Great surprise

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Chris — September 2011 — Los Angeles

J'ai profité de ces trois semaines de repos pour avancer les travaux de ma boutique. Étant donné que je ne peux pas faire grand chose avec mon attelle, ce sont mes potes qui m'aident dans cette besogne. Idéalement, j'ai prévu d'ouvrir ce mois-ci.

— Bon ! T'es content, on a peint la première couche. Ça te va ? demande Nick en rinçant son pinceau.

— C'est super de votre part, les gars. Je me débrouillerai pour le reste. Dans trois jours, je dois revoir le médecin.

— T'es au bout de ton supplice, alors reste cool et va te péter un truc encore.

Lenny jette son pinceau dans l'eau, sans mots dire et se rapproche de moi. Parti pour une ruade, il s'arrête avant, se contentant uniquement d'un léger coup de poing dans mon épaule valide.


— Je peux plus me ruer sur toi, c'est chiant !

— Tu vas devoir éviter pendant quelques temps encore, je voudrais bien me remettre de cette chute, assuré-je.

— Après ça, toi et moi, on monte sur un ring.

Nick se moque à gorge déployée, tout en sortant dans la rue, suivi de Lenny, pendant que j'opère un rangement optimal. Je râle contre le bordélisme du second qui laisse traîner son pinceau, abandonne le pot de peinture ouvert et travaille comme un ours. Mon épaule tire encore un peu, mais je peux encore faire certaines choses. J'en ai juste marre de compter sur les autres.

— Tu viens ? demande Lenny, impatient, devant la porte.

— Je finis de ranger tes conneries !

— Arrête de faire le maniaque ! On fera tout ça demain, lance Nick.

— On te ramène ? demande l'autre.

— Pas besoin,; les gars, je me débrouille avec les bus. Vous en avez assez fait pour aujourd'hui.

— OK! À demain alors, lance Lenny en s'échappant un peu plus loin.


Nick me salue d'un signe de tête et rejoint Lenny un peu plus loin. S'ils se moquent de mon obsession du rangement, c'est juste pour me taquiner. Refermer les pots de peinture et ranger le reste du matériel n'est pas une tâche ardue, mais mon épaule me fait carrément souffrir, aujourd’hui. J'aurais dû garder mon attelle et au lieu de ça, je l'ai retirée pour les aider dans leur besogne. Ils ne peuvent pas le savoir puisque j'ai gardé mon sweat. Inutile d'en rajouter. Je vais beaucoup mieux et cette chose me sera retirée dans trois jours.

En refermant le local, je longe la plage, observant les vagues. Le coin est presque désert. Seuls quelques passionnés de surf évoluent encore parmi les rouleaux. Il est 18 heures et la fin du week-end pointe le bout de son nez. En me rapprochant des commerces environnants, mon regard se pose sur une jeune femme assise sur un banc, face à l'océan. Un calepin dans les mains, elle gratte des lignes sur le papier. Sa solitude fait écho en moi et machinalement, je continue en sa direction, la curiosité aidant. Quelques mèches dévoilent son profil et il me semble l'avoir déjà vu quelque part.

Cogitant sur un souvenir improbable, je traverse la rue, persuadé de connaître cette fille. Elle tourne la tête de mon côté, alertée par des cris provenant du large. Une frimousse aux traits fins encadrés par de long cheveux bruns me fait face. Ma lanterne s'allume.

La fille des urgences !

Plutôt content de la revoir de manière inopinée, je progresse vers elle tranquillement, les mains dans les poches.

— Salut ! osé-je timidement.

Et si je me trompe de personne, je prendrai un vent, mais je suis quasiment sûr de moi. Je finis par lui adresser un sourire, c'est toujours mieux qu’une tête de six pieds de long. J'imagine bien à quoi je dois ressembler : les cheveux douteux noués sur ma nuque, un vieux jean maculé de bleu par endroit et mes vieilles converses hors d'âge.

Elle braque son regard sur moi, marquant un arrêt. Elle me scrute un moment, plissant les yeux et répond enfin à mon sourire.

— Bonjour ! Vous allez bien ? demande-t-elle, joyeuse.

— Ouais ... je suis en arrêt depuis trois semaines et j'arrive au bout. Je suis venu avec des potes pour faire des travaux, dis-je en montrant le local juste derrière moi.

