13." Les Instants de Noël "

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Valériane m'observait en train d'ajuster ma cravate avec une certaine curiosité et même un certain amusement :

  • D'où sors-tu cette cravate grotesque ?
  • C'est Anna qui me l'a offerte. Où est le problème ? répondis-je avec une pointe d'agressivité.
  • Il n'y a aucun problème, rétorqua-t-elle en pouffant de rire, si tu n'as pas peur du ridicule…
  • Elle est très bien cette cravate ! Et puis ça change des sempiternels nœuds papillons…
  • C'est sûr que c'est beaucoup moins classe !
  • Au lieu de te moquer de moi, tu ferais bien mieux de finir de te préparer, on va être en retard.
  • Mais je n'attends que toi, mon cher. 

A mon grand regret, Valériane pouvait finalement  m'accompagner aux "Instants de Noël". En effet, le gala de danse auquel devaient participer nos filles avait été reporté à une date ultérieure. Néanmoins, ma femme ne souhaitait pas qu'elles se joignent à nous, prétextant qu'elles s'ennuieraient à ce genre de soirée, qui de surcroît traînait en longueur pour s'achever tard dans la nuit. J'étais déçu, mais sa décision était sans appel.

 

Arrivés à la salle polyvalente, Anna nous bondit dessus, à la fois furieuse et soulagée :

  • Vous voici enfin ! Je ne vous espérais plus…
  • Bonsoir Anna, je vais très bien merci…
  • Oui bonsoir vous deux… Excusez-moi, mais j'étais tellement anxieuse ! Patrick, j'avais peur que tu n'arrives pas à temps pour l'ouverture du festival…
  • Il était inutile de t'inquiéter, Anna, je suis là.
  • Tout le monde t'attend, dépêche-toi !
  • Tout le monde ?
  • Oui, même Elsa… 

Je constatai rapidement que l'évocation d'Elsa contrariait fortement Valériane, qui choisit la fuite en allant prendre place dans les gradins. Je décochai un regard noir à Anna, et son visage  rougit de confusion :

  • Je suis désolée, je ne voulais pas… 

Je lui pardonnai cette allusion malheureuse et essayai de me concentrer pour le spectacle. Dans les coulisses, je me retrouvai nez à nez avec Elsa. Elle me sauta au cou, m'embrassa avec empressement et sans équivoque. Je la repoussai sans ménagement en lui signifiant que nous n'étions pas seuls, et que la représentation allait bientôt débuter. Pour l'ouverture de la cérémonie, Anna avait choisi une chanson de Pierre Bachelet, "En l'an 2001", que la chorale de l'école de musique devait interpréter en ma compagnie. Je m'installai donc au piano et commençai l'intro de la chanson sous les applaudissements du public. Je n'existais plus que par et pour ce spectacle, et durant les deux heures à venir, rien d'autre ne compterait pour moi. Tous mes problèmes n'occuperaient plus mon esprit pendant ce laps de temps. Je me retrouvais des années en arrière, lorsque je me produisais de ville en ville devant une foule d'admirateurs… C'était dans une autre vie mais j'éprouvais sur scène le même plaisir qu'auparavant.

Puis vint le moment tant attendu de notre duo. J'attaquai solitairement la mélodie et les premières paroles.

"Tout ce vacarme

Tâché de larmes

Jusqu'au bout désarme"

Elle me suivit de son timbre si pur et si particulier, baignée d'émotion.

"Tout n'est pas dit,

A peine décrit,

Tirés de l'oubli"

Et  nos voix se répondirent avant de se mêler dans une intense complicité où l'amour pouvait se lire.

"Le visage plongé à terre,

Clore un instant ses paupières,

Pour chercher ce qui nous éclaire.

 Pendant ce temps,

Le temps s'enterre.

