Pseudo : Abraham Joker     Titre : La nuit de Walpurgis

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…Trop de bruit ! Il y a beaucoup trop de bruit ! Les gens gueulent, sifflent, chantent en hurlant, comme des branques, il faut que je sorte… Où est la sortie ?... Je suis perdu dans cette foule qui me presse de toute part. Souvent ivres et enfumés, certains me parlent, postillonnant, empestant la bière et la vinasse, j’essaye de passer mon chemin, mais ils s’accrochent comme les morpions sur un moine… L’un d’eux m’agrippe par le bras, il a des choses à me dire !!!… Sûrement importantes … Je ne l’ai jamais vu… Je l’ai traîné jusqu’à la sortie, il m’a lâché pour en alpaguer un autre et à ce moment, je l’ai aperçue, fraîche comme une rose dans cette atmosphère poisseuse… Comment fait-elle ? En pleine conversation avec un groupe de filles que je ne vois que de dos. Ma tête tourne un peu, il est interdit de fumer, mais la plupart s’en foutent royalement, et ça ne sent pas que le tabac… Je tente de me rapprocher de son groupe, mais peine perdue, elles se rendent vers le bar, au fond de la salle près de la piste de danse d’où j’ai eu tant de mal à m’extirper ! Et merde ! J’y retourne…

— Je lui ai donné rendez-vous dans cette auberge/boite de nuit, d’habitude il y a moins de monde et la musique est sympa, Le D.J. est un copain, c'est ma play-list qu'il passe, mais il y a trop de bordel, je ne sais pas ce qu'il se passe aujourd’hui… Les gens bizarres se sont donnés rendez-vous ici ou quoi, faites gaffe quand même les filles... je me demande s’il va me reconnaître dans ce capharnaüm, on entend à peine la musique,..

— Si, écoutez c’est I believe de Bon Jovi ! tu l’as choisie pour moi, Lucy ?

— Non, pourquoi, Nadine, tu aimes ?

— C’est mon groupe préféré.

— Ah ! Je préfère Métallica, mais j’aime bien ! Bon, qu’est-ce que vous prenez, les filles, Bella, Korinne, Florence, Nadine, Mina ? Mojito pour tout le monde ? Ici il est divin ! Garçon 6 mojitos !

… Putain ! J’en ai marre ! Je les vois plus ! Lâche-moi, mon vieux, je m’en fous de ton problème… Bon sang, quelle sangsue ce mec… Ah ! Elles sont sur la galerie près de la cabine du D.J.

Comment ont-elles fait pour trouver une place assise là-haut ? Je vois… l’escalier est au fond… je vais devoir passer sous la mezzanine, ils sont tassés comme dans le métro un jour de grève…

— D’ici on voit toute la salle, mais on crève de chaud, les copines !

— Tu le vois ton gus là ? Ton Van Sting, dans la salle ? Il est complètement allumé ce mec, non ?

— Pas Vansting, Van Helsing¹, C’est un journaliste, il enquête sur des meurtres bizarres qu’il attribue à des vampires, il a retrouvé les mémoires de son grand-père et depuis il poursuit la traque. C’est drôle, il pense que ce soir c’est la grande fête des vampires et qu’ils se sont réunis ici pour commettre leurs rituels macabres.

— Tu parles, Lucy² ! Des vampires ! Déjà au dix-huitième siècle, Voltaire avait brillamment conclu dans son dictionnaire philosophique, après avoir fustigé les esprits faibles de l’époque, « qu’il n’y en a plus ».

— Bien dit, Mina³, il ne faut pas écouter toutes les fariboles et sornettes qui circulent, les vampires, loup-garous, extra-terrestres, les théories du complot, fantômes, zombies et autres balivernes, restons lucides, les filles, il n’y a plus que les virus et le mecs lourds pour nous faire suer… Ah ! Je viens de le voir, il arrive…

— Un virus, un mec lourd ?

— Tu déconnes là, Korinne ! Van Helsing, Jack Van Helsing bien sûr !

— Ton chasseur de vampires ?

— Évidemment ! Attends... Hey, Jack, je suis là-haut avec des amies, commande-toi un mojito en passant au bar et viens nous rejoindre !

— Vous allez rire ! Dans son sac à dos, il a toujours Un crucifix deux ou trois kilos d'ail, un litre d'eau bénite un miroir et un pieu, pas vrai Mina ?

— Pourquoi faire ?

— Chasser les vampires ?

— Il y croit vraiment ?

— Taisez-vous il arrive...

*****

Le Maître de cérémonie avait loué les trois seules chambres de l’auberge pour Lucy, Mina et lui. Opportunément, les lieux étaient configurés de telle façon qu’il se tenait dans l’ombre en haut de l’escalier menant à leurs chambres, pile face à la cabine de mixage et sa tribune. Les filles y avaient pris place et accueillaient maintenant Van Helsing.

