22.Toutes les femmes de ma vie

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Immédiatement après l'épisode de l'école maternelle, je me rendis  sur le campus de l'université pour avoir une discussion avec Valériane. Elle était maître de conférence en sociologie, et j'espérais pouvoir l'intercepter après son dernier cours. Je me tenais à l'entrée de l'amphithéâtre lorsqu'elle en sortit en hâte, emmitouflée dans un élégant manteau de laine noire, une écharpe grise autour de son cou et un feutre assorti sur la tête. Je la stoppai dans sa course :

  • Val, il faut qu'on parle...
  • Bonjour, Patrick. Je vais bien, merci de t'en soucier, et toi comment vas-tu ?
  • Putain, mais je m'en bats les couilles de comment tu vas ! C'est de nos deux filles qu'il faut qu'on discute...
  • C'est avec ta jeune maîtresse que tu enrichis ainsi ton vocabulaire ? Y'a pas à dire, elle a une sacrée influence sur toi !
  • Arrête tes conneries, Val ! T'as pas le droit de m'empêcher de les voir...
  • Si, j'en ai le droit ! Le droit de les protéger d'un homme qui détourne les mineures...
  • C'est vraiment petit et mesquin de te justifier comme ça, mais tu ne t'en sortiras pas comme ça. Tu ne sais pas de quoi je suis capable.
  • Détrompe-toi, Patrick, je sais très bien de quoi tu es capable et quelles sont tes priorités : t'envoyer en l'air avec la première pétasse venue et faire passer tes filles au second plan.
  • Je t'interdis de jouer les saintes nitouches et de t'arroger le beau rôle. Si on en est là, c'est aussi à cause de toi !
  • A cause de moi ? Alors ça c'est la meilleure ! Mais mon pauvre Patrick, tant que tu n'auras pas compris que les femmes ne sont pas vouées qu'à écarter les cuisses à la demande comme ton Elsa...
  • La ferme ! Tu vas la fermer, ta gueule, et m'écouter ?

Le ton était monté, j'esquissai un geste.

  • Quelle élégance, me rétorqua-t-elle d'un air défiant devant cette main qui s'était levée malgré moi, et quel tact ! C'est comme ça que tu t'adresses à l'autre garce pour la soumettre ?

Elle se dégagea de mon emprise avant de continuer:

  • Tu ne feras rien, Patrick. D'abord parce que tu es trop lâche pour ça. Et ensuite parce qu'il y a des témoins et que cela condamnerait toute chance que tu revoies tes filles un jour.
  • Pourquoi tu me fais ça, Val ? Que tu sois en colère contre moi, je le conçois, mais n'y mêle pas les enfants. Elles n'ont rien à voir là-dedans.
  • Qu'elles te détestent, c'est ma vengeance. Je les travaille au corps pour ça. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour te faire souffrir autant que j'ai souffert...
  • Tu me reproches d'avoir céder à des envies d'adulte mais c'est ta réaction qui est puérile. Nous risquons de détruire nos filles à nous déchirer ainsi !
  • C'est toi qui m'as trompée, Patrick, ne l'oublie pas. C'est toi qui as quitté le domicile conjugal...
  • Parce que TU me l'as demandé !
  • Peu importe ! Je suis leur mère, et le juge tiendra compte de tous ces paramètres. Je gagnerai !
  • Et moi, je me battrai, Val. Au moins pour Sarah...

Elle me tourna le dos et descendit quatre à quatre les marches. La dispute avait été violente, et on aurait pu croire que j'avais perdu la face, que ses répliques m'avaient laminées. C'était sans compter ses sanglots à peine audibles que je perçus pendant sa fuite.

 

Elsa était déjà rentrée quand je pénétrai dans mon appartement, triste comme une soirée d'hiver. Elle faisait ses devoirs sur le bureau de la chambre, ses lunettes chaussées sur le nez. Ce détail m'arracha à ma morosité, m'amusa même puisque c'était la première fois que je la voyais en porter. Cela lui allait plutôt bien d'ailleurs. Elle ne m'avait pas entendu arriver. Je m'approchai et me penchai vers elle pour lui voler un baiser. Surprise, elle sursauta, me sourit et m'en rendit un plus long.

  • Tu fais très sérieuse avec tes binocles, ma chérie... Pourquoi ne les mets-tu pas plus souvent ?
  • Je suis affreuse avec ça, me répondit-elle en ôtant l'objet qu'elle désignait.
  • Non, je ne trouve pas. Et puis, ne dit-on pas femme à lunettes, femme à... 

Elle m'interrompit en posant un doigt sur ma bouche. Elle devint écarlate. La découvrir aussi pudique était rare. Dans son costume d'élève modèle, la femme fatale s'effaçait.

  •  Je ne m'attendais pas à ce que tu me découvres ainsi, absorbée par ce poème baudelairien...
  •  J'aime toutes les facettes de ta personnalité, de ton physique. Je t'aime parce que tu es toi, sans fard devant moi. 

Elle rougit à nouveau, comme une adolescente complexée qu'un compliment surprendrait par son incongruité.

  •  Je t'aime aussi, finit-elle par lâcher derrière un sourire emprunté de mélancolie. 

Elle se leva de sa chaise et m'embrassa à nouveau avec la retenue d'une première fois. C'était à la fois agréable et étrange. Effrayant aussi, parce qu'elle redevenait ce tout petit animal timide qu'elle ne m'avait encore jamais révélé. Parce qu'il creusait encore davantage cette différence d'âge que nous voulions à tout prix gommer. J'avais pourtant besoin de quelqu'un de solide sur qui me reposer quand tout allait de travers comme alors.

  • Tu as passé une bonne après-midi ? poursuivit-elle.
  • Non, pas vraiment...
  • Tu veux m'en parler ?
  • Elsa, je t'ai menti. C'est Valériane qui m'a chassé de sa vie parce que j'étais ton amant. Et elle a fait en sorte que mes filles me haïssent, que je ne puisse plus les voir.
  • Et que comptes-tu faire ?
  • Je ne sais pas... Il faudrait que j'en parle à Anna, elle est toujours de bon conseil. 

Elsa me prit dans ses bras. Je fondis en larmes comme un enfant. J'étais nu devant elle, davantage que je ne l'avais jamais été lors de nos ébats, ma fragilité à fleur de peau soudainement si palpable. Elle paraissait tout à coup beaucoup plus adulte que moi. Je compris alors qu'elle était cette personne que je recherchais depuis si longtemps, à la fois femme-enfant, séductrice en diable et mère protectrice.

  •  Je te propose quelque chose, me chuchota-t-elle au creux de l'oreille : on se commande des pizzas et on se légume devant un vieux film diffusé sur le câble afin de se vider la tête. Mais je vais d'abord m'occuper de toi... 

Elle fit glisser mon manteau sur mes épaules et commença à déboutonner ma chemise pour embrasser mon torse. Mes larmes ne coulaient plus. Elle était vraiment toutes ces femmes. Et je m'abandonnai sous les doigts de la plus entreprenante d'entre elles...

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