27.Tourner ma page...

3 minutes de lecture

Durant  les jours qui suivirent, j'attendais avec appréhension la visite des policiers afin que je réponde devant la justice du mal que j'avais fait à Elsa. Mais rien ne se passa. Et c'était encore pire pour moi. Je me dégoûtais. Il fallait que je parte, que je fuisse cette ville qui avait fait de moi cet être abject dans lequel je ne me reconnaissais pas. Je fis donc mes valises, chargeai ma voiture, et écrivis deux lettres avant de quitter l'appartement : une première d'excuses destinée à Elsa, et une seconde pour Sarah afin de lui expliquer que la vie des grands était compliquée, qu'on ne pouvait pas toujours faire ce qu'on voulait, et que je devais partir, mais qu'un jour prochain je viendrais la chercher et que plus rien alors ne pourrait nous séparer. Je n'aurais pas dû remettre à plus tard cette tendre promesse de père, ne sachant pas encore que l'impatience d'une petite fille m'empêcherait de l'honorer.


Avant de refermer définitivement la page de ce livre et d'en ouvrir un nouvel opus, je décidai de rendre visite à Anna, cette fidèle amie qui ne m'avait jamais trahi. J'appuyai sur la sonnette et la porte s'ouvrit sur Soprano, ce sympathique terre-neuve qui me fit la fête comme si j'étais son maître.

  • Oui, mon gros, tu es un bon chien, dis-je en m'accroupissant pour le caresser.
  • Patrick ? Qu'est-ce que tu fais là à une heure si tardive ? me demanda sa maîtresse. T'as un problème ?
  • Je suis venu te faire mes adieux, Anna... dis-je en me relevant.
  • Tu t'en vas ? Mais pourquoi ?
  • Parce que j'ai fait une connerie, Anna, une de plus, et que je fais souffrir tout le monde, y compris toi !
  • Je pourrais te rendre heureux, tu sais...
  • C'est moi qui te rendrais malheureuse, et tu vaux bien mieux que ça.

Je l'embrassai sur la joue et mais elle me retint en me volant un french kiss.

  • Non, Anna, s'il te plaît... fis-je en la repoussant doucement. Ce n'est vraiment pas une bonne idée...
  • C’est mon cadeau de départ, ma façon à moi de te dire au revoir.
  • Sauf que ça ne nous mènera nulle part, c’est Elsa que j’aime...
  • Je ne le sais que trop, Patrick, me souffla-t-elle en passant ses mains autour de mon cou. Et qu’importe si tu me fais l’amour en pensant à elle. Je veux juste te garder en moi une dernière fois…

Nouveau french kiss. Je me laissai aller dans cet ébat si tendre, m’abandonnai sous ses caresses, dans ses bras. Je ne méritais pas cet amour qu’elle me donnait sans condition, sans "juré " ni "toujours " ; je ne méritais pas ce corps qu’elle m’offrait. Elle était belle dans la pénombre, quand les ombres dansaient sur ses courbes féminines qu’elle n’exhibait jamais d’ordinaire. Elle était belle quand elle aimait un homme, quand elle se livrait sans fard avec tout l’amour qu’elle pouvait donner. Elle était belle mais je ne l’aimais pas. Je lui faisais l’amour par amitié, sans lui faire l’affront de m’imaginer le faire avec mon ex. Je lui devais bien ça.

Au petit matin, quelques mots griffonnés sur un bout de papier déchiré d’un bloc-note avant qu’elle ne s’éveille, un merci empli de gratitude couché sur trois lignes à petits carreaux, puis quitter la maison pour m'engouffrer dans ma voiture. A sa fenêtre, à peine drapée d’un cardigan, Anna - qui n'était pas vraiment endormie - resta un long moment à me regarder partir au loin, dériver de sa vie, impuissante à la seule force de ce corps, que j’avais égoïstement baisé, à me retenir. Soprano, quant à lui, s'était assis sur une chaise à côté d'elle et gémissait.

Le rideau retomba sur ces yeux embués par des larmes que mon amie se refusa à laisser couler tandis que je me laissais aller dans mon monospace, immobile, à écouter mélancoliquement l'autoradio-CD me cracher les paroles de Bruel à la figure :

"Alors vite, je tombe

Comme un oiseau voleur

Touché là en plein coeur

Et qui s'demande encore pourquoi

Il est passé par là..." (1)

On ne prête jamais assez d’attention à ces ritournelles qui nous paraissent tellement anodines, et qui sont pourtant si vraies... Je coupai le poste, mis en route le moteur et partis sur les chapeaux de roues. Une page de ma vie se tournait.


(1) : paroles extraites de la chanson "J'te mentirais"

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0