Lady and the donkey    2ème partie

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  Nous occupions une grande chambre au bout du couloir avec un cabinet de toilette attenant, un grand lit, un petit canapé qui s’ouvrait dans lequel je dormais. Il était très confortable et, n’étaient les ronflements provenant du lit voisin, la chambre était plutôt silencieuse. Ma tante ronflait bruyamment, je le lui avais dit, mais elle n’en avait pas cru un mot, persuadée qu’une dame de la bonne société, attachée aux usages et aux convenances comme elle l’était, ne pouvait ronfler comme un sonneur, donc, certaine que j’avais du rêver ou pire, que "j’inventais" pour la mettre dans l’embarras. Il n’en fut plus jamais question.

  Cette nuit là, donc, mes rêves furent peuplés de jeunes beautés tournant sur elles-mêmes comme les derviches orientaux, ou déguisées en juges, me montrant du doigt avec colère, ou encore sarcastiques, me contemplant du haut de leurs chevaux, trottant autour de moi comme au manège, éclatant de rire à chaque fois que leur monture me frôlait et que, surpris, je m’écartais d’un bond maladroit. Puis tout changea, l’une des filles ressemblant à Liz, comme deux gouttes d’eau peuvent se ressembler, dénoua son foulard de son cou gracile, le roula en boule et, passant devant moi, le lança négligemment. Je l’attrapais au vol et passais illico du stade de souffre-douleur apeuré à celui de paladin, de chevalier servant, chargé de défendre les couleurs de la Dame au cours du tournoi auquel j’aurais sûrement participé si l’heure du réveil n’avait pas sonné, interrompant mes rêves de gloire.

  Le petit déjeuner était toujours servi dans la salle à manger, une grande pièce, toute en longueur, décorée d’une douzaine de grands portraits représentant sans doute les ancêtres du propriétaire des lieux, avec au-dessus de la grande cheminée, ses armoiries composées d’un blason représentant une main rouge sur fond blanc, surmonté d’une couronne. Nous nous installions à table et la bonne servait le thé ou le café et pour moi, le plus souvent, chocolat chaud, toasts grillés et confiture (que je n’avais pas le droit de tremper dans mon chocolat car c’était "disgusting" selon ma tante); s’y ajoutaient selon les jours, des céréales, des œufs frits, du porridge ou des fruits. Ce jour-là j’emportais ma pomme à l’extérieur car, si je voulais la manger à table, il me fallait l’éplucher avec le couteau et la fourchette or cet exercice, la première fois que je l’avais tenté, avait envoyé la pomme à l’autre extrémité de la table, butant contre l’assiette de notre hôte, le Baronet George Shrewcester (prononcer chrousteur) que l’on devait appeler sir George, qui, prenant la pomme, m’avait dit en souriant avec son terrible accent :

  « Aoh, vous n’aimez pas cette pomme, alors je la mangerai pour vous ! Merci. »

  Et il la mangea… tout bonnement en croquant dedans…impassible devant l’air pincé de ma tante qui me refusait le droit de la manger comme cela !

  C’était, au demeurant, un homme charmant, élégant et distingué, très british, veuf depuis, je crois, deux ans, qui m’avait montré dans son bureau bibliothèque les photos qu’il prenait, il appréciait les paysages, les vues colorées de promeneurs dans les rues de Londres quand il faisait beau et surtout les marines, des photos de bateaux prises en mer car il aimait particulièrement la voile et avait même proposé à ma tante de nous emmener en balade sur son petit voilier mais elle avait poliment refusé en arguant du fait que j’avais le mal de mer (ce qui était vrai mais elle avait omis de préciser qu’elle en souffrait également et qu’elle avait passé la plus grande partie de la traversée de la Manche dans les toilettes du ferry).

  Après le breakfast nous nous préparâmes enfin à sortir. Nous devions faire les magasins, ma tante voulait s’acheter une veste en velours côtelé style “équitation“. Bien qu’elle ne montât pas à cheval, ce type de vêtement lui plaisait beaucoup, elle le trouvait seyant et élégant, le chic anglais me disait-elle. Je pensais que ça n’allait bien qu’avec une culotte de cheval et des bottes mais je décidai de garder ma réflexion pour moi, d’autant qu’elle m’avait offert une glace et un sac de bonbons anglais de toutes les couleurs. Finalement, ne trouvant pas ce qu’elle cherchait elle finît par acheter une veste en velours vert foncé, plus classique qui, je crois, lui allait mieux, une robe noire avec une petite ceinture du même vert que la veste, des chaussures à talon, un sac assorti ainsi qu’un béret vert pomme. Elle voulut également m’en acheter un mais, ne supportant pas les bérets, casquettes, chapeaux et couvre-chefs en général, je refusai énergiquement. Puis, après un ou deux essais malgré mes protestations, un peu déçue, elle finit par renoncer, et ensuite m’acheta une chemisette blanche sur un short anglais gris anthracite et nous finîmes par quitter la boutique et pour me punir de l’avoir contrariée en m’opposant à l’achat d’une coiffure, je dus porter les sacs. Heureusement, sir Georges passait par là en voiture et nous raccompagna. Il conduisait une voiture de sport pas vraiment confortable surtout pour le passager arrière qui n’avait qu’une banquette dure, encombrée par les cartons, sans trop de place pour les jambes ni d’ailleurs pour la tête mais c’était plus agréable que la marche en portant les cartons.

  Il nous déposa dans la rue devant l’entrée principale du manoir car il devait repartir. Ma tante alla sonner à la porte située en haut de quatre ou cinq marches attendant qu’on lui ouvre au moment où j’aperçus au coin de la rue trois filles qui discutaient en regardant de mon côté, Liz, Pru et une autre fille de leur âge.

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