Magni avait toujours été d'un naturel solitaire. Si on lui demandait pourquoi, il répondrait probablement qu'il n'aimait pas les gens. Ce n'était bien sûr pas entièrement vrai. Les foules bruyantes l'agaçaient, beaucoup de personnes lui semblaient ennuyeuses si ce n'est carrément insupportables, et il préférait sans aucune hésitation passer sa soirée avec un bon livre et de la musique que dans une fête, mais il lui arrivait tout de même souvent de s'attacher aux personnes qu'il rencontrait individuellement, et il pouvait avoir beaucoup de plaisir à passer du temps avec elles.

Du haut de ses 22 ans, il semblait plus mature que la plupart des gens de son âge. Ses longs cheveux châtains et les lignes de khôl noires soulignant son regard profond lui avaient valu un certain nombre de remarques et moqueries, qui ne l'avaient jamais réellement atteint. Il avait d'ailleurs du mal à comprendre l'obsession que beaucoup d'humains avaient pour la vie des autres, surtout lorsque cela n'avait strictement aucun impact sur la leur. Cela faisait pourtant des années qu'il vivait en leur compagnie. Il avait toujours été attiré par la terre, pour une raison qu'il ignorait, et avait quitté Mengiheimr, son monde d'origine, pour aller l'étudier. Le passage entre ses deux mondes s'était depuis refermé, mais ça lui était égal. Il n'aimait pas les ledrblakas beaucoup plus que les humains. Du moment qu'on le laissait en paix et qu'il avait des livres à disposition, qu'il soit dans un monde ou un autre, ça n'avait au fond pas une grande importance à ses yeux.

Les humains n'avaient jamais soupçonné Magni de ne pas être des leurs. En effet, sa forme physique était très similaire à celles des hommes, plus grand et musclé que la moyenne peut-être, mais rien qui ne sorte réellement de l'ordinaire. Enfin, tant qu'il ne révélait pas sa réelle apparence, bien sûr. Lorsque c'était le cas, ses yeux prenaient une teinte rouge sang, assortie aux grandes ailes tannées se déployant dans son dos, ses dents s'allongeaient et s'acéraient, ses ongles devenaient des griffes sombres longues de plusieurs centimètres, et des lames d'acier affûtées comme des rasoirs apparaissaient entre ses phalanges. Il ne lui était jamais arrivé de montrer sa nature à un humain, car il craignait d'effrayer ceux qu'il appréciait, et qu'il se refusait à faire du mal à qui que ce soit si sa vie n'était pas en jeu. L'envie de lacérer les plus agaçants d'entre eux lui avait cependant déjà traversé l'esprit plus d'une fois.

Cette nuit-là, il lisait sur son canapé comme à son habitude lorsqu'une détonation d'une force surprenante retentit. Le jeune ledrblaka eut à peine le temps de relever la tête avant de perdre connaissance. Lorsqu'il se réveilla, le paysage l'entourant avait entièrement changé, plus de canapé, de bibliothèque murale, ni même de murs d'ailleurs. Il était au milieu d'une épaisse forêt dont les arbres étaient bien trop hauts pour être terriens. Ils ne venaient pas de son monde natal non plus, leur espèce ne correspondait pas. À y regarder de plus près, il remarqua qu'il s'agissait finalement tout de même d'espèces terriennes, malgré leur taille démesurée. Il inspecta les environs, utilisant ses sens aiguisés, différents de ceux des humains. Il était bien sur terre, il pouvait le sentir, mais il ressentait aussi quelque chose qui n'aurait pas dû se trouver sur cette planète, quelque chose de « magique », à défaut d'un mot humain plus adapté. Le lien se fit dans son esprit. La Détonation ! Ce devait être la manifestation de forces ancestrales, oubliées depuis longtemps sur cette planète ! La terre avait changé, en l'espace de quelques secondes la nature avait repris ses droits, et ses habitants avaient été assommés momentanément par l'onde de choc de ce changement soudain. Magni continua de concentrer ses sens sur son environnement, et commença à sentir des présences hostiles dans les alentours. Une fois de plus, cela ne ressemblait à rien de ce qu'il avait pu rencontrer sur Terre. Deux possibilités lui semblèrent pouvoir expliquer la situation : soit les animaux terrestres avaient muté en même temps que les végétaux, soit de nouvelles créatures étaient apparues d'une manière qui lui échappait encore. Quelle que soit l'option, il n'avait aucune idée concernant les caractéristiques de ces créatures, et s'il se savait capable de combattre n'importe quelle forme de vie terrestre, il n'avait aucune certitude face à ses nouvelles apparitions. Il décida donc de partir à la recherche d'un lieu abrité et de récolter des vivres en chemin, il réfléchirait à la suite plus tard. Lorsqu'il se releva, quelque chose glissa le long de ses jambes. Son livre l'avait accompagné ! Magni poussa un soupir de soulagement. La situation était suffisamment désagréable comme cela, s'il s'était en plus retrouvé dans l'incapacité de terminer son histoire, il n'était pas sûr qu'il aurait tenu le coup !