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Un claquement de porte me réveilla. Il faisait encore nuit. L'heure sur mon téléphone indiquait 3h40. Qui était sorti en pleine nuit ? Jimmy ne dormait-il pas ? La panique m'envahit : et s'il était parti commettre l'irréparable ? Je me levai d'un bond, dévalai les escaliers. Arrivée au salon, constatant qu'il n'y avait personne sur le canapé, je me précipitai vers la porte de sortie et l'ouvris avec fracas. C'est là que je le vis, emmitouflé dans la couette, assis sur la table de la terrasse, cigarette entre les doigts, admirant la nuit étoilée. Il se retourna sur mon entrée théâtrale.

"Oh Putain tu m'as fait peur, sortis-je spontanément.

- Tu as cru que j'allais finir ce que j'avais commencé ?

- En toute franchise, oui.

- Je n'arrivais pas à dormir et le ciel est magnifique, je ne voulais pas rater ça.

- Oui c'est vrai, constatais-je en levant les yeux vers le ciel. L'adrénaline ayant chuté, le froid de la nuit me fit frissonner. En croisant les bras, je continuai : Bon, je te laisse.

- Attends, viens, dit-il en ouvrant sa couette pour me laisser une place à côté de lui. En tout bien tout honneur, ajouta-t-il l’œil rieur.

Je m’approchai de lui pour m'installer sur la table. Je me calai et refermai mon coin de couette sur moi.

Le paysage était stupéfiant : les milliers d'étoiles sur nos têtes, les falaises en face et le son de la mer en contre-bas. Je fermai les yeux et humai profondément l'odeur de la nuit.

- Je voudrais vraiment te remercier à nouveau, Olivia, dit-il doucement. Il tira sur sa cigarette. Je dois t'avouer quelque chose. Au moment où j'étais sur la falaise, j'avais toutes mes facultés mentales. Oui, j'étais ivre, oui, j'ai eu quelques trous de mémoire, oui, les sentiments étaient sûrement exacerbés, mais j'étais conscient de tout ce que je faisais. Il marqua une pause. Si tu n'étais pas apparue par magie dans mon dos, je pense que j'aurais sauté. J'avais juste envie que cette douleur s’arrête.

Je le regardai se confier à moi. Je le détaillai, laissant mon regard courir sur son visage. Une sincérité que je n'avais pas vu auparavant s'en dégageait.

- Pourquoi Amy et toi vous êtes-vous quittés ? osai-je articuler.

Il souffla longuement la fumée de sa cigarette, puis sortit :

- Elle a trouvé mieux... Elle est arrivée ce matin-là par surprise. J'étais heureux comme jamais. J'étais tellement fatigué moralement par ce tournage, cette visite aurait pu me rebooster. Il rit jaune. J'ai vite déchanté... Elle s'est assise à ma table de petit-déjeuner, a mangé nonchalamment un bout de pain et a vomi tous ces mots, toutes ces remarques. Puis, tranquillement, elle m'a dit qu'elle avait rencontré quelqu'un et que, de toute manière, entre nous, il n'y avait plus de sentiment, qu'elle se demandait si elle en avait jamais eu. J'ai été blessé jusqu'au plus profond de moi-même. Je l'aimais et je pensais qu'elle m'aimait aussi.

Il se tut pensif, puis reprit:

- Et toi, pourquoi tu as divorcé ?

- Exactement comme toi, à quelques détails près, souris-je. Sous son regard interrogateur m'appelant à développer, je repris : il m'a quittée pour une autre, le coup classique. Mais j'ai un petit bonus. Il m'écoutait avec attention. C'était avec ma meilleure amie et pendant deux ans ...

- Ouch, m'interrompit-il.

- Attends c'est pas fini, il l'a mise enceinte. Pourtant, moi, j'ai dû avorter quand on était ensemble. Avec elle, il n'a pas hésité.

- Ah non! Quel connard !

- Je t'avoue que j'ai pensé à sauter aussi quand j'étais à côté de toi, souris-je tristement. Le bébé est né le jour où je t'ai rencontré. Et je me rends compte que c'est la première fois que j'y repense. Donc, merci d'avoir fait diversion.