— D'accord.

Elle maintient une sorte de distance de sécurité entre elle et moi que je voudrais bien combler. Une sorte d'alchimie s'est produite lorsque nos regards se sont croisés aux urgences et je ne l'explique pas. Cela m'a interpellé à plusieurs reprises, même si je ne désire pas me prendre la tête.

— Vous êtes de Malibu ?

— Non, j'ai un appart sur Downtown et j'aime profiter de la vue. C'est splendide par ici, répond-elle.

— C'est mon endroit préféré.

Elle ramasse alors ses affaires et se rapproche de moi. La distance qui nous séparait commence à se réduire.

Bien plus petite que moi, elle serre contre sa poitrine un carnet, tenant un stylo dans sa main. Un sac en toile de jute sur son épaule vient couvrir une partie de sa cuisse.

— J'espère que vous êtes sérieux et que vous n'êtes pas allé peindre avec une luxation de l’épaule, suspecte-t-elle d'un ton moqueur.

— Non non, raconté-je, j'ai juste assisté mes collègues. Ils ne sont pas toujours très sérieux lorsqu'il s'agit de ce genre de boulot, et je préfère être présent.

Mutine, elle me scrute un moment avant d'orner ses lèvres d'un sourire. Les miennes répondent au sien, une manière de feindre cette timidité trop encombrante. Pour parfaire mon mensonge, je place ma main à l'endroit où devrait se situer l'attelle, histoire de jouer le jeu.

— Et vous ? demandé-je.

— Je viens ici pour écrire et dessiner. Le paysage est très inspirant. Et avec un peu de musique, c'est parfait.

— J'écoute moi-même beaucoup de musiques. Je trouve que c'est important de rester inspiré surtout lorsqu'on est artiste.

— Une âme d'artiste que je conserve, en parallèle de mon métier. Vous l'êtes aussi ?

— Je jouais de la batterie lorsque j'étais plus jeune et je me passionne pour la lecture, affirmé-je.

L'air est encore chaud à cette période de l'année et je n'ai nullement envie de rentrer. Elle hoche la tête puis glisse ses affaires dans son large sac avant de pointer le regard vers l'océan. Les mains dans les poches, je me sens légèrement intimidé. Un bouillonnement incessant heurte mes neurones. J'hésite à formuler ma demande, puis je jette un coup d’œil vers elle.

— Vous êtes pressée ? Je peux vous offrir un verre ?

— Je suis en repos pendant deux jours, alors pourquoi pas, accepte-t-elle.

— Moi, c'est Christopher et vous ?

— Je m'appelle Stéphanie. Vous êtes le meilleur ami de June, c'est bien ça ?

— On dirait que je suis percé à jour.... J'espère qu'elle n'a pas raconté trop de choses étranges à mon sujet, m'inquièéte-je, passant une main dans mes cheveux.

— Non, elle m'a juste parlé de votre passion pour le surf, c'est tout, raconte-t-elle en souriant.

Je repère un bar situé un peu plus loin, et décide de l'y conduire. Durant nos échanges, je note un léger accent mais sans pouvoir définir lequel. De par sa petite taille, je suis obligé d’orienter ma tête vers le bas, lorsque nous conversons. Le Sunny se dresse enfin devant nous, offrant une terrasse ombragée sur laquelle je l'invite à prendre place. Assis en face d'elle, je lève un bras pour interpeller le serveur et nous commandons deux bières. Mon regard se perd rapidement en elle, m'offrant ainsi l'occasion de l'étudier à ma guise : ses prunelles couleur ambrées semblent examiner chaque coin, un doux sourire sur les lèvres.

— On peut se tutoyer, je pense. Je ne suis plus votre patient, osé-je demander.

— Bien entendu ... je pense que nous avons le même âge en plus ... j'ai 25 ans.

— Je les ai eu il y a quelques semaines, affirmé-je, en souriant, et sinon, tu es d'ici ?

Sa bouche s’étire en un large sourire, illuminant son visage, puis elle poursuit enfin :

— Non, je suis Française et je suis arrivée, il y a tout juste un an.

— Voilà le petit accent que j'ai entendu ! Affirmé-je, et tu as de la famille à Los Angeles ?