 Le temps de faire

Juste reconnaissance,

Le temps d'entendre

Juste un peu de silence." (1)

Notre prestation fut acclamée à sa juste valeur par un public enthousiaste. Nous mîmes quelques instants avant de descendre de notre nuage de plénitude et de félicité pour revenir à la réalité, notre fusion ayant été tellement palpable.

 

Le spectacle continua, m'offrant une surprise que je n'étais pas près d'oublier. En effet, Elsa m'interpréta, juste accompagnée d'une guitare sèche, "L'eau à la bouche" de Serge Gainsbourg, une chanson aux paroles sans équivoque sur l'amour qu'elle me portait puisqu'elle me la dédiait. Flatté, mais gêné de cette déclaration publique enflammée, je craignais surtout la réaction de mon épouse, toujours présente dans la salle. Nous terminâmes le récital par une chanson de Francis Cabrel, "Il faudra leur dire", que la chorale de l'école de musique interpréta en ma compagnie. Après la représentation, un buffet était organisé, suivi d'une distribution de cadeaux destinés aux enfants les plus défavorisés de la commune. Alors que j'étais en grande discussion avec Anna, le directeur de l'école de musique et sa femme, Xavier et Françoise Hernaud, Valériane fit irruption au sein de notre groupe, apostrophant ainsi ma collègue et amie :

  • Dis donc, Anna, je n'ai pas eu le temps de te remercier pour le magnifique cadeau que tu as fait à mon mari ! Tu as beaucoup de goût, si, si, je t'assure...

Anna étant embarrassée et ne sachant quoi répondre, je vins à sa rescousse :

  • Val ne voulait pas que je porte la cravate que tu m'as offerte, mais je tenais beaucoup à la mettre ce soir.

Valériane descendait les coupes de champagne une à une depuis l'ouverture du buffet et prit à nouveau à parti Anna :

  • Toi aussi il te baise ? Non parce qu'avec Elsa ce n'est plus un scoop, surtout après sa sulfureuse déclaration. J'aurais dû m'en douter, mais vous savez, Monsieur le Directeur, ce que m'a dit mon mari pour justifier les cours supplémentaires qu'il donnait à Elsa ? Il m'a dit que c'était vous qui l'aviez obligé à le faire. Si, si...

Mon supérieur hiérarchique fit une mine déconfite tandis que son épouse et Anna parurent choquées des propos tenus par Valériane, et je fus dans l'obligation d'intervenir pour sauver les apparences :

  • Allez, arrête de débiter des âneries, Val ! Excusez-là, Xavier, madame Hernaud, Anna, mais ma femme a apparemment bu quelques verres de trop. Viens on s'en va. 
  • Lâche-moi. Je ne suis pas du tout saoule. Et puis, on est très bien ici, je m'amuse au moins. Va retrouver ta pétasse si je te fais honte. 

J'entraînai alors Valériane à l'écart en lui maintenant fermement le bras :

  • Tu arrêtes tout de suite tes conneries, c’est une soirée importante pour moi !
  • Tu me fais mal… Tu m'as bien humiliée en public avec cette traînée !
  • Il ne s'est rien passé entre Elsa et moi…
  • Et cette déclaration ?
  • Elle a probablement le béguin pour moi, et alors ? Ce ne serait pas la première fois qu'une élève tombe amoureuse de son professeur… 

Le ton était monté. Nos éclats de voix n'étaient un secret pour personne, malgré cet aparté. Il faut dire que je m'étais défendu bec et ongle pour ne pas perdre la face. Dans cette joute verbale, c'était mon épouse qui avait perdu le contrôle d'elle-même, grisée par l'alcool. Et cela avait sauvé mon ego aux yeux de tous. Mais deux femmes savaient que Valériane n'avait pas tort, et  l'une d'elle m'en voulait : Anna, l'amie de toujours paralysée par notre secret.

 

(1) : extrait de la chanson "Juste un peu de silence" .

Paroles : L.Florence/P.Guirao

Musique : Calogero/Gioacchino

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