Lady and the donkey  3ème partie

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  « Qu’attends-tu ? » s'impatienta ma tante, « apporte les paquets, ne reste pas planté sur le trottoir comme un réverbère, ou un chien va venir faire ses besoins le long de ta jambe ! » ponctuant sa remarque d’un grand rire. J’emportai les paquets à l’intérieur, les déposai sur son lit et repartis à l’extérieur avant qu’elle ne m’impose une quelconque activité contraignante dont elle avait le secret. Je savais que maintenant elle allait passer un certain temps à déballer ses achats, les essayer, se contempler dans le miroir et en tout cas à m’oublier pour quelque temps. Une fois dehors, je me dirigeai nonchalamment vers le bout de la rue où se trouvaient les filles tout à l’heure. Elles avaient tourné à droite et papotaient un peu plus loin devant une grande maison dont le jardin situé à l’arrière devait être contigu au parc de sir Georges et également au champ dans lequel je les avais vues la veille faire du cheval.

  « Hello ! » dis-je en arrivant à leur hauteur.

  « Hi ! » répondirent elles, « what are you doing here?[7] » Demanda Pru

  « Perhaps Jack is looking for Ponie! [8]» fit Liz en éclatant d’un rire communicatif.

  Je comprenais bien qu’elles se moquaient encore de moi d’autant que je ne savais pas quoi répliquer, je pus seulement bafouiller que j’habitais à côté. Heureusement, leur copine parlait un peu français, suffisamment pour comprendre que j’étais en vacances chez le Baronet Georges Shrewcester, leur voisin, ce qu’elle leur traduisit. J’appris ainsi que Liz et Pru avaient douze ans, étaient cousines et les nièces d’un juge voisin et ami du baronet et qu’elles étaient également en vacances chez leur oncle, qu’elle-même s’appelait Penny, qu’elle avait treize ans et que sa mère était professeure de français. Elle me proposa enfin de les accompagner le lendemain samedi dans une sorte de fête foraine qui se tenait à la sortie du village, à environ vingt minutes de marche, Liz et Pru acquiesçant à cette proposition avec un sourire d’où avait disparu la moquerie. Nous nous donnâmes rendez-vous à quatorze heures au coin de la rue. Le plus difficile, pour moi, restait à convaincre ma tante.

  A ma grande surprise, elle accepta sans difficulté quand je précisai que j’y allais avec les nièces du juge qu’elle savait être un ami de sir Georges. Malheureusement pour moi, en l’apprenant, celui-ci trouva l’idée géniale et proposa de nous rejoindre avec Juliette, ma tante, qu’il prononçait Djoulieut, en expliquant que son voisin et ami accompagnerait surement ses nièces pour cette sortie festive. Ma tante avait toujours été un peu snob et l’idée que je puisse accompagner les nièces d’un juge qui serait présent lui-même, en compagnie de sir Georges, flattait son égo car tous deux faisaient partie des personnalités locales. Le gratin du village quoi !

  Le lendemain, personne ne s’éternisa à table. Ma tante étrenna les vêtements achetés la veille en m’enjoignant à faire de même et nous rejoignîmes sir Georges qui patientait dans le vestibule. Il se fendit d’un compliment en précisant que le béret lui allait à ravir. C’était un galant homme, très aimable, mais s’il pouvait le penser en fait, je ne jurerai quand même pas de sa sincérité.

  Au bout de la rue, les filles nous attendaient en riant aux éclats selon leur habitude. Leur oncle n’était pas avec elles aussi sir Georges alla le chercher en nous priant de les attendre. Je fis les présentations, « Juliette my aunt[9], Elisabeth, Prudentia, Penelope. » Chacune s’inclinant à l’énoncé de son prénom puis, ces messieurs approchant, nous nous mîmes en route les laissant marcher avec ma tante tandis que nous les précédions en devisant gaiement, Penny venant au secours de mon anglais défaillant et plus qu’approximatif et, ce faisant, nous arrivâmes à la fête.

  C’était une fête foraine classique avec les marchands de confiseries de toutes sortes, de beignets, de glaces, les stands de tir, les loteries, les manèges, les diseuses de bonne aventure, les auto-tamponneuses (Dodgems en anglais) etc… Liz et Pru jetèrent leur dévolu sur ces dernières et nous proposèrent de former deux équipes et de compter les points chaque fois qu’une équipe tamponnait l’autre. La première en vingt-et-un points, comme au ping-pong[10], se verra offrir des « candy-floss » par l’autre. Penny ne sut pas m’expliquer de quoi il s’agissait sauf que c’était bon à manger. Je fis donc équipe avec elle car les cousines voulaient rester ensemble et surtout parce que nous pouvions discuter en français. Il nous fallut quatre séances pour atteindre le résultat souhaité et donc gagner sous le regard des adultes et ce fut le juge qui nous offrit nos gains sur un stand de… barbe à papa rose, verte, blanche et jaune. Puis sir Georges gagna, sur un stand de tir, un Teddy-bear qu’il offrit à ma tante qui le remercia pour ce « joli nounours », et cette expression déclencha l’hilarité de tout le monde car intraduisible. Puis il nous offrit un chocolat chaud dans l’un des stands. Nous passâmes ainsi une agréable après-midi, les filles se moquant souvent de moi, de mes tentatives d’explication, de mon accent mais également de ma tante et de son béret demandant, en me chuchotant à l’oreille, ce qu’elle avait bien pu faire de son pain et éclatant de rire devant mon incompréhension. Il s’agissait en fait de la représentation satirique du français avec un béret sur la tête et une baguette de pain sous le bras mais, ne connaissant pas cette imagerie populaire britannique, je ne comprenais pas ce qu’il pouvait y avoir de drôle … et cela les faisait encore plus rire. Ce qui me consolait c’est qu’elles se moquaient surtout de Djiouliette comme elles disaient. Quand nous quittâmes la fête, les conversations allèrent bon train sur le chemin du retour et j’eus la sensation d’avoir fait quelques progrès en anglais mais je compris également que les filles de douze et treize ans étaient beaucoup plus matures que moi et que mon intérêt plutôt platonique ne pouvait leur convenir. Mon attirance étant encore ancrée dans l’enfance dont je sortais à peine alors qu’elles étaient déjà adolescentes.

  Les vacances se terminaient, nous quittâmes la Grande-Bretagne trois jours plus tard sans que j’ai pu revoir aucune d’entre elles, et je n’ai jamais reçu la moindre nouvelle.

Notes

[7] Salut ! Que faites-vous ici ?

[8] Jack cherche peut-être Ponie !

[9] My aunt : ma tante

[10] Depuis 2001 les manches ne se jouent plus en 21 mais en 11 points.

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