Semaine 30.2 - Femmes remarquables mais méconnues

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Le garçon se mit sur pied souplement. Il adorait passer à l’oral, et d’autant plus quand ce passage était dans la classe de Madame Langlois, car les élèves étaient toujours captivés par les thèmes qu’elle leur choisissait.

« Pour ma part, je veux parler de Susanna Madora Salter, née Kinsey, qui est née le 2 mars 1860 à Lamira, en Ohio, aux États-Unis dans une famille de traditions quaker, et qui est morte à 101 ans, donc assez vieille, quand même. Quand elle a eu 12 ans, sa famille a déménagé au Kansas près de Silver Lake. A 20 ans, elle entre à l’université à Manhattan où elle saute la première année, car lors de sa dernière année de lycée, elle suivait en même temps des cours d’université. Bref, elle entre direct en deuxième année quoi, mais elle n’est jamais diplômée car elle est obligée de quitter l’université six semaines avant la remise des diplômes, très malade. Pendant ses études elle rencontre et épouse Lewis Salter. Ils déménagent dans la petite ville d’Argonia, au Kansas, qui vient tout juste d’être créée, et ils sont rapidement suivis par les parents de Susanna. Son père - le père de Susanna Salter, pas celui de Lewis - devient le premier maire de la ville, et Lewis lui-même devient le premier clerc de la ville.

» Susanna Salter est très active dans la Woman’s Christian Temperance Union. L’idée de la tempérance est que ce qui est bon doit être consommé avec modération, et que ce qui est mauvais doit être banni, en gros, et donc c’est que les femmes de cette union mettent en avant, la tempérance.

» En 1887, les femmes obtiennent le droit de vote au Kansas - sous certaines conditions et pas partout, mais je ne vais pas aller trop dans les détails, parce que ça serait vraiment long, mais tout ce qu’il faut retenir est que la population féminine d’Argonia peut voter - et ce nouveau droit énerve un certain nombre d’hommes dans la ville d’Argonia, qui considèrent que les femmes n’ont rien à faire dans la politique. Un petit groupe décide de frapper un coup fort et inscrivent Susanna Salter comme candidate pour la mairie d’Argonia, l’idée était de la discréditer et de dissuader les femmes de s’investir dans la politique - la suite leur donnera tort. Comme les listes n’étaient pas publiques et n’étaient dévoilées que le jour du vote, Susanna elle-même ne savait rien. Le jour du vote, quand on découvre son nom, eh bien elle est surprise, forcément, mais elle déclare que si elle est élue elle acceptera le rôle. Elle finit par être élue en obtenant 60% des voix. Les hommes ont du avoir un mauvais goût dans la bouche quand ils ont vu comment avait tourné leur blague. »

Des sourires fleurissent sur les lèvres d’élèves savourant l’ironie du sort.

« Elle est donc élue le 4 avril 1887, quelques semaines seulement après que le droit de vote soit passé au Kansas, et devient ainsi la première maire femme des Etats-Unis. Elle ne tient le poste qu’un an, ne voulant pas se représenter, mais on rapporte qu’elle en savait plus sur la politique que ses détracteurs ne le pensaient et qu’elle prenait de bonnes décisions. Quelques années plus tard elle quitte la ville d’Argonia pour partir en Oklahoma où elle vivra le reste de sa vie jusqu’à sa mort, à 101 ans.

» Voilà, c’est tout, un exposé court, oui, mais je trouvais cette histoire amusante, car les mecs ont du se sentir tellement mal en voyant que leur blague ne se passait pas du tout comme prévu ! »

Raamir releva la tête de ses fiches de note, les coins de sa bouche grimpant jusque sous ses yeux. Il s’inclina puis s’allongea à même le sol entre deux de ses amis après que Madame Langlois lui ait fait son rapport. La suivante était une nouvelle dans la classe. En réalité, personne ne savait trop depuis quand elle était là, c’est comme si elle avait été presque invisible pendant un long moment avant de brusquement se manifester. Tout ce qu’ils savaient, c’est qu’elle ne faisait pas partie de leur classe au début de l’année.

Nadia croisa sagement les bras dans son dos, l’étirant et se redressant. Elle rejeta une mèche de cheveux frivoles par dessus son épaule avant de commencer, le visage sérieux.

