal pendant mon trajet en bus. Ce sont des successions d'éruptions solaires de forte intensité. Il y en aurait de plus en plus. C’est ce qui a provoqué des perturbations des radios en août dernier, tu t’en souviens ?

Je tartine les toasts de pain que je viens de faire griller.

  • Oui je me souviens. Je ne m’y suis pas trop intéressé. Ça ne semble pas très reluisant alors je joue la carte de l’autruche. Et puis tant que ce ne sont pas tes effluves qui s'intensifient, je suis rassuré.

Nous rions. Cet humour grossier n’est pas une fierté, mais c’est une de nos formes de communication. Nos blagues sont souvent notre meilleure arme pour apaiser les discussions ou les ambiances moroses.

Et au travers de cette espiéglerie, une certaine pudeur nous lie, mon père et moi. Il est certes quelqu’un de jovial, mais il reste un homme avec sa propre sensibilité, et quel que soit la situation, il n’a jamais trop montré lorsque ça n’allait pas, même lors du décès de maman. Son chagrin était palpable, mais il ne m’a pas montré sa douleur. Il l’a gardée pour lui. Et ce comportement préventif à mon égard se répète depuis mon enfance. Maintenant que je suis papa, je comprends un peu plus cette attitude protectrice, pourtant je voudrais lui dire que je suis là pour lui moi aussi. C’est décidé, nous irons faire une partie de bowling dès que possible.

Mon père fixe toujours Elïo.

  • D’ici quelques années, je ne serai plus là pour voir la suite de notre ère technologique. J’espère que votre génération et les prochaines sauront trouver les solutions et faire les efforts pour leur propre bien et pour celui de notre planète.

Je réponds après quelques secondes : « Nous rebondirons ».

Elïo a arrêté son activité pour nous regarder papa et moi. Ses yeux dorés nous fixent à tour de rôle. Ils nous sondent et donneraient presque l’impression qu’Elïo a saisi toute la discussion. Puis tout d’un coup, il nous lance un grand sourire à tous les deux.

  • Si nous sommes aussi débrouillards qu’Elïo, nous n’avons rien à craindre, dis-je en souriant.

La sonnette résonne à ce moment-là. Il est dix-huit heures et trente minutes.

  • Ce doit être nos invités.

Sur le pas de la porte, j’accueille comme il se doit Elsa et Manon qui se trouvent être les meilleures amies de Julie. Jason, le compagnon d’Elsa, est aussi de la partie.

  • Donnez -moi vos affaires, je vous débarrasse.

Je leur présente ensuite mon père ainsi qu’Elïo que Manon n’avait pas encore rencontré.

  • Qu'est-ce qu’il est mignon, s'exclame-t-elle en s’approchant de notre petit monstre.

Mon père ne peut s’empêcher de répondre : « Je sais, merci ». Cette scène me rappelle fortement la consultation pour les six mois d’Elïo, à la différence que papa a répondu avec un ton humoristique et sans réelle conviction. Sa tentative fonctionne puisqu’Elsa, Jason et Manon rigolent.

  • Bonjourrre.

C’est Elïo qui vient de répondre avec sa petite voix.

  • Oh… je craque, répond Manon.
  • J’espère que notre petit sera aussi adorable que le vôtre, dit Elsa, une main posée sur son bas-ventre, un regard affectueux dirigé vers son chéri.

Elle est à presque trente semaines de grossesse, si je ne dis pas de bêtise, et d’après l'échographie, c'est un petit garçon qui pousse tranquillement sous ses abdominaux galbés.

En réponse à Elsa, j’ose moi aussi une plaisanterie en tapant sur l’épaule de Jason : « Connaissant le père, j’en doute ».

  • Tu ne perds rien pour attendre toi ! rigole-t-il. Offre-moi quelque chose à boire pour te faire pardonner.
  • C’est comme si c’était fait chef. Une bière, ça te va ?
  • Impeccable.

Je demande à nos autres invitées ce qu’elles souhaitent boire avant de commencer le service.

Manon est une ancienne collègue de travail de Julie. Elle a quelques années de moins que nous et s’est reconvertie depuis deux ans pour enseigner en école primaire. Ce métier lui va à ravir, elle qui sait faire preuve autant de fermeté que de douceur.

