Wandering mind

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Chris — Los Angeles – août 2011

Le ciel gris d'une journée d'automne et le moral à zéro. Une heure à peu près que je roule au hasard, la tête lourde de reproches. Nos échanges ne cessent de défiler en boucle, comme un mauvais scénario, et cette impression de tourner en rond me ronge.

L'eau continue de ruisseler sur moi, au milieu de nulle part ; une succession de virages et de collines à pertes de vue. Thousand Oaks. Un endroit où je suis allée me perdre pour oublier, où croiser du monde est un pur hasard et où la nature est reine.

Est ce que cela va suffire ?

Le mobile continue de vibrer dans la poche de mon blouson. Ça ne sert à rien, je ne leur répondrai pas. Pour entendre quoi ? Qu'ils sont désolés et les écouter me sermonner encore et encore. En fait, tout ce que je veux, c'est laver mon esprit de toute cette histoire, que cesse cette colère qui me bouffe tout entier. Et me perdre en pleine nature semble une bonne idée.

Les lettres lumineuses du Cadillac Coffee apparaissent à point nommé. Avec l'averse on ne distingue plus grand chose et il est temps de prendre une pause. La moto garée près du porche, je rejoins rapidement l'intérieur, frileux et dégoulinants de cette averse encore menaçante. Progressant vers le comptoir, les vêtements collants à ma peau, je dois avoir l'air plus d'un rat d'égout que d'un humain. Mes chaussures trempées grincent sur le sol de cette salle vide de monde. Je m'en fiche. Étonné, le barman me jauge pendant qu'il s'essuie les mains sur un vieux torchon crasseux.

— Bonsoir, j'vous sers quoi ? lance-t-il mollement d'un air patibulaire.

— Un café, merci.

Et sans mots dire, il se plante devant son percolateur pendant que je découvre le décors négligé qui m'entoure ; un doigt de poussière sur toutes les étagères, Spiderman à chaque coin et des vitres si sales qu'elles n'ont jamais connu un seul détergent de leur vie. En même temps, il pleut tellement dehors qu'il est préférable de faire une halte, au risque de me casser la gueule et de le regretter.

Mais putain, quel endroit !

Débarrassé de mon blouson, je sors mon téléphone et constate que le réseau a rendu l'âme pendant que le gars glisse lentement mon café sur le zinc. Il annonce alors la couleur : 4 dollars. En plus d'être désagréable, il est cher. Heureusement, l'odeur délicieuse qui s'en dégage ne me fait pas regretter et j'avance l'argent sans rechigner. Je hume ce trésor avant même de le goûter.

Une tuerie !

Au moins ça ...

Chaque gorgée est un apaisement mais de courte durée puisque le réseau semble être revenu. Mon téléphone clignote et ne cesse d'alerter les nombreux messages qu'ont laissés mes abrutis de potes. Dommage, j'ai pas envie de vous parler. Et comme ils insistent, je lis un des derniers.


Nick > arrête tes conneries et reviens. On dit ça pour ton bien. Il est temps que tu cesses de te faire du mal inutilement. On est tes amis, ne l'oubli pas. Alors si tu lis ça, réfléchis et viens me voir quand tu seras calmé ...


J'envoie balader mon téléphone un peu plus loin, sans prendre le temps de lire la suite. Je compte ni l'écouter maintenant ni plus tard. Je déteste qu'on se meme ainsi de mes affaires. D'une humeur massacrante, j'avale mon café d'une traite, certain que cela suffirait, mais ma lassitude a explosé un peu trop fort et le barman se ramène vers moi.

— Des ennuies ? demande-t-il de sa voix grave.


Une bouteille de vieux bourbon se pose sur le zinc. Surpris par ce regain d'humanité, je lève un regard vers lui. J'ai bien envie de refuser et de me terrer dans mon coin, mais les trombes d'eau derrière moi m'incitent à la clémence. Hochant la tête, je le laisse servir deux verres et en poser un decant moi.

— Ouais mais ça va aller merci ...

— Vous êtes sûr ?

— Ouais ... une broutille sans importance, dis-je en abaissant le regard, comme pour fuir un affrontement.


En le remerciant, j'avale une gorgée ; Du vieux bourbon conservé pour les occasions ou pour nettoyer son esprit des vicissitudes. Le bien-être sera bref mais il aura le mérite de m'apporter la paix. Cela ne résoudra pas mes soucis mais permettra de les oublier, un moment. Et de réfléchir à tête reposée.

— C'est à cause d'une femme ? interroge-t-il, les mains accrochées sur le rebord.

J'ai pas tellement envie d'étaler ma vie mais sa solitude fait écho en moi et je décide alors de faire sauter les verrous de mon esprit dissipé.


— Pas directement... disons que ... j'ai perdu celle qui m'était cher. Cela fera bientôt 3 ans et mes amis voudraient que je refasse ma vie, raconté-je, un brin énervé.

— Ils veulent seulement votre bien.

— Peut-être, ouais, mais ils ne savent pas ce que je ressens..., je réponds, en vidant mon verre.

Derrière moi, le bruit des volets qui claquent, de la pluie et du vent qui fait rage me pousse, instinctivement, à me retourner. Le ciel assombri et inquiétant, est chargé de cumulus et des trombes d'eau ne cessent de laver le sol depuis de longues minutes. Les arbres se couchent, fouettés par la violence du vent. La nature est semblable à mon état d'esprit : en révolte.