— Non. Mon père vit à Miami avec sa nouvelle femme, Kate et ma mère est restée en France avec son nouveau mari. J'ai décidé de me lancer dans l'aventure.

Son récit m'interpelle parce que déménager à l'autre bout de la terre est un sacré challenge. Je remarque dans sa voix qu'elle semble déterminée et j'ai envie d'en apprendre davantage.

— Tu as eu l'idée d'un coup comme ça ou bien, c'est un rêve ?

— C'est un peu les deux, j'ai toujours voulu vivre aux États Unis, m'assure-t-elle, gênée. On va dire que ça a été plus facile avec mon père à Miami.

Ses doigts se nouèrent en même temps que je perçois une anxiété dans sa voix. Elle ne dit pas toute la vérité. Il y a autre chose qui a motivé ce choix. Lorsqu'elle baisse le regard, je dénote toute de suite de la tristesse. Une chose est sûre, quelque chose l'a forcée à déménager et elle n'est pas venue seulement pour l'aventure. Sa manière de triturer son ongle en dit long et pique ma curiosité. Qu'est ce qui peut pousser une jeune femme de mon âge à venir s'expatrier ici ?

Le serveur vient à point nommé, apportant nos bières et lui offrant ainsi l'occasion de changer de sujet. Elle relève la tête, se blinde d'un sourire de façade et relance la discussion :

— Alors comme ça, tu es surfeur professionnel ? C'est ce que tu m'avais dit lorsque tu étais à l'UHCD.

— On peut dire ça ... disons que c'est une passion, plutôt, et que j'ai voulu l'orienter en ce sens.

— C'est super, je trouve, de pouvoir vivre de sa passion. Au moins, tu n'as pas l'impression de travailler, affirme-t-elle.

— De ce côté-là, ce sera fun, ouais, rié-je.

— Et tu bosses dans quoi, en ce moment ?

— Je fais la plonge dans un restaurant. C'est pas très glamour, mais ça m'aide à payer mes factures et à évoluer vers ce que je veux.

— C'est pas une tare ! Loin de là ! Avant de venir à Los Angeles, j'ai été serveuse dans un bar lounge à Miami. Le patron est un Français et il a accepté de m'embaucher. Je pense qu'on ne doit pas hésiter lorsqu'on veut que nos rêves se réalisent.

— Je suis tout à fait d'accord avec toi.

Elle m'intrigue carrément. J'ai envie de pousser le vice plus loin et d'en apprendre un peu plus. Avalant une gorgée de bière, je cherche son regard. Lorsque nos yeux se croisent, les siens me fuient aussitôt pour se réfugier aux alentours. Déterminé, je poursuis mon interrogatoire.

— Pourquoi la Californie ? demandé-je.

— Le Southern California Hospital m'a répondu le premier. On ne peut monter qu'un dossier par État, car c'est une sacré somme à débourser. J'étais intéressée par New York, Miami et Los Angeles. Et me voilà.

Son regard s'abaisse de nouveau, comme pour noyer une émotion fâcheuse dans l'oubli. Sa réponse tient la route et je n'ai pas à en juger, mais je ne peux m'empêcher de croire que quelque chose l'a forcé à précipiter toutes ses démarches. J'ai bien tout un listing de déduction, prêt à être exploité, mais je préfère la laisser me raconter son histoire.

— C'est courageux et ce n'est pas trop dur ?

— Un peu... Ma facture de téléphone est montée en flèche, mais je survis. J'ai connu quelques personnes aux urgences dont June, confie-t-elle avec un faible sourire.

— C'est ma meilleure amie, elle est super cool.

— Je le sais et je l'adore, lance-t-elle.

Elle m’offre alors un sombre sourire qui me poinçonne le cœur.

Le ciel s'obscurcit à mesure que le soleil descend sur l'horizon. Sans m'en rendre compte, cela fait presque deux heures que nous discutons ensemble, sans jamais nous lasser. De sa passion pour le dessin et l'écriture en passant par mes aspirations professionnelles, nous débattons sur tous les sujets.

— Je te promets ... si tu fais déjà du snowboard, je pense que tu devrais te débrouiller en surf. Ça sera une aide, je pense. Le jour où ça te dit, n'hésite pas. Ce sera entre toi et moi.

