Semaine 18.7 - Lison et Auguste

5 minutes de lecture

La femme glissa une main sous son menton.

- A quel point êtes-vous malade ?

Auguste émit un rire mi-triste mi-amusé. Au moins, il savait de qui Lison tenait sa langue bien pendue. Le garçon hésita à enrober la vérité, mais il pensa soudainement que s’il voulait continuer à fréquenter son amie, il valait mieux qu’il soit en bon terme avec la mère et préféra par conséquent opter pour la vérité :

- Je suis malade depuis que j’ai… oh, j’avais neuf ans. Je ne m’étais jamais rendu compte que cela fait si longtemps.

- Et votre état ne s’est jamais amélioré depuis ?

- Non, hélas. Et… En fait, je ne sais même pas ce que vous a déjà dit Lison. Ou ce que vous voulez savoir ? Car je vous ai déjà dit le plus important, que je ne ferai jamais de mal à votre fille.

- Lison m’a parlé de… votre mère ?

Elle semblait assez incertaine. La bouche du garçon s'assècha. Il déglutit. La femme reprit précipitamment, remarquant son inconfort :

- Je suis affreusement désolée, je ne veux pas paraître incorrecte avec ma mauvaise curiosité.

- Non, ce n’est rien, c’est moi qui vous ai demandé ce que vous vouliez savoir. De plus, vous pouvez vous moquer, mais je n’ai que rarement la chance de pouvoir parler avec quelqu’un, alors si c’est le prix à payer… Si vous voulez tout savoir pour que Lison puisse continuer à venir, alors je peux tout dire. Je n’ai pas envie de retourner à… à ce que j’étais et à ce que j’avais avant.

Sa voix tremblait un peu. Il se racla la gorge pour essayer de la stabiliser.

- Ma mère est morte il y a maintenant cinq ans. Elle… (Il s’éclaircit la gorge, toussa un peu.) Elle était touchée par la même maladie que moi.

- Oh. Je suis désolée, je ne savais pas.

Elle semblait réellement attristée pour lui, les yeux grands ouverts, l’air horrifié, mais il repoussa sa sollicitude en secouant la tête.

- Ce n’est rien, répéta-t-il. Je me suis habitué à l’idée.

- Et… Lison sait-elle ? l’interrogea la femme.

- Que ma vie ne tient qu’à un fil ? Qu’elle se finira d’ici peu ? demanda le garçon. Oui, je le lui ai dit très rapidement. Quand je me suis rendu compte qu’elle serait blessée si elle s’attachait à moi et que je… Eh bien, ma mort est inévitable, donc je ne voulais pas la blesser.

Il se racla la gorge et haussa les épaules, la mine faussement dégagée.

- Elle a continué à venir après. La tête plus dure qu’un roc.

Auguste secoua la tête, amusé. De fait, le soir où il le lui avait annoncé, Lison n’avait rien dit, elle était juste partie. Il avait passé la nuit à regretter la perte de son amie, de sa seule compagne, tout en se félicitant d’avoir eu le courage de lui épargner plus de peines. Le lendemain, il n’avait rien espéré, et pourtant, la jeune fille était venue, armée d’une énorme écharpe et de friandises. Il ne savait même pas comment elle avait réalisé la prouesse de les monter sur le toit mais sur le moment, il avait été trop ému pour réfléchir. Il avait pleuré, et elle l’avait pris dans ses bras comme si il avait été le plus jeune, lui assurant qu’elle serait là pour lui. Et il avait pleuré, encore et encore. Il n’en revenait pas qu’elle soit encore avec lui. Présente alors qu’elle savait la réalité.

- Têtue en effet ma fille.

Le garçon sursauta, ayant oublié la présence de la mère de ladite demoiselle. Il rougit légèrement, le sang colorant ses joues trop pâles et trop creusées. La femme se leva.

- Je vous présente encore mes excuses, jeune homme.

Auguste se redressa lentement, s’efforçant de ne pas faire de mouvements trop brusques, au risque de réactiver sa toux. Il maudissait ses poumons de le rendre si vulnérable mais ne pouvait pas y changer grand chose.

- Ce n’est rien, madame. Je suis heureux de savoir de qui Lison tient ses plus grands qualités.

Il s’inclina sans moquerie devant la femme qui, de son côté, paraissait complètement indécise. Elle serra les lèvres.

- Je vous ai mal jugé. Je m’en souviendrai à l’avenir.

Une lueur d’espoir s’alluma dans le regard d’Auguste, vite éteinte par le son de la poignée de la porte d’entrée. Ses yeux s’écarquillèrent d’effroi. La mère de Lison ouvrit la bouche mais la venue du nouvel arrivant dans le salon la coupa dans son élan.

- Que fait cette femme ici ? gronda l’homme, ôtant un bonnet trempé.

Auguste se voûta légèrement. Il ne savait pas comment expliquer la situation à son père.

- Euh… papa… C’est euh…

La femme fit une révérence, visiblement peu impressionnée par l’imposant présence du maître de maison.

- La mère de Lison, une amie de votre fils.

Auguste roula des yeux, se mordant la joue aussi fort qu’il le pouvait. Et cordieu, qu’est-ce qu’il allait pouvoir dire à son père ? Tout lui révéler ? Trop tard de toute façon. L’homme se tourna vers lui, ses épais sourcils couvrant presque ses yeux.

- Auguste, de quoi parle cette femme ?

- Euh… c’est que…

Il bafouillait. Il détestait bafouiller. La mère de Lison avança d’un pas. Il voulut lui dire de reculer et de juste partir, mais apparemment elle ne voyait aucun de ses gestes. Ou n’en avait cure.

- Lison, ma fille, répéta-t-elle, est actuellement malade. Auguste est venu chercher de ses nouvelles, je me suis mal comportée, et je tenais à lui présenter mes excuses.

Mais pourquoi tant parler ? Pourquoi cette femme déblatérait-elle tant de détails ? N’avait-elle pas compris que si elle avait ignoré leur relation, son père n’en avait pas plus connaissance ? L’homme inspira profondément, semblant gonfler sous l’effet de la colère. Lentement, ignorant la femme dans son dos, il se tourna vers Auguste. Son souffle était rendu court par l’énervement.

- Auguste ?

Il marqua une pause, faisant visiblement de gigantesques efforts pour se retenir de hurler.

- Es-tu sorti de cette maison, Auguste ?

Le garçon roula les épaules, le regard sur les pieds de son père. Il hocha lentement la tête. L’expiration fut si sonore qu’il trembla. Il n’avait pas peur de son père. Pas trop. Mais ses colères étaient célèbres. Et celui-ci avait tant peur de le perdre qu’une telle infraction… Peut-être aurait-il droit à un loquet à sa fenêtre.

- Monsieur, tenta d’intervenir la mère de Lison, mais l’homme ne l’écouta pas.

Auguste lui fit signe de partir le plus poliment qu’il le put.

- Vous pouvez disposer, madame. Je vous remercie d’être passée, et veuillez porter à Lison mes meilleurs voeux de rétablissement.

La femme allait répliquer mais un nouveau regard du garçon la coupa. Elle ferma la bouche, préférant sagement le mutisme. Elle s’inclina à nouveau, hâtivement, et quitta enfin la pièce sans rien demander de plus.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jo March ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0