« Elise “Lise” Meitner est née en 1878 à Vienne, en Autriche, et est morte en 1968, donc à 90 ans, à Cambridge au Royaume-Uni. Son père était l’un des premiers avocats juifs du pays, et il a fortement encouragé l’éducation intellectuelle de ses huit enfants, y compris des cinq filles, ce qui fait qu’elles étaient significativement d’un niveau scolaire plus avancé que la plupart des jeunes autrichiennes. Lise Meitner entre à l’université de Vienne en 1901, alors que cette dernière vient tout juste d’ouvrir ses portes aux femmes. Elle étudie les mathématiques, la chimie, la biologie et la physique, et dès la deuxième année elle se spécialise en physique. Elle obtient en 1900…. 1905 ? non, 1906, son doctorat avec la plus haute mention. Attendez… voilà, la mention c’est summa cum laude le nom précis de la mention, ce qui signifie quelque chose comme “la plus haute avec laurier”, donc avec félicitation en gros. A l’époque, les femmes ne sont pas admises dans les professions académiques mais son père la soutient dans son envie de persévérer et de poursuivre ses études et l’année suivante, elle déménage à Berlin pour étudier avec Max Planck. Comme l’université allemande était encore fermée aux femmes en 1907, Lise Meitner doit obtenir l’autorisation spéciale du professeur pour y entrer, ce qu’elle obtient. La physicienne est très douée et attire rapidement de nombreuses offres. Elle finit par aller travailler avec le jeune chimiste Otto Hahn sur un sujet pour lequel elle a eu un coup de foudre pendant ses études : la radioactivité - vous comprenez la blague ? coup de foudre, rayons X, radioactivité ? Ils vont collaborer pendant trois décennies. Ensemble, ils découvrent entre autres plusieurs isotopes et un nouvel élément, le protactinium en 1918, et aussi le phénomène de l’isomérie nucléaire. Entre temps, elle abandonne pendant deux ans ses recherches pour être infirmière pendant la Première Guerre Mondiale en tant que technicienne en radiologie, ce qui rappelle un peu Marie Curie, même si elle revient dans les laboratoires dès 1916. Tout en poursuivant sa collaboration avec Otto Hahn, elle fait des recherches de son côté sur les spectres de rayonnements alpha et bêta, et en 1923 elle découvre la transition non-radiative, qui est appelée plus tard l’effet Auger, du nom du scientifique qui découvrira l’effet de son côté... deux ans après elle. Elle s’intéressait beaucoup aux réactions nucléaires artificielles aussi, et elle poussa donc en 1934 son partenaire Otto Hahn à s’inclure dans le projet uranium qui découvrira quatre ans plus tard la fission nucléaire. Il faut savoir qu’à l’époque c’était la course pour savoir qui prouverait son existence : il y avait Irène Joliot-Curie, la fille de Marie Curie en France, Ernest Rutherford au Royaume-Uni et Enrico Fermi en Italie. Le projet expérimental, ou plutôt le protocole, est finalisé en 1938, juste avant que Lise Meitner soit obligée de quitter l’Allemagne à cause de son rang de juive. Elle s’exile à Stockholm avec son neveu Otto Frisch. Elle poursuit ses travaux par correspondance avec Otto Hahn et Fritz Strassmann qui effectuent les expériences imaginées avec Lise avant qu’elle ne quitte l’Allemagne. Ainsi, les deux hommes prouvent que l’uranium bombardé par des neutrons fait apparaître du baryum. Ils envoient leurs recherches à un institut de publication mais Lise Meitner, de par sa déportation et son sexe, ne peut figurer comme co-auteur et son rôle majeur dans la découverte est oublié. De son côté, elle est la première à donner une explication au phénomène et propose avec son neveu le mot fission pour le nommer. En 1944, Otto Hahn reçoit le prix Nobel de chimie pour la découverte de la fission nucléaire et Lise Meitner ne l’aura jamais, même si beaucoup estimaient qu’elle aurait dû l’obtenir avec Otto Hahn, et même si elle reçoit plusieurs autres prix pour ses nombreuses découvertes. »

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