- A votre service, Madame, dit-il en se retournant vers le ciel.

Nous observâmes le ciel en silence un instant. En regardant les étoiles, je fus prise d'un vertige : on était là, à tourner dans le vide comme accroché à une grande roue sans harnais de sécurité. A quoi servait notre existence ? Sous cette voûte, je me sentis si petite. Ma vie sur cette terre était tellement insignifiante. Prise dans mes pensées existentielles, je me mis à penser tout haut, sans retenue comme si je parlais aux étoiles :

- Je ne sers à rien.

Il se retourna pour me regarder inquiet, je repris aussitôt :

- Ma sœur va sûrement devenir une grande avocate. Ne parlons pas d'Andreas qui est déjà fabuleux. Je ne suis qu'une secrétaire médicale dans un cabinet d'un médecin gynécologue dans une clinique. Je vois défiler des femmes enceintes toute la journée, tandis que moi en 10 ans de mariage, je n'en ai pas eu un seul. 10 ans de mariage, 13 ans de vie commune.18 ans que je le connais. Et pour quoi ? Pour ça ? J'ai passé 18 ans de ma vie à faire en sorte qu'il soit ce qu'il est. Je l'ai suivi à l'université. Quand j'ai arrêté mes études, j'ai fait en sorte que lui les termine avec sérénité. Avec mes presque deux années de médecine, j'ai été rapidement engagée comme secrétaire médicale. Je me suis mise à travailler pour payer le loyer. Quand il a été diplômé, il a voulu se spécialiser dans la chirurgie dentaire. Et rebelote j'ai encore travaillé pour lui. Ce n'était pas grave, on s'aimait. Quand il a réussi, j'étais fière. Ma mère avait un gendre chirurgien ! La belle affaire. Il y a cinq ans, il a été engagé dans la même clinique que moi et il s'est tapé ma collègue et meilleure amie. Là, comme ça, sous mes yeux aveugles. Et moi, pendant ce temps, je continuai à l'encourager à faire en sorte qu'il monte les échelons.

Je pris soudain conscience de tout ce qui n'allait pas dans ma vie.

- Pendant toutes ses années, je n'ai jamais pensé à moi. Pendant toutes ses années, je me suis effacée. J'ai gâché ma vie.

La colère m'envahit :

- Effacée pour ne pas déranger. Effrayée de ne pas être aimée, j'ai toujours tout fait, dans ma vie, pour faire plaisir aux autres. J'ai toujours dit Oui, à tous, de peur qu'on me dise Non. Je suis entrée dans un moule que j'ai sculpté moi-même. Je marquais une pause et dans un souffle je dis : je n'ai jamais suivi mes envies, mes désirs. Les choses qui nous donnent envie de vivre, de se lever le matin. Je me suis contentée de laisser le temps couler sur moi, sans espoir, sans folie. J'ai envie de recommencer ma vie, de la rattraper. Penser à moi. Faire tout ce que j'ai envie. Faire des choses folles !

Le silence revint dans la nuit. Il tira sur sa cigarette, recracha longuement la fumée et demanda :

- Et qu'est-ce que ce serait ta folie ? Par exemple, là maintenant, qu'est-ce qui serait ton coup de folie ?

Je restai à le dévisager sans trouver de réponse.

- Tu me prends par surprise là. Là, maintenant, un coup de folie ?

Il acquiesça m'encourageant à donner une réponse. La seule chose qui me venait à l'esprit, c'était de l'embrasser, de sentir ses lèvres sur les miennes. Gonflée à bloc par mes nouvelles résolutions, j'osai articuler en riant afin de tourner ça en plaisanterie, au cas où.

- T'embrasser !

Il eut un mouvement de surprise et avec un rire, il dit : ce n'est pas un coup de folie ça. Un baiser ce n'est rien.

- Peut-être pour toi, mais pour les personnes lambdas embrasser une célébrité, c'est super fou ! répondis-je légèrement vexée.

Il jeta son mégot, se retourna vers moi, prit mes joues entre ses mains et m'embrassa rapidement.

- Tu vois, ça n'a rien de fou. Juste un peu surprenant.

Je restai accrochée dans le vide, les lèvres en suspens, les étoiles tournant autour de moi.

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