Il observait le déroulement parfait du plan. Les rabatteurs avaient bien travaillé, non seulement Lucy et Mina, mais aussi tous les jeunes gens qui avaient chacun amené du monde. Il garderait le journaliste, l’insolent, pour la fin, ainsi celui-ci en aurait pour son argent. Pour le moment, ce dernier ne semblait pas méfiant. Il signifia à un des videurs de se débarrasser du mec saoul qui le convoitait d’un peu trop près, puis il inclina légèrement la tête vers la cabine.

Les premières notes de guitare, hypnotiques, s’extirpèrent des enceintes. L’assistance se fit attentive. La pression, dans l’air, augmenta sensiblement. Puis la batterie martela ses premières mesures, et la clientèle en contrebas accompagna le tempo, les yeux brillants. Le son saturé prit possession des corps. Les jeunes gens bondissaient sur place en balançant les bras, tandis que la transe s’emparait d’eux. Sous les spots, les robes bigarrées et les chemises blanches produisaient un effet kaléidoscope.

Van Helsing perçut le changement d’atmosphère avec un temps de retard et interrompit sa conversation avec la fille aux boucles d’oreilles vermeilles... aux aguets.

Voilà des années que le Maître ne se dérangeait plus pour ce genre d’amusement. Nuit de la Saint-André... ! Lucy avait usé de trésors de persuasion, afin de le tirer hors de ses montagnes des Carpates. L’excitation le saisit lui aussi. Le jet projeté par sa glande salivaire le ravit par sa vigueur. Son corps vibra d’impatience, anticipant le signal. Sur les mots « till the sandman he comes », Lucy capta son regard avide depuis son coin sombre. Cette fille lui faisait toujours autant d’effet. Ses babines se retroussèrent, un grognement involontaire s’échappa de sa gorge tandis que le refrain commençait « Exit light, enter night ». Les lumières de la boîte pulsèrent. Maintenant, on dansait frénétiquement, en bas. Le sol et les murs en vibraient. Les muscles de son cou s’épaissirent, ses pieds s’ancrèrent, prêts à le propulser dans la foule. Il s'en empêcha au prix d'un effort prodigieux.

« And the things that will bite, Yeah ! » Le cri, repris par tous ces gosiers affamés, fut immédiatement suivi d’un désordre exalté. Lucy dévoila ses canines, ses grands yeux candides plantés dans les siens. Mina était déjà à l’œuvre, une main sous la tête de Nadine, sa jolie petite blonde, l’autre agrippée à son sein dénudé. La jeune fille inconsciente dodelinait au rythme du piston impulsé par son amante. On prenait soin aussi des invitées de Lucy. Sur la cuisse de Florence, sous la jupe relevée, un beau gosse à peine majeur avait perforé la fémorale, tandis que le copain qui lui passait un joint un instant plus tôt suçait avec avidité le cou gracile. Les vannes étaient ouvertes aux flots de sang. Cure de jouvence.

Sur le rif de la guitare électrique, certains tentaient inutilement de forcer les portes et les fenêtres. Un homme, dos au mur, s’était fait un bouclier du plateau rond d’une table renversée. Quatre autres resserraient lentement leur cercle autour de lui, les yeux mi-clos, sûrs de leur satisfaction proche. Il y avait plus de prédateurs que de proies, mais chacun aurait sa part, à la curée.

« take my hand », scandait Metallica.

Et sur le sol collant de liquides mélangés, les premiers s’allongeaient déjà, repus, barbouillés, tandis que d’autres s’éveillaient à leur première nuit.

Le deuxième titre de l’album, « Sad but true », s’enchaîna. Lucy, surprise, releva vivement la tête vers la cabine du DJ. Le Maître comprit. Il avait quitté son ennemi un instant des yeux. Celui-ci ne se tenait plus sur la passerelle. Un flash frappa la vitre. Ce con prenait des photos, pour preuves de ses allégations. « Profite, rassasie-toi du spectacle des créatures de la nuit, tant que tu le peux, descendant Van Helsing. Tu finiras comme le précédent ». Saisi d’un accès de rage incontrôlable, le comte Dracula déploya son manteau mauve dans le vide. Lucy, devant la porte, lui apposa la main sur le cœur :

— Celui-là, vous me le laissez...

*****

¹ : Jack Van Helsing, petit neveu du professeur Abraham Van Helsing célèbre chasseur de vampire

² : Lucy Westenra, première femme vampirisée par Dracula en Angleterre

³ : Wilhermina Murray, épouse de Jonathan Harker, et maîtresse de Dracula qui l’a transformée en vampire en lui faisant boire son sang.

4 : Ambiance musicale : Enter sandman du groupe Metallica

Abraham Joker

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