Pourquoi est ce qu'on cherche à me pourrir la vie !

De pauvres lumières éclairent timidement l'ensemble du motel. La violence de la tempête les fait grésiller puis clignoter en alternance, menaçant de s'éteindre à tout moment. Le tout confère une ambiance assez sordide où l'on s'imagine surgir de nulle part, un loup garou ou autres monstres tirés de films d'horreur.

Ce qui n'est pas pour me déplaire, dans le fond.

— Vous comptez repartir ? interroge-t-il d'un mouvement de menton.

— J'avais dans l'idée de rentrer chez moi ...

— Je ne veux pas vous faire de la peine mais ce n'est pas une bonne idée... vu l'apocalypse qui se prépare, lance-t-il avec humour, j'vous laisse une chambre gratuitement. J'vois bien que c'est indépendamment de votre volonté.

— Je vous remercie mais ... j'avais juste besoin de rouler pour me changer les idées et je vais rentrer chez moi, dis-je en abaissant le regard, pour qu'il n'insiste pas.

— Sérieux ? Vous voulez retourner dans cette tempête?

— Ça va se calmer à un moment ou à un autre !

— Et ça peut prendre toute la nuit aussi ! Rincé comme vous l'êtes, vous feriez mieux de dormir là !

Demain, il fera jour !

Ça c'est sûr! Mais rester dans cette endroit miteux ne m'enchante pas des masses. De toute façon, je n'ai pas le choix, et lorsque cette tourmente se sera calmée, je repartirai.

— OK. Et merci !

— C'est normal ! répond-il, en me resservant un alcool.

Deux verres que j'encaisse et rien ne m'éloigne de mes redondances ; je veux que mes potes renoncent à se mêler de ma vie. Ils savent par quoi je suis passé et ils n'ont pas le droit de me donner un ultimatum, comme ça. M'obliger à refaire ma vie.

Mon verre n'a pas le temps d'être vide que le barman se charge de le remplir, une troisième fois. Desserrant la main de mon verre, je sens mon esprit se troubler. L'alcool a le mérite de noyer mon courroux et d'anesthésier toute idée révolutionnaire qui pourrait me passer par la tête. Finalement, il ne paie pas des mines mais il est plutôt sympathique, ce gars. Nous enchaînons les verres et les vapeurs éthyliques nous unissent dans la tristesse et accompagnent cette soirée jusque tard dans la nuit.

J'apprends qu'il a été trahi par une femme à qui il a tout donné, qu'il s'est éloigné de ses amis et se retrouve seul. Une belle leçon de vie mais je pense que je ne m'en rappèlerai pas. Mon foie a trop épongé ce soir pour permettre à mon esprit d'avoir le moindre souvenir de quoique ce soit d'intéressant.

C'est sur le tard qu'il me conduit enfin jusqu'à une annexe. Déposant mes affaires sur un fauteuil, je me débarrasse de mes chaussures et me jette sur le lit. Je n'ai pas le temps d'examiner où je me pose. Je dois dormir. L'air se faufile par les fenêtres mal isolées et siffle sa terrible sérénade. Malgré mes vêtements encore humides, je finis par m'assoupir, épuisé de fatigue.

******

Réveillé par les trombes d'eau, une lumière faiblarde

perce à travers les stores et me tire de mon lit. Un coup d'œil à droite puis à gauche avant que je me souvienne où j'ai dormi ; un couvre lit douteux — sûrement là depuis des années — la poussière omniprésente et cet odeur de renfermé peu ragoûtante.

Si j'en ressors sans une piqûre de tiques ce sera un miracle.

Un frisson me parcourt l'échine rien qu'à cette idée. Ainsi, je me lève d'un bond et accuse le coup, une main sur le front : un terrible mal de crâne me terrasse, associé à un trou béant à la place de l'estomac. Un café et de quoi grignoter ne serait pas de refus.

Dans le fond de la chambre, se trouve une sombre salle de bain qui ne m'inspire pas confiance. Mes pas me guident vers cet endroit que je découvre être un oublié de la propreté. Une puissante odeur de caniveau sort de la douche et je me retiens de respirer juste le temps de me donner un coup d'eau sur le visage. Ces effluves agressives me tordent les boyaux et finissent par me couper l'appétit. Des serviettes rêches restées là depuis des mois, à en juger par leur couleur délavée, et l'envie de me barrer devient de suite plus pressante. J'enfile mes chaussures en vitesse et fonce, les affaires sur mon dos, payer ce que je dois à cet homme. Mais l'odeur du café m'incite à autres choses. Une goutte de lait dans mon breuvage, quelques échangez avec le barman et me voilà reparti.


La pluie sévit toujours, continuant de rincer les alentours. Roulant sur ma bécane, en direction de Los Angeles, j'accélère un peu, deviens imprudent et glisse sur quelques mètres. Je n'ai pas le temps de m'apercevoir de ma chute que je me trouve déjà au sol, une douleur intense à l'épaule et sur tout le côté gauche. Je tente de me hisser sur mon bras, mais une profonde agonie me cloue au sol. La joue collée au bitume, je perçois ma moto riper contre l'asphalte. Un crissement de pneus. Des voix que je ne connais pas. Et plus rien.

****

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