29.Le glas de l'innocence

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Le matin de l'enterrement de Sarah, Elsa reçut une lettre dans une enveloppe à bulles provenant des Etats-Unis. Elle la décacheta et en sortit le contenu : un CD et les quelques mots l’accompagnant qui lui étaient destinés.

"Elsa,

en souvenir de nous, je t'envoie le premier extrait de l'album que j'enregistre en Amérique. J'espère pouvoir débuter ma tournée en France courant décembre.

Je sais que pour nous, tout est terminé mais j'aimerais que tu écoutes cette chanson que je te dédie, et que tu viennes me voir en concert. Je te ferai parvenir les billets en temps voulu.

Je t'embrasse affectueusement.

Love and kisses.

Patrick."


  • Patrick, si tu savais de quoi nous sommes responsables tous les deux... souffla-t-elle la larme à l'oeil. Où te caches-tu, bon sang ? 

Elle inséra le CD dans la chaîne hi-fi, s'agenouilla sur son lit romantique d'adolescente pleine de rêves et de féerie et se laissa porter par les paroles et la musique en fermant les yeux...

"Comme une vague, aller une dernière fois

Mourir doucement à l'ombre d'une plage

Comme le silence, partir qu'on ne m'entende pas

Traîner ma vie comme une trop longue seconde

Traîner l'envie de t'aimer encore aujourd'hui

Et m'en aller sans lendemain

Lâcher une fois pour toute...


Mais vivre en toi

Comme au début

Avant que tu ne m'aimes plus...


Partir là-bas où je n'aurai plus de lumière

Trahir la vie comme un pays que l'on déserte

Manquer de toi dans un grand lit vide sans odeur

Claquer la porte à cause d'un manque de peau

Gueuler l'amour en fendant l'air comme un idiot

Et puis m'en aller me faire foutre

Lâcher une fois pour toute (...)


Tu sais, j'me fous de tout ce qu'on s'est dit

Y 'a pas de raison que j'reste ici

Te regarder aimer un autre (...)


Mais vivre en toi

Comme au début

Avant que tu ne m'aimes plus..." (1)


Le CD se tut. Elsa ouvrit à nouveau les yeux et essuya du revers de sa manche la larme qui s'écoulait sur sa joue. Son look était sobre, sans aucune fioriture, contrairement à son habitude : un pantalon noir, un pull en cachemire sombre, un maquillage discret. Il lui fallait gommer son côté Lolita pour assister le plus anonymement possible aux funérailles de ma fille.

  • Patrick, nous aurions dû savoir que notre idylle n'avait aucune chance de fonctionner, aucun avenir ! Sarah avait davantage besoin de ton amour que moi...

Elle ne savait plus si elle prononçait ces paroles pour moi ou pour elle-même. Elle se reprit, se leva d'un bond, masqua ses yeux rougis derrière des verres fumés et s'emmitoufla dans sa parka anthracite pour aller affronter les éléments. Elle ne savait pas que Biancamina en ferait partie...


Le même jour, dans mon ex-demeure familiale, Biancamina raccompagna notre médecin de famille à la porte.

  • Docteur, ma fille pourra-t-elle supporter la cérémonie funéraire qui aura lieu en fin de matinée ?
  • Il faudra beaucoup l'encadrer, madame Leroy, et beaucoup de repos lui sera nécessaire dans les semaines qui vont suivre. Je lui ai prescrit un anti-dépresseur puissant, mais l'effet ne sera pas immédiat. A propos, comment se porte la petite Morgane ?
  • Elle ne parle toujours pas. Elle est très choquée depuis la disparition de sa soeur. J'ai pris la décision de la faire garder toute la journée. Elle ne me semble pas en état pour affronter l'enterrement de sa jumelle.
  • Vous avez parfaitement bien fait, madame Leroy, c'est une sage décision... Je me permets d'ailleurs de vous renouveler mes plus sincères condoléances...
  • Merci docteur, à très bientôt.
Le médecin de famille quitta les lieux tandis qu'un jeune facteur, l'air affolé, se présenta à la porte :

    • Madame Leroy, Madame Leroy...
    • Eh bien, qu'avez-vous mon brave ? s'enquit Biancamina.
    • Voilà, je sais que le moment est mal choisi, mais j'ai en ma possession une lettre adressée à la petite Sarah. Ca vient des Etats-Unis... Qu'est-ce que j'en fais ?
    • Faites donc voir cela !

