21.La réalité en face

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  • Tu es prête ? 

Elsa sortit de la salle de bain drapée dans une robe de laine grise anthracite, très courte et ultra moulante avec un immense col roulé, agrémentée d'un large ceinturon très féminin. Ses jambes étaient habillées de bas noirs, et de bottines à talons hauts. Le maquillage était savamment dosé. Devant sa beauté superbement mise en valeur, je me félicitai de l'avoir incitée à prendre quelques affaires chez elle avant de gagner mon meublé.

  • Où veux-tu que je te dépose ? m'enquis-je.
  • Chez moi... J'ai oublié de prendre mon sac pour aller en cours.
  • Tes parents ne vont pas te poser trop de questions ?
  • Non, ils ont pris l'habitude de ne pas m'en poser. Ils me font confiance...
  • Et pour le lycée, comment vas-tu te débrouiller pour justifier ton important retard ?
  • Je vais m'arranger avec le CPE, ne t'en fais pas pour moi... Par contre, nous ne déjeunerons pas ensemble, je mangerai à la cantine.
  • Pas de problème, j'ai rendez-vous avec Anna vers midi. Je lui ai téléphoné avant ton réveil pour lui dire que je n'assurerai pas mes cours de la journée mais que le déjeuner à la brasserie tenait toujours...
  • Elle ne t'a pas demandé la raison de ton absence ?
  • Je lui ai dit que j'avais un certain nombre de choses à régler dans ma vie. C'est en partie vrai.
  • Tu m'expliques ?
  • Plus tard, il faut qu'on y aille. Sache simplement que cela concerne mes filles.


Anna me rejoignit à notre table habituelle. Nous échangions laconiquement des propos sans importance. Elle ne me posa aucune question personnelle, mais j'avais la douce impression que notre amitié reprenait naturellement ses droits, comme avant. Néanmoins, je sentais que certaines interrogations lui brûlaient les lèvres. Ce fut pour cette raison que je pris les devants :

  • Anna, pour mon absence de ce matin...
  • Je n'ai pas besoin d'explication, Patrick. C'est ta vie. Tu aurais juste dû me prévenir plus tôt.
  • Je ne pouvais pas savoir...
  • ... Que tu allais passer la nuit avec Elsa et oublier ton réveil ? 
  • Comment as-tu deviné ?
  • Hier soir, je vous ai vus quitter précipitamment l'école de musique !
  • Anna, tu ne m'en veux pas j'espère ?
  • Non, mais ne sois pas surpris si je ne réponds pas favorablement à une invitation de votre couple...
  • Je comprends.
  • Je ne crois pas, non ! Les hommes ne comprennent jamais les femmes. Va vite la rejoindre, tu en meurs d'envie. Et puis je ne supporte pas que tu reste en face de moi à ne penser qu'à elle !
  • Tu es jalouse ? Ne t'inquiète pas, pour cet après-midi, j'ai d'autres projets. Je vais tenter de voir mes filles...
  • Tu n'as aucune nouvelle ?
  • Non, mais ce n'est pas Val qui m'empêchera de les approcher !
  • Détrompe-toi. Une mère de famille peut être une vraie tigresse quand il s'agit de ses enfants...


A l'heure de la récréation, je me rendis à proximité de l'école maternelle où mes filles étaient scolarisées . J'observais les jeux enfantins et cherchais des yeux mes filles, juste pour avoir le plaisir de les voir, vérifier qu'elles étaient en bonne santé, épanouies. Les regarder ainsi était un ravissement pour moi, mais cela ne suffisait pas. Alors que Sarah se trouvait à quelques mètres de moi, que seul un grillage nous séparait, j'entrepris de l'appeler:

  • Sarah ! Sarah ! c'est moi, c'est papa...

La petite fille se retourna et me sourit en m'apercevant. Elle accourut vers la clôture en s'écriant :

  • Papa !! Mon papa !!

 Accroché au grillage, c'était une torture pour moi de ne pas pouvoir la serrer dans mes bras.

  • Comment vas-tu ma puce ? Laisse-moi te regarder...
  • Dis, papa, pourquoi tu es parti ? S'il te plaît, reviens à la maison...
  • Je ne peux pas, mon ange, maman et moi, nous nous sommes disputés.
  • Oui, je sais, même que maman nous a dit que tu nous avais abandonnées, qu'on ne te reverrait plus jamais !
  • Et vous l'avez crue ?
  • Moi non, mais Morgane oui. Elle ne veut plus entendre parler de toi.
  • Dis-lui que je l'aime, que je vous aime toutes les deux, et que je ne vous oublie pas. Tu sais, les histoires de grands sont souvent compliquées...
  • Reviens à la maison, papa, tu me manques ! Je t'aime mon papa...
  • Moi aussi, je t'aime ma pupuce d'amour...

Dans un élan de tendresse, je m'accroupis à sa hauteur pour la regarder dans les yeux et caresser ses boucles ambrées. Je ne pensais pas que ce geste susciterait l'opprobre de son instituteur:

  • Eh, vous là-bas vous n'avez rien à faire ici !

Je retirai prestement ma main, comme un coupable pris en faute alors que ce n'était que la manifestation légitime de ma tendresse paternelle.

  • Je suis le père de Sarah et de Morgane...
  • Rien ne prouve ce que vous dites, déguerpissez sur le champ !

A ce moment précis, je regrettai de ne pas m'être davantage investi dans la vie scolaire de mes filles depuis la rentrée. Je sortis alors mon portefeuille de la poche intérieure de mon manteau pour prouver mes dires :

  • Attendez ! poursuivis-je. Voici ma pièce d'identité et une photo de mes deux filles. Vous voyez, nous avons le même nom de famille.
  • Leur mère a mis l'ensemble de l'équipe éducative en garde. Nous avons ordre de ne pas vous laisser les approcher.
  • C'est une plaisanterie ? Enfin, puisque je vous dis que je suis leur père ! Madame Darcourt et moi-même ne sommes que séparés, aucun juge n'a encore statué sur la garde des enfants !
  • Tout ceci ne nous regarde pas, monsieur. Nous ne faisons qu'appliquer les directives de madame Darcourt. 

La colère monta en moi. J'avais du mal à la contenir et cela se ressentait:

  • Ne prenez pas parti, monsieur ! Cela ne vous regarde effectivement pas. N'outrepassez pas vos droits... 

Morgane s'avança vers le grillage en me fusillant de ses yeux clairs:

  • Va-t'en d'ici ! Tu nous as abandonnées alors tu n'as rien affaire ici. Tu n'es plus notre papa, tu n'es plus rien pour nous.

J'étais abasourdi.

  • Morgane, écoute-moi...
  • Monsieur, partez maintenant ! Vous perturbez les enfants...
  • Très bien, je m'en vais. Au revoir ma puce, à bientôt.
  • A bientôt, papa, me répondit Sarah, je t'aime. 

Je souris à la seule de mes filles qui ne m'avait pas rejeté et caressai une dernière fois ses cheveux avant de tourner les talons.


Anna avait raison : les mères peuvent devenir de vraies tigresses. Je n'avais pas l'intention de la laisser faire. Je devais impérativement rencontrer Valériane. Et le plus rapidement possible.



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