Quant à Elsa, il s’agit de son ami d’enfance. Avec Julie, elles se sont rencontrées en famille d’accueil lorsqu'elles avaient quatorze ans. Elles ne se quittent plus depuis. Les parents d’Elsa étaient toxicomanes et malgré une enfance difficile, elle a su grandir et devenir la belle personne qu’elle est aujourd’hui, équilibrée, attentionnée et confidente principale de ma moitié.

Nous terminons les préparatifs lorsque j'entends Julie qui se gare devant la maison. Je guettais son arrivée depuis le début, et nos invités ont pris soin de laisser leurs voitures plus loin dans la rue pour ne pas éveiller les soupçons. Je leur donne les instructions pour qu’ils se mettent en ligne dans le séjour devant l’entrée, puis je demande le silence.

Je sors dans le jardin en fermant la porte d’entrée derrière moi. Julie attrape ses affaires sur la banquette arrière de sa voiture lorsque je l'acceuille

  • Coucou ma chérie. Ça va ?
  • Oui, super ! C'est le week-end !
  • Je vais te délester, donne moi tes affaires.

Elle se décharge et me lance un regard railleur.

  • Je ne savais pas que j’avais un prince charmant à la maison.
  • Prince oui, charmant, ça reste à prouver.

Elle rigole.

  • Allez, suivez-moi mon prince. Si vous êtes suffisamment charmant, peut-être que la princesse vous accordera ses faveurs.
  • Oui, ma souveraine.

Elle se dirige vers la maison et je lui emboîte le pas. À peine a-t-elle poussé la porte d’entrée qu’un chœur d’exclamations se fait entendre :

  • BON ANNIVERSAIRE !

La surprise fait son effet. Julie est déboussolée et ne prend même pas la peine de poser sa veste pour embrasser nos convives. Elle est radieuse.

Julie a aujourd’hui trente-deux ans. Ses traits se sont creusés par rapport à notre première rencontre, mais son charme n’a pas pris une ride et son regard mystérieux me fait frémir comme au premier jour.

Elle vient à mon encontre.

  • Bon anniversaire, ma chérie.
  • Je me disais bien que tu ne pouvais pas avoir oublié. J’ai été surprise que tu ne me le souhaites pas ce matin, mais je comprends pourquoi maintenant. Tu es le prince le plus charmant que je connaisse, me dit-elle en appuyant un clin d'œil.

Elïo nous quitte pour le royaume des songes et notre apéritif dînatoire régale nos papilles. Puis le moment tant attendu du cadeau de Julie arrive. Nous lui offrons une séance photo en studio avec Elïo et moi-même. Il parait que le rendu est magique et les souvenirs inoubliables.

L’ambiance est joviale. Nous discutons de tout et de rien. Je demande par exemple à Manon comment se passent ses cours, si les enfants sont mignons et je propose à Jason d’aller se faire un tennis à l’occasion. La soirée se déroule bien. Jusqu’au moment où papa fait un malaise. Alors qu’il discutait avec Jason, il s’effondre. Je revenais tout juste de la cuisine, une bouteille d’eau à la main, lorsque le choc de sa masse résonne sur le carrelage. Je tressaille. La bouteille m’échappe et se brise à mes pieds avant que je ne me jette aux côtés de papa. Je tourne son corps pour le mettre sur le dos et attraper son visage de mes deux mains.

  • Papa, papa… tu m’entends, je répète à plusieurs reprises.

Il ne répond pas. Il est inconscient. Je demande à Julie d’appeler le 15, lorsqu’il se réveille. Son malaise n’a duré que quelques secondes. Quelques secondes interminables.

  • Et bien, et bien, dit-il en se raclant la gorge, j’ai eu un moment de faiblesse, il semblerait…
  • Comment te sens-tu ?
  • Ça va, ça va. Ne t’en fais pas. La chaleur, tu sais… ça m’a fatigué.

Je l’aide à se relever, l’installe sur le canapé et lui donne un verre d’eau

  • Ça va mieux, ne t’en fais pas.

La peur soudaine d’avoir perdu papa m’a refroidi et mon cœur me pince encore. Une requête naïve se perd dans mes pensées : Pas lui. Pas maintenant. J’ai peu d'arguments pour implorer les cieux : Je dois faire du bowling avec lui. Heureusement, il reprend des couleurs ainsi que son humour caractéristiques alors je me rassure comme je peux. La soirée continue sans nouvel événement.

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