24. Accords perdus

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Contre toute attente, les premières lézardes de mon idylle avec Elsa ne vinrent pas directement de ses relations avec Sarah. Sur ce point, mes craintes n'avaient pas lieu d'être. Un week-end sur deux, mon « amoureuse » se devait de laisser le champ libre à ma fille, m’efforçant de rendre leurs rencontres le plus éphémère possible pour les épargner toutes les deux. Je savais qu'Elsa n'appréciait pas d'être ainsi mise à l'écart, mais elle comprenait Sarah, ce que ma séparation d'avec sa mère lui faisait endurer.

Non, le point d’achoppement était ailleurs, parce qu’Elsa était en train de se rendre compte, au cours de ses week-ends « quartier libre » de son âge réel, de ses envies adolescentes de sorties entre copines ou en boîte de nuit le samedi soir, de ce sempiternel désir enfoui en elle : celui de tester en permanence son pouvoir de séduction sur les hommes en jouant les aguicheuses. Elle n’était clairement pas encore prête pour une vie de couple « adulte », à concilier l’inconciliable...

Et moi, je la sentais imperceptiblement s’éloigner de moi sans en avoir l’air. Alors pour mieux la retenir, j’usais abusivement de ce talent qu’elle m’avait ouvertement reconnu : celui d’amant exceptionnel. Je faisais tout pour varier les plaisirs sans sombrer dans la monotonie, pour entretenir la flamme. Parce que j’avais une peur bleue qu’Elsa ne se lasse de nos ébats, de moi. Je me fis donc inventif dans nos joutes charnelles en les multipliant dans des lieux insolites : sous une porte cochère lorsqu’on s’abritait furtivement d’une soudaine averse, sur le capot ou à l’arrière de ma bagnole lors de brèves escapades campagnardes, dans une salle de ciné d’art et d’essai désertique, dans une cabine d’essayage de lingerie fine… Tout était bon pour, oui, mais j’étais de plus en plus égoïste dans nos transports, ne pensant qu’à mes désirs, ma jouissance au détriment de la sienne. Jusqu’à lui imposer une sodomie sans préambule. J’aurais dû m’arrêter là, lorsque j’aperçus les larmes silencieuses qui perlaient sur son visage, et cette lèvre inférieure qu’elle se mordait pour ne pas crier. J’aurais dû comprendre que j’allais trop loin dans mes exigences sexuelles, mes fantasmes. Que j’étais en train de nous saborder...


Un soir de mai, Elsa était allongée nue et offerte sur notre lit, attendant que je l'honore de façon « classique », mais elle fut surprise que je ne m'empresse pas auprès d'elle. Au lieu de cela, je m'attardai sur l'ordinateur.

  • Qu'est-ce que tu fabriques ? s'enquit-elle.
  • Je règle la webcam.
  • Pour quoi faire ?
  • Pour filmer nos ébats et que d'autres internautes se rincent l'oeil en direct...

Ce fut probablement la goutte d’eau pour elle. Elle se leva d'un bond, et me prit par les épaules pour me planter son regard dans les yeux :

  • Ecoute-moi bien, Patrick. Ca fait plusieurs mois que j'accepte tes mises en scène plus ou moins farfelues, de plus en plus osées voire carrément perverses. Mais là, c'en est trop. Je n'ai que dix-sept ans, bordel ! Je ne suis même pas majeure et tu veux que je m'exhibe sur la toile comme une actrice porno ? Tu es complètement fou, il faut te faire soigner, mec ! 

Elle se rhabilla et quitta précipitamment l'appartement. C'était sa manière à elle de sortir de ma vie. Je ne compris pas tout de suite. J'étais sonné comme un boxeur.


Aujourd'hui encore, je ne m’explique toujours pas ce qui l'a décidée à me plaquer ce jour-là. L’insupportable idée de ne représenter de plus en plus qu'un objet sexuel à mes yeux, la flamme amoureuse qui s'éteint, l’appel de sa jeunesse ou la prise de conscience que notre couple n'avait aucune chance de tenir la distance sur le long terme... Ou peut être tout cela à la fois !


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