    Le facteur tendit le pli à mon ex belle-mère qui s'empressa de l'ouvrir.

    "Sarah, ma petite princesse,

    Je reviendrai en France pour Noël. Il fallait que je trouve un nouveau travail. J'ai enregistré un CD et je vais donner des spectacles, comme ton idole Lorie. Je vivrai de ma musique, comme à l'époque où j'ai rencontré ta maman. Je vais être riche, je pourrai vous acheter tout ce dont vous rêvez, Morgane et toi. On pourra même aller voir Blanche-Neige et Mickey à Paris.

    Ne donnez pas trop de travail à maman ou à Biancamina, et embrasse ta soeur pour moi.

    Je t'aime, ma pupuce d'amour. Tu me manques. Je te fais de gros bisous.

    Affectueusement.

    Papa."

    Biancamina était émue. Elle replia promptement la lettre et la rangea dans l'enveloppe. Le verso ne mentionnait pas l'adresse de l'expéditeur. Devant l'air interrogateur du jeune facteur, Biancamina se fit un devoir de rassasier sa curiosité :

    • C'est une lettre de son père. Il lui écrit pour lui annoncer qu'il viendra pour Noël. Il ne sait pas qu'elle n'a pas pu l'attendre...

      L'homme prit congé sans un mot. La vieille dame, habillée de noir pour la deuxième fois de sa vie depuis la mort de son mari, parut avoir prit dix ans d'un seul coup. C'est une fois seule dans le jardin qu'elle laissa enfin la tristesse s'exprimer et envahir tout son être.


      L'église était remplie d'anonymes ébranlés par la tragédie d'une gamine âgée d'à peine six ans, défunte d'avoir voulu rejoindre son père qui lui manquait tant.

      Anna faisait partie de cette foule. Amie de la famille, elle y avait une place légitime, même si elle choisit le dernier rang pour ne pas indisposer Valériane, qui ne lui avait pas pardonné d'avoir couvert mon infidélité.

      Elsa voulait à tout prix elle aussi rendre un dernier hommage à Sarah. Ma fille ne l'avait jamais vraiment acceptée, mais elle la comprenait. Elle essaya donc de se faire discrète dans l'assistance. Cependant, sa présence alimenta les esprits puritains et bien-pensants, et le brouhaha environnant ne tarda pas à attirer l'attention de Valériane. Apercevant l'objet du scandale, celle-ci demanda à mon ex belle-mère de chasser l'intruse. Biancamina s'exécuta en s'approchant d'Elsa :

      • Vous n'avez rien à faire ici, mademoiselle, veuillez respecter la dignité et le deuil de notre famille !

        La vieille dame avait employé un ton cassant qui supposait une obéissance totale. Malgré tout, Elsa tenta une réplique maladroite :

        • Ecoutez, madame, je comprends le chagrin qui vous accable, mais j'aimais beaucoup Sarah...
        • Taisez-vous, petite insolente ! coupa sèchement Biancamina. Ma fille n'a pas à endurer votre présence aujourd'hui, et Sarah n'aurait pas voulu de vous ici. C'est vous qui lui avez volé son père, c'est à cause de vous qu'il a dû partir, et c'est à cause de vous qu'elle a voulu le rejoindre de l'autre côté de l'océan. C'est VOUS qui êtes responsable de sa mort, alors sortez d'ici ! 

          La colère de la vieille dame était palpable, et le son de sa voix résonnait encore dans l'enceinte de l'église lorsqu'Elsa quitta précipitamment les lieux, le corps secoué de sanglots et l'âme remplie de culpabilité.


          Le corps de la fillette fut mis en terre. Valériane avait déserté rapidement la cérémonie. Elle fut raccompagnée par un de ses oncles, tandis que Biancamina recevait les condoléances.

          Mes parents se présentèrent devant elle :

          • Croyez bien à notre plus sincère compassion, madame Leroy, se hasarda ma mère. Si nous pouvons faire quelque chose...
          • Trouvez votre fils, c'est tout ce que je vous demande ! Morgane a besoin de lui...
          • Vous pensez bien que si nous savions où il réside...poursuivit mon père.
          • Non, voyez-vous, je ne pense plus ! Maintenant, veuillez m'excuser, mais je dois rentrer pour m'occuper de ma fille... 

            Le temps était glacial, brumeux, comme l'humeur de ma petite ville attristée par la perte d'une de ses enfants.


            (1) : paroles empruntées à une chanson du répertoire de Patrick Fiori : "Vivre en toi".




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