Chapitre 4

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La "rencontre" (si on peut l'appeler ainsi) avec cette petite fille et sa maman marqua le début de mon existence en tant que statue. Dans les jours qui suivirent, ce genre d'évènement se reproduisit plusieurs fois. Etant donné que je venais d'arriver, j'étais forcément devenu l'objet de la plupart des regards. Plusieurs passants (probablement des habitués du lac qui ne m'y avaient jamais vu auparavant) me regardaient avec étonnement tandis que d'autres prenaient des photos ou passaient à côté de moi sans me jeter un coup d'œil. A chaque fois, j'essayais de communiquer avec eux, de leur faire comprendre qu'à l'intérieur de la statue de pierre qui se trouvait sur leur chemin, un être humain était emprisonné.

Encore aujourd'hui, alors que cela doit faire plusieurs mois que je me trouve ici (j'ai perdu le compte des jours après une ou deux semaines), dès que quelqu'un passe à côté de moi, une once d'espoir pointe dans mon cœur. Mais rien ne se passe jamais. Je ne comprends pas comment je ne suis pas encore devenu fou.

J'aimerais pouvoir dire qu'après un certain temps, je trouvais finalement un moyen de bouger ou encore mieux, que je possédais un super-pouvoir qui aurait rendu ma nouvelle existence un peu plus exaltante. Malheureusement, c'est loin d'être le cas. A part observer les passants, me souvenir de mon ancienne vie et tenter de trouver un moyen de me sortir de là, je n'ai pas grand chose à faire. La vie de statue est tout simplement barbante et ce serait mentir que d'affirmer le contraire ou bien dire que l'on s'y fait, qu'on finit par accepter son sort. Qui pourrait bien accepter d'être devenu une statue de pierre posée sur les bords d'un lac ?

Heureusement, le paysage qui s'offre à moi est magnifique. Je reconnais qu'à ce niveau là, ça aurait pu être pire. J'aurais pu être posé sur un rond-point en plein centre-ville entouré vingt-quatre heures sur vingt-quatre de voitures ou bien dans une banlieue résidentielle pas très recommandable où je me serais fait taguer par des bandes de jeunes en manque d'occupation.

Si je me remémore ce premier jour c'est parce que la matinée d'aujourd'hui m'y fait particulièrement penser. La façon dont le soleil brille à travers les arbres, le reflet de ceux-ci sur l'eau du lac, ... Nous devons probablement encore être en été et à voir la position du soleil, il doit être assez tôt, raison pour laquelle il n'y a encore aucun promeneur autour du lac.

Alors que je profite (pour la énième fois) du paysage, des voix se font entendre derrière moi. Les personnes qui arrivent sont probablement des pêcheurs pressés de pouvoir mettre leur ligne à l'eau. Comme d'habitude, j'attends qu'ils passent à côté de moi pour pouvoir essayer de capter leur attention. Leurs voix se rapprochent et à les entendre, je distingue que ce sont deux hommes.

-  Punaise c'est super lourd ce truc ! se plaint un des deux hommes, le souffle un peu haletant.

-  On est presque arrivé, t'inquiète pas, on va bientôt pouvoir la poser, lui répondit l'autre.

A les entendre, on dirait qu'ils portent quelque chose d'assez encombrant. Sûrement leur matériel de pêche. Tous deux ont le souffle court. Soudain, je remarque qu'un des deux hommes entre progressivement sur le côté gauche de mon champ de vision. Ma curiosité est piquée quand je remarque qu'il avance très lentement et en marche arrière. A peine quelques secondes plus tard, je découvre enfin le chargement des deux hommes et le sentiment qui m'envahit est le meilleur que j'ai pu ressentir depuis que je me trouve ici. C'est une statue. Une autre statue.

Je suis ébahi, je ne sais pas quoi penser. Est-ce qu'une personne est aussi coincée à l'intérieur de cette sculpture de pierre ? Si oui, vais-je être capable de communiquer avec elle ? Va-t-elle pouvoir m'aider à en apprendre un peu plus ? J'espère que ces deux ouvriers (à voir leurs vêtements, ils doivent être des employés municipaux) ne vont pas la poser trop loin.

Rapidement, je calme l'élan de frénésie qui s'est emparé de moi. Il est hors de question que je revive un ascenseur émotionnel aussi intense comme lorsque cette petite fille et sa mère sont passées à côté de moi le premier jour. Je n'ai pas envie d'être totalement déçu si jamais rien ne se passe avec cette statue ou si les ouvriers décident de la poser trop loin de moi pour que je puisse la voir et potentiellement rentrer en contact avec elle.

- Putain, je comprends pas pourquoi ils voulaient absolument la déplacer ici, continue de se plaindre le plus petit des deux hommes. Elle était bien là où elle était avant, y'avait pas besoin de la changer d'endroit.

-  Je comprends pas non plus. En tout cas, tant qu'on est payés, à moi ça me va ! lui répond son collègue. Voilà, c'est ici qu'on doit la poser.

En voyant les deux hommes s'arrêter à environ 5 mètres de moi et redresser la statue, je laisse l'espoir m'envahir un peu plus et je prends un temps pour observer la nouvelle arrivante. Elle est en pierre et représente une femme de l'Antiquité vêtue d'une toge. Elle se tient droite, à la tête haute et regarde vers la droite, dans ma direction. Sa main gauche pend le long de son buste et tient une grappe de raisin. Elle porte la main droite à ses cheveux.

Après avoir positionné la sculpture correctement, les ouvriers prennent un temps pour la regarder puis tournent les talons et font demi-tour dans ma direction.

A mesure qu'ils s'éloignent, j'entends leurs bruits de pas s'évanouir jusqu'à ne plus rien entendre. Je suis enfin seul avec la nouvelle venue.

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