Semaine 30.3 - Femmes remarquables mais méconnues

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« Pendant ce temps, le monde scientifique se rend compte du potentiel de la fission nucléaire, qui produit une grande quantité d’énergie par une réaction en chaîne, et le projet Manhattan est lancé - le projet qui aboutira aux bombes nucléaires et à l’éradication des villes d’Hiroshima et Nagasaki. Lise Meitner refuse de participer au projet, ne voulant rien avoir à faire avec une bombe. En 1960, Lise Meitner s’installe en Angleterre, où elle mourra huit ans plus tard. Sur sa tombe sera marquée l’inscription suivante “Lise Meitner, une physicienne qui n’a pas perdu son humanité”.

» Plus tard, l’élément meitnerium fut nommé en son honneur. »

Un très léger sourire passe sur ses lèvres, si rapide que ses camarades ne savent pas trop s’ils l’ont vraiment vu. Madame Langlois la félicite pour son élocution très bien comme il faut, mais lui rappelle qu’elle doit, comme Gabrielle, faire attention à ne pas parler trop vite afin de ne pas perdre son auditoire.

La dernière à passer est Victoire. Contrairement aux trois précédents, la jeune fille préfère rester assise pour présenter son oral. Un bras posé sur le genou, elle parle avec vivacité, son regard sautant d’un visage à un autre. Ca l’amuse, de voir ses camarades détourner les yeux, gênés d’être fixés.

« Comme j’aimerais faire des études de mathématiques, j’ai cherché du côté des mathématiciennes, et c’est par le plus grand des hasards que je suis tombée sur le personnage que je vais vous présenter à présent : Hypatie d’Alexandrie.

» Née entre 350 et 370 à Alexandrie en Egypte, Hypatie est la fille de Théon, un grand mathématicien directeur de l’université d’Alexandrie. A part ça, on ne sait rien sur sa famille : qui est sa mère ? a-t-elle des frères et soeurs ? On n’en sait rien. Son père l’éduque selon la tradition grecque de l’éducation des fils, c’est-à-dire en lui enseignant tout ce qu’il sait, plutôt que de la pousser aux affaires de la maison, à la marier, comme c’était le cas avec les filles à l’époque. Elle est donc hautement éduquée, en matière de mathématiques tout particulièrement, mais aussi en philosophie et en astronomie. Hypatie était professeure de mathématiques et de philosophie à l’université de son père, enseignant ecs matières à des élèves venus des quatres coins de l’Empire Romain, et selon un texte de l’un de ses disciples, il n’était pas rare qu’elle fasse des cours à l’improviste dans la rue, discutant de Platon et d’Aristote. Elle fait partie de l’école de pensée néoplatonicienne et dirige même celle d’Alexandrie. Selon les sources de l’époque, elle était très respectée par ses pairs. Elle n’était pas chrétienne, mais était tolérante envers eux, et certains de ses disciples étaient chrétiens eux-mêmes.

» Elle rédigea plusieurs commentaires de grands ouvrags de mathématiques, mais aucun de nous est parvenu, et révisa et corrigea certains de son père. Elle savait construire un astrolabe planisphérique, un instrument qui permet de connaître la date et l’heure en fonction de la position du soleil ou des étoiles, ou encore un hydromètre, un instrument de mesure. Ses travaux en astronomie sont considérés comme centraux pour les enjeux de la région. »

Elle eut une sorte de rire.

« En fait, elle était si douée qu’à la mort de son père, et jusqu’à sa propre mort, elle est considérée par ses contemporains comme la plus grande mathématicienne connue, tout sexe confondu. Mais en fait, maintenant, ce n’est pas vraiment pour ça qu’elle est connue - pour le peu qu’elle est connue en tout cas - mais plutôt pour sa mort. Son assassinat plutôt.

» En mars 415, Hypatie est tuée par des chrétiens alors qu’elle rentrait chez elle. Ils la déshabillent, la lapident à coup de tessons de poterie puis la découpe en morceaux avant de les brûler. Le meurtre est présumément ordonné par le nouvel évêque d’Alexandrie, très peu tolérant envers les autres religions que le christianisme. Les historiens considèrent que cet assassinat marque la fin de l’antiquité classique et le début de déchéance intellectuelle d’Alexandrie, à l’époque deuxième ville la plus avancée en sciences et philosophie après Athènes.

» Par la suite, son image est manipulée et utilisée au fil des siècles. Peu après son meurtre, de nombreuses rumeurs circulent pour la dépeindre comme profondément anti-chrétienne, puis elle est plus ou moins oubliée. Au Moyen-Âge, la légende de Catherine d’Alexandrie, une sainte chrétienne, semble très fortement inspirée d’Hypatie : une jeune femme très instruite et intelligente, ayant fait le choix de virginité, se baladant dans les rues d’Alexandrie pour discuter de sujets divers puis finissant par être assassinée par une foule de païens, ce qui est quand même légèrement ironique quand on se rappelle qu’Hypatie a été assassinée par une foule de chrétiens, et puis là elle devient la base d’une martyre chrétienne… Bref. Pendant le siècle des lumières, elle est utilisée comme un exemple anti-christianisme, notamment dans l’Encyclopédie de Diderot ou dans des ouvrages de Voltaire. Enfin, elle devient une icône du féminisme en tant qu’intellectuelle instruite, compétente et moderne.

» Un film est sorti en 2009, relatant assez librement les dernières années de sa vie, Agora, c’est son nom. Son titre, plutôt.

» Ah oui et aussi on lui attribue régulièrement la maxime “faites valoir votre droit de penser, car même penser à tort est mieux que ne pas penser du tout.“ On ne peut pas vraiment vérifier que cette maxime est d’elle, mais je l’aime bien, alors je me suis dit que je me devais de vous la partager.

- Merci pour la citation Victoire. En effet, reprit Madame Langlois, s’adressant cette fois à l’ensemble des élèves, il ne faut pas hésiter à dire ce que l’on pense, quitte à se tromper. »

Avec un magnifique sens du timing, la sonnerie de fin de cours retentit, et la classe se leva comme une seule entité, rassemblant les affaires dispersées ici ou là. La professeure rappela que les présentations restantes auront lieu au prochain cours puis libéra les jeunes têtes qui se précipitèrent vers le réfectoire.

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