Chapitre 3

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  Aujourd’hui, c’est mon premier rencard. La stratégie est évidente. Côté vestimentaire : classe, mais tout en restant décontracté. Il ne s’agirait pas d’effrayer dès le premier rendez-vous mon interlocutrice. Du parfum dosé avec parcimonie - empester la fragrance est signe de manque de confiance - et un coup de peigne sur mes courts cheveux déjà grisonnants seront des atouts incontestables pour un semblant de bonne apparence. Mes ridules temporales, mes fossettes creusées et mes plis frontaux trahissent ma jeunesse passée, mais j’aspire encore à pouvoir attirer l'œil de la caste opposée.

Je suis nerveux. Je n’ai pas l’habitude de ce genre d’entretien. Peut-être la cravate est-elle de trop, me dis-je en voyant mon reflet dans une vitre de la rue que je remonte avec un présent dans les bras, certes modeste, mais encombrant. Et puis après-tout je sors du travail, alors il n’est pas choquant que je sois accoutré de la sorte. Un rendez-vous plus tôt était inenvisageable pour moi de toute façon, et si j’ai bien compris c’était aussi le cas à son sujet, elle qui semble surbookée.

Que vais-je bien pouvoir raconter ? La réponse est pourtant évidente. Reste spontanée. Mais pas trop. Dis lui des choses simples. Des choses sensées. Mes propres recommandations sont banales et surtout, à mon égard, plus faciles à dire qu’à appliquer.

Je sue. Je me rends compte que ma tenue n’est vraiment pas adaptée ni au rendez-vous ni à la météo généreuse. Je devine mes auréoles axillaires narquoises et grandissantes sous ma chemise. Mes chaussures habillées me font mal. Elles ont toujours été trop petites, alors arpenter les rues, chargé comme je le suis, ne fait que renforcer la corne de mes pieds.

Les passants me saluent en silence. Je ne les connais pas, mais ils me sourient pour la plupart, moi et mon bagage, comme si c’était l’usage. Ont-il remarqué ma sudation ? Et voici que ma moiteur s’intensifie. Je soupire. Je sens que ce tête-à-tête va être long.

J’arrive au lieu du rendez-vous. Je pousse la porte d’entrée, me dirige vers l'hôtesse du comptoir pour signaler ma présence et vérifier ma réservation. Je ne me suis pas trompé et je suis un peu en avance, c’est déjà un bon point. Je m’installe sur une chaise libre en déposant mon chargement au sol et je patiente. La pièce est de taille moyenne et chacun de ses murs arbore une couleur vive différente. Du rouge, du bleu, du jaune. C’est original. L’hôtesse d’accueil répond au téléphone pour prendre d’autres réservations. D’autres personnes sont là elles aussi à patienter, en petit groupe de deux ou trois. Elles échangent entre elles.

J'espère qu’elle n’aura pas trop de retard. Je n’ai jamais su au bout de combien de temps il est inutile de jouer les prolongations dans l’illusion de penser qu’on ne s’est pas pris un lapin.

Certains clients partent et d’autres arrivent. Je suis sur mes gardes. Je scrute tout profil féminin qui pourrait s’avérer être ma future protagoniste. Soudain, pénètre par la porte d’entrée une représentante de la gent féminine. Elle semble avoir mon âge. À peu près. Elle se présente aussi à l'hôtesse et a bien un rendez-vous. Elle s’assied non loin de moi. Je la fixe. Elle le sent. Elle ose un coup d'œil dans ma direction, regarde ensuite à mes pieds et me laisse un sourire avant de se détourner elle aussi. Raté, ce n’est pas elle. C’était sûr de toute façon. Mais qu’ont-ils tous avec leur sourire compassionnel ? Je suis déjà assez perturbé comme ça. Si la pitié est le premier sentiment que je réfléchis je ne donne pas cher de ma peau. Vu son attitude, il me vient même à penser que l’odeur de mes orteils, malgré chaussettes et chaussures, n’ont rien à envier à mes aisselles. Je prends une nouvelle suée. Je m’étais bien dit que la cravate et les mocassins étaient de trop en plein mois d'août.

Puis, surgit de la porte blanche du fond de la pièce une autre femme. Elle est de taille moyenne, porte des lunettes et ses cheveux bruns ont été travaillés en une forme de chignon sommaire. Elle est belle, je crois. Son chemisier vert et son pantalon taille haute couleur noir la mettent en valeur.

Elle regarde autour d’elle, scrute l’assemblée silencieuse et s’arrête sur moi et mon équipement.

  • M. Sol ?

Je la regarde ébahi. C’est donc bien elle, et elle ne m’a pas posé un lapin. Ne jouons pas trop les fanfarons, il est encore tant pour elle de me renvoyer dans mes quartiers, elle n’a pas encore eu l’honneur de jouir de ma senteur exsudative.

  • M. Sol, répète-t-elle en me regardant.

Quelle clairvoyance, elle sait déjà qui je suis. Peut-être est-elle allée regarder mon profil sur un réseau social. Qu’importe, je crois qu’il est temps de sortir de ma torpeur et de réagir avec assurance. C’est avec moi qu’elle a rendez-vous et personne d’autre alors roulons des mécaniques.

Je me lève, j’attrape le siège coque à mes pieds et m’avance. Je lui rends la main qu’elle me tend.

  • C’est bien pour Elïo, n’est-ce pas ?
  • Oui tout à fait Docteur, excusez mon étourderie la journée a été longue.

Elle m’invite à l’intérieur où je pénètre avec mon fils, puis elle referme derrière nous la porte du cabinet.

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