— Je n'y manquerai pas, merci.

Étrangement, à son contact je me sens bien, mais je n'ai pas tellement envie de savoir pourquoi et préfère profiter du moment présent. Je découvre une jeune femme spontanée, bourrée d'ambition, et avec laquelle j'ai quelques goûts communs. Et en plus, j'adore son petit accent, mais ça, je le lui confierai plus tard. J'aimerais bien la revoir, sans arrière-pensée. N'étant pas prêt à m'engager dans une relation de longue durée, pour l'instant, je préfère laisser les liens se tisser. D'abord parce que Bev est encore bien présente dans mon cœur, même si ça fera trois ans bientôt qu’elle n’est plus là et parce que je veux que les choses évoluent doucement.

L'obscurité nous entoure et la rue se pare de multiples lumières. Il est bientôt vingt heures et j'ai tout mon temps. Seulement, je n'ose pas lui proposer de dîner avec moi, ne voulant pas qu'elle perçoive cela autrement que de l'amitié. Du moins, pour le moment. Hésitant, je l'observe, sens l'occasion venir et la minute d'après, j'abandonne lâchement. Balayant la rue du regard, comme si cela allait me donner la solution, je déglutis difficilement et lutte contre toutes ses questions que je m'impose. Je bois une gorgée de ma bière, destinée à me donner le courage nécessaire et l’observe une fois de plus.

Allez un peu de cran, bordel.

Les cordons de ma capuche en font les frais à force de les manipuler. Son verre terminé, elle contemple sa montre et pose son sac sur son épaule. Lorsqu’elle lève ses

ses prunelles ambrées sur moi, je m'élance alors, poussé par une montée d'adrénaline.

— Tu as prévu quelque chose ce soir ? lui demandé-je, légèrement tendu.

— Non, juste rentrer chez moi. Pourquoi ?

— Ça te dit qu'on mange ensemble ? Leurs burgers sont pas trop mal, poursuivis-je.

— Ça me va, répond-elle en reposant son sac.

— Tu veux boire la même chose ?

— Seulement si c'est moi qui t'invite à mon tour ! s'exclame-t-elle.

— J'accepte ! lancé-Je en souriant, mais c'est moi qui paye le repas. Ça, j'insiste.

— C'est gentil mais pourquoi ferais-tu ça ?

— Pour te remercier d'avoir pris soin de moi, alors que j'étais mal en point ... souligné-je en braquant mon regard dans le sien.

— Je n'ai fait que mon travail, rien de plus.

Son visage s'anime d'un joli sourire auquel je réponds sans hésiter. Puis, je contrôle vite fait que le menu végétarien existe toujours, auquel cas, je me contenterai de frites pour seul repas. Ce n'est pas grave. Nos choix enfin précisés, j'interpelle le serveur pour commander et reprends la conversation.

— Tu as été parfaite et je n'oublierai pas.

— Sois plus prudent la prochaine fois. Je sais que ce n'est pas ta faute et qu'il pleuvait mais, tu as eu beaucoup de chance.

— J'ai été surpris par une chaussée glissante. D'ordinaire, je suis très prudent.

— Il le faut !

Sa détermination à toutes épreuves m'inspire et je suis intéressé par ce qui reste enfoui sous cette couche d'enthousiasme. Nos sandwichs sont avalés en peu de temps et le fil de notre discussion nous amène très vite aux douze coups de minuit. Elle se propose de me ramener à bord son Alfa Romeo 147, un modèle qui date de quelques années, dont la peinture noire a déjà beaucoup souffert et qui émet énormément de CO2. Je me suis bien gardé de lui faire un exposé sur la pollution atmosphérique et ses retombées, le but n'étant pas de la faire fuir.

Garée devant chez moi, elle se tourne vers moi tandis que j'extirpe rapidement mon téléphone de ma poche.

— Tu me donnes ton numéro ? Je vais surfer le week-end prochain, alors si ça te dit de te joindre à moi, je te montrerai les bases en surf.

— Entendu ! Mais tu vas te moquer de moi, je suis une vrai débutante !

— Je serai là pour t'apprendre, confirmé-je en souriant.

Le numéro sauvegardé dans mon mobile, je rejoins mon domicile tout en l'observant discrètement disparaître.

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