La Boîte

Image de couverture de La Boîte

« J’aime le bout de ses doigts posés sur mes lèvres. Il fait ça à chaque fois qu’il a peur ou qu’il est fatigué. Que peut-il trouver de si réconfortant dans ce geste si simple ? Il tâte de ces petits doigts mes lèvres, cherchant un je ne sais quoi qui le rassure. »

« J’aime nos silences, nos moments de solitude où nous sommes ensemble. Et j’aime par-dessus tout ce moment où il se rend compte que je suis là et me sourit. Il lève la tête, plonge au plus profond de mon regard et je lis dans ses yeux comme dans un livre ouvert. »

« J’aime voir qu’il est confiant. Un simple regard pour se rassurer lui-même et savoir qu’à cet instant, rien ne peut lui arriver. »

« J’aime ses bras autour de mon cou. Serrant de toutes ses forces comme pour rentrer dans ma chaire. Son souffle sur ma nuque. La douceur de sa peau et le chatouillement de ses cheveux. »

« J’aime ses grands sourires, ses regards complices et doux. J’aime ses baisés sur la paume de ma main sans aucune raison, comme ça, au détour d’un couloir. »

« J’aime sentir sa présence comme un réconfort immense. Comme un repère dans mon existence. »

« J’aime savoir simplement qu’il existe dans cette vie. Qu’il est là avec moi, m’accompagnant dans mes peines et dans mes joies, même si bien des fois, je sens qu’il ne les comprend pas. Je sens pourtant qu’il est là pour moi, qu’à sa mesure à lui, il peut faire quelque chose pour m’aider et qu’il n’attend qu’un geste pour le faire. »

***

Le reflet dans la glace me renvoie une image que je n’ai jamais vue. Mes cheveux ont tous blanchi en une seule nuit et je n’ai pas pu parler durant 10 jours. C’est le temps qu’il a fallu pour que le nœud qui m’enserrait la gorge puisse se relâcher. Mes yeux ont vieilli. Ils sont devenus gris. Une lueur brille au fond d’eux, mais leur éclat bleu d’avant a disparu. 

Mes sourcils sont blancs aussi, comme mes cheveux, ils sont devenus ainsi en une nuit. Mes pattes d’oies se sont accentuées à un point tel qu’on a l’impression que mes yeux sont plus petits qu’avant. Mes joues se sont creusées. Elles reposent sur ma mâchoire. Une mâchoire que je sens dure et sans cesse agitée par une sorte de tic qui me l’a fait serrer tout le temps.

Mes lèvres sont desséchées. Rien ne peut les hydrater. Tous les produits connus y sont passés sans résultat. J’ai parfois de profondes gerçures, même en plein été. Je ne peux rien y faire.

L’image que me renvoie le miroir est triste. C’est un visage abandonné. Un visage qui s’est arrêté d’exister et qui se contente juste de survivre.

J’avais dit un jour à une amie qu’une fois que tout serait terminé, j’irais faire ma traversée du désert. Homme seul parmi les hommes. Que personne ne cherche à me joindre pendant les 10 ans à venir. C’est ce que j’estimais nécessaire pour que je puisse revenir à la vie et reprendre le cours de mon existence.

J’étais tellement loin du compte. Ce jour-là, le matin de la nuit où mes cheveux sont tous devenus blancs. Ce jour-là, une chose plus terrible encore que la douleur s’est emparée de moi. J’ai atteint un autre niveau de conscience. Quelque chose d’insoupçonné, une douleur, puisque les mots humains sont bien pauvres pour décrire cela, une douleur qui devait s’installer en moi et ne plus jamais me quitter.

Ce matin-là, le jour où mes sourcils ont blanchi et où mes yeux sont devenus gris. J’ai compris, que même mort, je ne retrouverai pas la douceur de son souffle dans mon cou. J’ai saisi que le bout de ses doigts sur mes lèvres serait une sensation qui ne serait que des effleurements fugitifs à l’orée de ma conscience. J’ai voulu fermer les yeux pour être là où il était, mais rien n’y fit.

Ce matin-là, face à ce parterre de fleur et de terre, j’ai senti le poids des ans sur mon dos. J’ai senti l’interrogation des gens sur le soudain changement de couleur de mes cheveux. J’ai presque senti leur reproche face à mon incapacité à pleurer. 

Ce matin-là, face à cette boite immonde, je cherche des larmes qui ne viennent pas. Face à cette boîte qui m’enlève plus que mon existence, qui me fait accéder à ce nouvel état de conscience où je suis au-delà de la douleur…

Ce matin-là, j’enterre mon petit bonhomme et avec lui toutes les sensations… de ses regards à ses doigts sur mes lèvres.

Ce matin-là, j’aimais plus que tout nos silences et nos moments de solitudes. Puisque mes cheveux sont aussi blancs que cette boite, puisqu’il me sera impossible de sentir de nouveau ces doigts sur mes lèvres ; ce matin, je m’abandonne à mon tour… et que la douleur fasse de moi ce qu’elle veut. 

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