Lundi 30 mars 2020

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Aujourd’hui je me suis fixée un nouvel objectif : je dois faire vibrer ma montre tous les jours.

Ma montre me permet de savoir combien de pas je fais dans la journée, comme beaucoup d’appareils le font aujourd’hui. C’est tout de même étrange de vouloir savoir ça : combien de pas est-ce que je fais ?

Voilà où nous en sommes, pauvres consommateurs sédentaires !

Vous connaissez le film Disney « Wall-e » ?

Je le trouve d’une pertinence remarquable. Dans ce film, les Hommes ont tellement pollué la planète qu’ils sont obligés de la quitter. Ils vivent dans l’espace, sur un vaisseau dont le véritable maître à bord est la machine. Les humains sont gavés toute la journée, ils vivent sur un fauteuil, côte à côte sans jamais se regarder, ils communiquent uniquement par les réseaux, sans voir autour d’eux, sans réaliser leurs conditions de vie. Ils sont tellement perdus dans leurs vies étriquées qu’ils ne voient pas leur déchéance. Ils perdent même l’utilité de certains os de leur corps, qui finissent par s’atrophier... Et finalement c’est un robot, resté seul sur Terre qui va sauver l’humanité. Quel paradoxe ! La machine devient plus sensible que l’Homme. Ce film est-il une lugubre prophétie ?

Intermède existentiel mis à part, me voici donc avec mon super et primordial objectif, toute guillerette d’avoir trouver un nouveau but dans ma vie de confinée !

Désespérant.

Je tente d’y voir le positif, je vais un peu me bouger les fesses. Et c’est bien. Et j’en ai besoin, j’ai l’impression de prendre du poids chaque jour. Pouah !

Je passe la matinée à faire mon travail de secrétaire, de professeure à domicile, de maman, de femme de ménage, de gendarme et de restauratrice, fixée sur cet objectif.

Après le déjeuner, j’ai besoin de faire un tour, non, on arrête avec ça, j’ai besoin de prendre l’air dans le jardin, et malgré la fraicheur, je décide de prendre mon café dehors. J’aime le froid piquant, le contraste avec le liquide brûlant dans ma gorge, des petites choses qu’on apprend à apprécier encore plus en ce moment. Une petite broutille, comme sentir le contraste entre la morsure du vent sur mon visage et la chaleur de la tasse qui réchauffe mes mains. C’est tout bête, mais c’est bon. Bien que le temps ne soit pas très printanier, les oiseaux continuent de chanter l’amour, je les regarde danser autour de nous, j’assiste même à des représentations magnifiques de tango ou autres valses endiablées !

Je me sens mieux, je me sens apaisée, je sens que la vie ne s’arrête pas autour de nous, je sens... une odeur plus que nauséabonde ! Retour brutal sur terre. Qu’est-ce que c’est que cette odeur ! Mon mari est là aussi et le verdict semble sans appel et pas du tout glamour : la fosse septique est à vider !

Comment gâcher un moment de communion avec la nature. La vie parfois c’est de la merde.

Dans la seconde, il appelle une entreprise de vidange de fosse et je croise les doigts qu’elle ne soit pas en arrêt à cause du confinement.

Nous sommes sauvés, elle est opérationnelle et disponible pour une vidange aujourd’hui même !

Pour préparer l’arriver du camion, nous enlevons les caillebotis qui protègent l’accès à la fosse. C’est vrai que ça pue !

Sur le couvercle en béton, il y a de la mousse et des gravillons donc il faut nettoyer tout ça avant de pouvoir ouvrir. Ce que fait mon mari minutieusement. Il y a deux accès. Il en finit un et s’attaque au deuxième quand tout à coup j’entends un gros craquement suivi d’un plouf, et je vois mon cher et tendre se maintenir dans une position étrange, la jambe complètement plongée dans la fosse !!!

Il la ressort aussi vite, mais la scène semble s’être déroulée au ralenti sans que je puisse faire quoi que ce soit. Quelle horreur, et quelle odeur ! Je lui dis de vite enlever son pantalon et sa chaussure, pour les microbes (et de peur que l’odeur de s’infiltre dans les pores de sa peau) et pendant qu’il monte se laver je jette le tout (chaussure comprise) dans la machine à 60°C. Il n’y a qu’à lui que ça arrive ce genre de chose ! Quand j’y repense maintenant je rigole, mais sur le moment j’ai tout de même eu peur qu’il se soit fait mal. Le béton a complètement cédé ! Quand le monsieur est venu nettoyer la fosse par la suite, il nous a expliqué que cela pouvait arriver quand les gaz s’accumulaient trop. Horrible !

Il n’empêche, avec mon amoureux, on ne s’ennuie jamais !

Nous voilà donc avec une fosse toute propre et un gros chèque en moins...

D’ailleurs, ça n’a l’air de rien, mais cela m’a fait un bien fou de remplir un chèque ! C’est vrai. Une interaction sociale ! Cela faisait si longtemps ! J’ai redécouvert que j’avais un sac à main ! Et superbe en plus, un cadeau de mon chéri que je gardais pour le printemps, un joli sac dont je n’avais pas besoin, un joli sac avec lequel je voulais me pavaner, qui sent incroyablement bon le cuir (je suis une droguée de cette odeur), un autre sac à main dans ma collection...

Je suis ce que je dénonce, je suis une victime consentante du consumérisme. Le capitalisme est mon ravisseur et je suis atteinte du syndrome de Stockholm. Est-ce ma faute ?

Je préfère occulter la question, car ma journée est une belle journée, et je ne veux pas me plomber le moral en pensant à ma faible condition de femme consommatrice...

Je ferme mon esprit à tout ce qui n’est pas verdure, fleurs, soleil, oiseaux bavards, chants et bonheur (donnez-moi une fleur à mettre dans les cheveux, un combi volkswagen, une robe longue et peace and love !) et j’entame ma quête du nombre de pas quotidien. Je marche, grandes éjambées, histoire de bien travailler les fessiers, je marche et marche encore (il faut encore ramasser les crottes du chien), et marche toujours jusqu’à ce qu’enfin je sente la vibration à mon poignet !

Défi du jour réussi ! Eyes of the Tiger ! Il en faut peu pour être heureux.

D’autant que ce jour s’achève dans l’amour, puisque nous nous retrouvons tous : cousins, tante, neveux, nièce, père, mère, frères et grand-père, autour d’un moment virtuel pour fêter l’anniversaire de mon petit frère.

Une soirée joyeuse, des rires échangés, et une promesse de se revoir physiquement pour fêter comme il se doit, ces anniversaires confinés. Se retrouver enfin, se toucher et s’embrasser, prendre ma famille dans les bras, c’est tout ce que je souhaite. Un jour. Le jour de notre victoire sur ce virus, le jour de notre libération.

Et après ?

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